Le Californien Stockton Rush, co-fondateur et PDG d'OceanGate, est décédé cette semaine dans les intraitables profondeurs de l'océan Atlantique.
En voulant tutoyer ce qu'il reste de l'épave du Titanic, à bord du submersible Titan et en compagnie de quatre autres passagers, l'homme d'affaires a bien malgré lui obtenu sa carte de membre pour un club un peu spécial. Sur Wikipédia, on appelle ça The List of inventors killed by their own invention. Littéralement, la liste des inventeurs tués par leur propre invention. Les risques du métier, comme on dit.
Ne ricanez pas. Non seulement la plupart d'entre eux ont fait avancer l'humanité, mais on connait plein de gens qui n'ont jamais eu l'occasion d'intégrer le moindre club de leur vivant.
On va d'abord pinailler, voulez-vous? Si le PDG de Segway est bien mort sur un... Segway, ce Britannique n'était pas l'inventeur de cet engin (absolument) infernal. Ce qui n'a pas empêché ce drame de faire le tour de la planète et de susciter des moqueries pendant des années. Il faut avouer que trépasser sur le produit dont on loue la sécurité, ce n'est jamais la meilleure stratégie marketing.
En 2010, une petite année après avoir racheté la société Segway Inc., le multimillionnaire Jimi Heselden, 62 ans, est tombé d'une falaise sur son Segway PT. Il ne survivra pas à ses multiples blessures. Quelqu'un connaît-il l'inventeur de la trottinette électrique? C'est pour un ami...
En réalité, ce club est relativement sélect et c'est assez logique: il faut avoir inventé quelque chose de suffisamment révolutionnaire et viable, pour avoir non seulement l'opportunité (et le courage) de le tester, mais d'y mourir. Et figurez-vous que le membre le plus célèbre est une femme. Ce fut même une pionnière dans la recherche sur la radioactivité.
Au point que le 4 juillet 1934, cette célèbre physicienne franco-polonaise mourra sur son lieu de travail, au sanatorium de Sancellemoz à Passy, en Haute-Savoie. Oui, étrangement, le corps de Marie Curie n'a pas survécu très longtemps à son exposition prolongée aux radiations.
Les circonstances de la mort d'un inventeur ne sont pas toujours extrêmement flatteuses. Tenez, le papa de l'imprimerie rotative, William Bullock, s'est coincé le pied sous l'une de ses lourdes bécanes, à Philadelphie, en 1897. A l'époque, la médecine n'avait pas encore tout donné, si bien que sa blessure s'est transformée en gangrène et qu'il est décédé pendant qu'on tentait de l'amputer.
Sans vouloir vous offenser, il est peu probable que vous connaissiez les locomotives d'un certain Henri Thuile. Vers la fin des années 1800, cet ingénieur français rêvait de mettre au point une machine capable de tirer un train de 200 tonnes à 120 km/h.
Si les premiers prototypes furent prometteurs, les premiers essais... un peu moins. Un jour de mai 1900, sur un tronçon particulièrement peu adapté à la vitesse voulue par cette locomotive, Henri Thuile a eu la mauvaise idée de se pencher pour être certain que tout se passait bien. Sa tête ira heurter un solide morceau de métal d'un échafaudage. La tuile.
Mike Hughes était un astronaute amateur. Rien qu'à l'intitulé de son hobby, on était en droit d'imaginer le pire. Cascadeur à ses heures, il était tout de même entré dans le Guinness Book pour avoir fait un saut de 31 mètres de long, au volant d'une limousine Lincoln Town Car. (Ne demandez pas pourquoi.)
Mais ce cascadeur californien avait un objectif beaucoup plus philosophique: prouver que la Terre est plate. En réalité, il a surtout profité de l'argent des platistes pour fabriquer sa dernière embarcation. Le 22 février 2020, Mike Hughes décède, à 64 ans, dans crash de son engin volant de fortune.
Chez les inventeurs, il y a bien un truc qui ne s'invente pas, c'est la coïncidence fâcheuse. 111 ans avant la mort dramatique des cinq aventuriers, partis cette semaine tutoyer les restes du Titanic, un ingénieur naval périssait lui aussi à bord de sa propre (et célèbre) embarcation. Et figurez-vous que ce n'est autre que le concepteur des plans du... Titanic.
La légende voudrait que Thomas Andrews soit mort en fixant une toile de Norman Wilkinson, représentant l'entrée de Plymouth Sound, une baie que le paquebot devait précisément visiter durant le voyage retour.
«Vivre c'est inventer», disait le poète et ingénieur en aéronautique Maurice Blanchard. Pas toujours.