Diffusé tel un docufiction à sa sortie en 1983, le téléfilm américain «Le Jour d’après» allait au maximum du pensable et du possible dans le genre catastrophe. En écho aux angoisses de l'époque, son scénario imaginait le déclenchement d’une guerre nucléaire sur fond de crise des euromissiles.
Crise des euromissiles? Elle accaparait les relations diplomatiques entre le «monde libre» emmené par les Etats-Unis et le monde communiste contrôlé par l'URSS, qui s’effondrerait en 1991, nourrissant un sentiment d'humiliation et un esprit de revanche en Russie, Vladimir Poutine en étant la parfaite illustration avec sa guerre en Ukraine et sa rhétorique nucléaire.
Voilà que revient en effet la menace atomique en Europe, avec une intensité qu'on ne lui avait pas connue depuis les années 1980. «Nous utiliserons sans aucun doute toutes les armes à notre disposition», a prévenu le chef du Kremlin dans un message vidéo diffusé mercredi matin. Toutes les armes: y compris la bombe nucléaire.
En 1983, la guerre était «froide» entre les blocs de l’Ouest et de l’Est. Les armes ne tonnaient pas en Europe comme aujourd’hui en Ukraine. Mais la peur de l’anéantissement nucléaire était présente, comme elle avait parcouru l’échine des baby-boomers et de leurs géniteurs en 1962, lors d’une précédente crise des missiles, ayant alors pour enjeu Cuba, pays allié à l’URSS, distant de seulement 170 kilomètres de Key West, en Floride.
La crise du début des années 1980, elle, avait pour origine le déploiement de missiles nucléaires soviétiques. Leur nom: SS-20. Les «rouges», le nom donné par l’Ouest aux forces du Pacte de Varsovie (le pendant communiste de l’Otan), en avaient déployé aux frontières occidentales de l’URSS. Transportés sur des véhicules à roues, les SS-20 pouvaient contenir jusqu’à trois ogives nucléaires. D’une portée moyenne de 3500 kilomètres, ils menaçaient directement Londres, Paris, Rome ou Madrid. Et bien sûr Berlin, la ville divisée en deux par un mur.
En 1983, l’ancien acteur de western Ronald Reagan, un républicain bien décidé à mettre à genou l’URSS, présidait les Etats-Unis. Iouri Andropov, comme momifié de son vivant, était son homologue côté soviétique.
En réponse aux SS-20, les Etats-Unis déployèrent à leur tour des missiles nucléaires, des Pershing II, en République fédérale d’Allemagne. L’équilibre de la terreur, au cœur de la dissuasion nucléaire, qui rend théoriquement impossible l’emploi de l’arme atomique sous peine d’apocalypse pour tous, était ainsi restauré.
Coupée en deux parties après la Seconde Guerre mondiale, la RDA à l’Est, la RFA à l’Ouest, l’Allemagne transpirait la guerre froide par tous ses pores. Elle était le lieu privilégié d’un affrontement nucléaire virtuel, qui semblait à certains sinon imminent, du moins possible.
C’est en RFA, en 1983, année décidément clé, qui inspira les auteurs de la série «Deutschland 1983», diffusée en 2016 sur la RTS, qu’eurent lieu des manifestations pacifistes pour s’opposer au «parapluie américain» – l’installation de Pershing II. «Plutôt rouges (communistes) que morts» était l’un des slogans proférés par les pacifistes, qui détournaient là le mot d’ordre suicidaire du nazi Joseph Goebbels, «Lieber tot als rot» (plutôt mort que rouge), face à l’Armée rouge entrée dans Berlin en 1945.
Devant ce pacifisme jugé défaitiste et puéril, les tenants d’une ligne ferme face à Moscou répliquaient par un autre slogan, qui résonne en partie avec l’actuelle donne russo-ukrainienne, les partisans d’une paix immédiate faisant plutôt le jeu de l’agresseur russe: «Les pacifistes sont à l’Ouest, les missiles sont à l’Est.»
La jeunesse allemande était sensible à cette apocalypse nucléaire planant au-dessus des têtes. Un romantisme de la mort atomique fit son apparition. Le groupe allemand Alphaville prolongeait à sa manière le glam-rock de David Bowie au moment où celui-ci passait à autre chose avec «Let’s Dance». Dans son titre mythique «Forever Young» sorti en 1984, Alphaville, dès la première strophe, s’inscrit dans le contexte de la crise des missiles (le début se voulait-il un clin d’œil à Bowie?):
«Allez-vous lâcher la bombe ou pas?», s’impatientait le groupe. Si la bombe doit nous tuer, que ce soit maintenant, alors que nous sommes encore jeunes, ainsi nous le resterons éternellement, disent les paroles de la chanson.
Un an plus tôt, la chanteuse allemande Nena, le genre demi-punk, envoyait ses «99 Luftballons» dans le ciel menaçant. Ce tube à messages cryptés – des ballons gonflés à l’hélium comme ceux des enfants s’y jouent de la frontière interallemande infranchissable dans le sens Est-Ouest – était une ode à la paix.
Ce pacifisme d’autrefois a comme disparu. Les générations de la guerre froide avaient été biberonnées à la rhétorique nucléaire, qui s'était ensuite dissipée à la faveur de la chute du mur de Berlin en 1989. Le nucléaire réapparaît, sur un plan militaire du côté de Moscou, sur un plan civil, comme une possible révision déchirante de décisions qui devaient signifier son abandon, lequel étant remis cause par un agenda énergétique aux abois.