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Sabotage de Nord Stream: le mystère des «vaisseaux noirs»

Des nuages font de l'ombre à un navire en Méditerranée (image symbolique) : Les «dark ships» sont-ils liés aux attentats contre les gazoducs ?
Des nuages font de l'ombre à un navire en Méditerranée (image symbolique) : Les «dark ships» sont-ils liés aux attentats contre les gazoducs ?photo: imago images/CSP_JanMika

Sabotage de Nord Stream: le mystère des «vaisseaux noirs»

Deux navires sont passés près des gazoducs de la mer Baltique quelques jours avant les explosions. Sans aucun signal. Ce qui pourrait mener les enquêteurs sur leur piste.
03.12.2022, 08:33
Un article de
t-online
Jonas Mueller-Töwe
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Au cours de ses années en mer, le capitaine Ulrich Klüber a déjà enquêté sur beaucoup de choses sous les vagues: il a cherché des épaves au fond de la mer, traqué de la radioactivité, mesuré les profondeurs de la mer du Nord. Lorsque lui et son équipage sont appelés à bord de l'«Atair», c'est une dream-team de spécialistes qui grimpent à bord. Et, normalement, les voyages du navire de recherche allemand le plus moderne ne se font pas dans le secret.

Mais il en va autrement de leur mission actuelle en mer Baltique: celle-ci exige la plus grande discrétion. Un navire de la police fédérale allemande le surveille à une certaine distance. Seul le procureur général d'Allemagne peut donner des informations sur ce que l'«Atair» y fait exactement, déclare l'Office fédéral de la navigation maritime et de l'hydrographie (BSH), dont la flotte compte ce navire spécial. Mais les autorités de Karlsruhe restent discrètes. Les enquêtes en cours ne sont pas commentées.

Mission délicate en mer Baltique

En effet, la mission de l'«Atair» est sensible sur le plan politique. Selon le journal allemand t-online, elle contribue à l'enquête sur le sabotage des gazoducs Nord Stream. Le 26 septembre dernier, des détonations ont fait exploser les gazoducs germano-russes dans les eaux danoises et suédoises. D'énormes quantités de gaz naturel se sont alors répandues à la surface de l'eau, qui a été déclarée zone dangereuse sur des kilomètres.

Sabotage en mer Baltique : la zone autour des gazoducs détruits a été déclarée zone dangereuse.
Sabotage en mer Baltique : la zone autour des gazoducs détruits a été déclarée zone dangereuse.photo: imago images/Danska Forsvaret

Le Danemark, la Suède et l'Allemagne ont alors chacune lancé leur propre enquête. Elles ont rapidement envisagé l'hypothèse d'un attentat. Le parquet de Stockholm a trouvé des restes d'explosifs sur les débris, ce qui l'a confirmée. Depuis, l'enquête est menée à l'aide des technologies les plus modernes. Le navire spécial ATAIR se concentre sur les fonds marins. Entre-temps, il existe également des premiers indices prometteurs grâce à des photos aériennes et satellites - mais il n'y a pas encore de coupable concret.

La guerre hybride

Les services secrets russes représentaient l'un des principaux suspects depuis le début de l'enquête. En effet, le mode opératoire correspond trop bien à la guerre hybride menée contre l'Occident. Depuis des décennies, le Kremlin, dirigé par Vladimir Poutine, utilise ses exportations de gaz à des fins de chantage politique. Même avant l'attaque contre la Géorgie, en 2008, des gazoducs et des lignes électriques ont d'abord explosé.

Photo prise par un drone sous-marin: les gazoducs ont été considérablement endommagés par les charges explosives.
Photo prise par un drone sous-marin: les gazoducs ont été considérablement endommagés par les charges explosives.photo: Blueye Robotics/BBC

On suppose qu'un attentat contre Nord Stream pourrait être un avertissement quant à la vulnérabilité des câbles de communication extrêmement importants au fond de la mer. Ces derniers temps, des incidents suspects s'y sont accumulés.

Il est incontestable que la Marine russe est mieux équipée que la plupart des autres armées pour des opérations secrètes au fond de la mer. En d'autres termes, le Kremlin aurait, non seulement un motif, mais aussi des possibilités techniques et un accès rapide aux lieux du crime via ses ports en mer Baltique. Or un ensemble d'indices ne constitue pas une preuve. L'«Atair» la trouvera-t-elle? Pour les enquêteurs, qui ne peuvent pas se rendre eux-mêmes sur les lieux du crime à 80 mètres de profondeur, il semble évident de miser sur Klüber et son équipage.

Regard dans les profondeurs

Le navire, qui a coûté près de 115 millions d'euros, est l'un des plus modernes de sa catégorie, il y a à bord:

  • Des laboratoires.
  • Une chambre de décompression.
  • Un vaste équipement de plongée.
  • Plusieurs sonars et un échosondeur pour mesurer les fonds marins.

Une image de destruction s'offre aux spécialistes au fond de la mer Baltique. Des conduites de plusieurs dizaines de mètres de long, pesant près de 100 tonnes, se trouvent à des centaines de mètres du tracé initial du gazoduc.

Sondage du fond marin: une section en forme de V a été arrachée du gazoduc. Il mesure des dizaines de mètres de long.
Sondage du fond marin: une section en forme de V a été arrachée du gazoduc. Il mesure des dizaines de mètres de long.photo: Blueye Robotics

L'entreprise technologique norvégienne «Blueye Robotics» a documenté les dégâts avec des drones de plongée et un sonar pour le journal suédois Espressen et la chaîne britannique BBC. Les auteurs ont dû utiliser des bombes contenant des centaines de kilos d'explosifs. Mais comment sont-elles arrivées sur place? Et qui les a posées?

Chasse à l'homme par satellite

Les enquêteurs pourraient ne plus se contenter de chercher des indices sous la surface de la mer, mais regarder de très haut les zones dangereuses de la mer Baltique. Ils ont récemment prêté attention aux informations d'une analyse par satellite de la société américaine SpaceKnow.

Il y a quelques jours, le magazine américain Wired a mis en relation des bateaux non identifiés jusqu'à présent avec l'attaque présumée. Ces navires voguaient à proximité du lieu de l'attentat quelques jours avant celui-ci. Mais ils avaient désactivé leurs signaux, qui auraient sinon transmis, en plus de leur localisation, leur nom, le type et les dimensions des navires, leur cap, leur vitesse et les données de voyage. C'est pour cette raison qu'ils étaient passés inaperçus jusqu'à présent.

Les images obtenues par satellite sont interprétées par le logiciel d'analyse de SpaceKnow.
Les images obtenues par satellite sont interprétées par le logiciel d'analyse de SpaceKnow.source: Iceye

L'entreprise SpaceKnow a réussi à découvrir les navires grâce à un logiciel d'analyse spécial appliqué aux images satellites. Il s'agit d'un programme que SpaceKnow mène depuis un certain temps avec l'Agence spatiale européenne (ESA) et qui utilise une technologie de pointe ouvrant de toutes nouvelles possibilités. Le procédé SAR permet aux satellites de balayer des terrains à l'aide d'ondes électromagnétiques.

Les «dark ships» sur la scène du crime

Les visualisations ainsi obtenues ressemblent à des photos. Des entreprises comme la société finlandaise Iceye les créent et les distribuent quotidiennement. SpaceKnow, quant à elle, s'est notamment spécialisée dans l'identification par logiciel des «dark ships», les «vaisseaux noirs», sur les photos. En principe, la pratique est censée appuyer la lutte contre la pêche illégale par exemple. Mais il se pourrait bien que cette méthode permette de retrouver la trace des criminels du gazoduc.

Des bateaux rendus visibles sur une image satellite : SpaceKnow a procédé de manière similaire avec les images Iceye des scènes de crime.
Des bateaux rendus visibles sur une image satellite : SpaceKnow a procédé de manière similaire avec les images Iceye des scènes de crime.source: Iceye/SpaceKnow

Pour cela, les enquêteurs peuvent utiliser un système bien connu. Afin d'éviter les collisions en haute mer, le système d'identification automatique (AIS) est obligatoire pour les navires d'une certaine taille dans le monde entier. Il envoie un signal qui peut être suivi en ligne, non seulement par les autres navires et les autorités, mais aussi par les personnes intéressées. De cette manière, il est possible de suivre en temps réel la présence de la plupart des navires. Lorsqu'un signal est désactivé, on parle alors de «dark ships».

Une rareté en mer Baltique

La plupart du temps, il s'agit de navires qui pêchent illégalement, font de la contrebande de marchandises, sont utilisés à des fins d'espionnage ou de traite d'êtres humains. Certains capitaines veulent aussi simplement éviter d'être attaqués par des pirates dans des régions dangereuses. C'est pourquoi la plupart des infractions sont documentées dans le Pacifique ou dans la Corne de l'Afrique, comme l'a récemment constaté une étude américaine. En mer Baltique, des infractions peuvent se produire, mais elles sont loin d'être aussi fréquentes qu'ailleurs. Cela rend les navires que SpaceKnow a repérés sur les lieux extrêmement suspects.

La police de l'eau en mer Baltique: une série de sanctions se met en place en cas d'infraction à l'AIS. Peut-elle encore fournir des indices?
La police de l'eau en mer Baltique: une série de sanctions se met en place en cas d'infraction à l'AIS. Peut-elle encore fournir des indices?source: imago images/Jens Koehler

Aucun cas de ce type n'a été signalé ces dernières années dans les eaux allemandes de la mer Baltique, a appris t-online auprès de l'Association professionnelle des transports et de l'Administration fédérale en charge. Mais le fait que les infractions à l'AIS soient relativement rares dans la région pourrait théoriquement conduire à l'identification des «dark ships» non identifiés jusqu'à présent.

Les navires ont-ils été contrôlés?

En effet, si d'autres Etats riverains, comme le Danemark ou la Suède, avaient constaté des signaux éteints dans leurs eaux au cours de la période en question, une série de sanctions aurait été mise en place, à laquelle un navire ne pourrait que difficilement se soustraire, même a posteriori. En Europe et dans le monde entier, un contrôle dit de l'Etat du port serait effectué dans l'un des prochains ports d'escale. Des inspecteurs monteraient à bord. En cas de défauts, par exemple, ils pourraient arrêter le navire.

Depuis la mi-septembre, plus de 3000 contrôles de ce type ont été effectués rien qu'en Europe, mais ils peuvent également être déclenchés par d'autres infractions que celles liées à l'obligation d'utiliser l'AIS. Tous les contrôles sont documentés dans une base de données centrale des navires. Y trouve-t-on un indice sur les mystérieux navires qui ont croisé sur le lieu du sabotage du gazoduc?

Le procureur général allemand ne confirme pas qu'il dispose de l'analyse des images satellites ou qu'il enquête sur des contrôles de l'Etat du port déclenchés par des violations de l'AIS. Les autorités danoises et suédoises n'ont pas encore répondu aux demandes de renseignements à ce sujet.

Et, ce que le capitaine Klüber a trouvé exactement avec l'«Atair» est encore secret. Entre-temps, le navire spécial est de nouveau ancré à Bremerhaven, en Allemagne.

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