Devra-t-on payer pour visiter la cathédrale Notre-Dame de Paris, qui rouvrira ses portes en décembre, cinq ans et demi après l’incendie qui a failli détruire le plus célèbre, le plus aimé des monuments français? C’est la ministre de la Culture, Rachida Dati, qui jette ce pavé dans l’eau bénite. Dans un entretien mercredi au Figaro, elle propose de faire payer un droit d’entrée de cinq euros aux touristes – les fidèles seraient exemptés de cette taxe qui ne dit pas son nom.
L’idée, c’est que l’engouement pour Notre-Dame, qui s’annonce considérable à compter de sa réouverture, profite au patrimoine religieux français, dont l’Etat et les communes sont parties prenantes s’agissant du bâti. Seulement voilà, l’Etat et plus encore les communes sont à sec. Faute d’argent pour les entretenir ou les restaurer, de nombreux édifices religieux tombent en ruines dans l’Hexagone, au grand dam des Français attachés à ce patrimoine à la fois sentimental et identitaire.
Rachida Dati, à qui l’on passerait tout, tant sa personnalité plaît bien plus qu’elle n’irrite, n’a sans doute pas fait cette proposition sans s’assurer de soutiens en haut lieu. Interrogé à ce propos jeudi sur France Inter, le ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau, qui est aussi ministre des cultes, a dit banco.
Le Monsieur Patrimoine, Stéphane Bern, est aux anges. Lui qui, le premier, avait prêché, dans le désert, pour cette solution, est enfin écouté.
Les cinq euros demandés aux touristes permettraient de faire beaucoup de petits. C'est le vœu de Rachida Dati.
Il y a ceux qui sont pour et ceux qui sont contre. Pour une fois, la fracture n’est pas entre la droite et la gauche, mais entre deux visions de l’accès à la fois au sacré et au bien commun. Si un conservateur comme Bruno Retailleau, bien vu de la droite chrétienne, est favorable au cinq euros, la journaliste et éditorialiste Eugénie Bastié, qu’on lit dans Le Figaro et entend à Europe 1, sur une ligne conservatrice elle aussi, en combat l’idée. Sur son compte X, elle écrit avec exaltation:
Contre l’esprit consumériste, elle ajoute:
Depuis le Moyen âge les cathédrales sont un lieu de passage et de vie où l’on entre gratuitement, quel que soit sa condition. Notre Dame tel que l’a chanté Victor Hugo, c’est l’asile des manants et des saltimbanques. La philosophe Simone Weil disait qu’elle se convertirait au… https://t.co/VroZqeWDlO
— Eugénie Bastié (@EugenieBastie) October 25, 2024
La catholique Eugénie Bastié trouve un allié chez le sénateur communiste Pierre Ouzoulias. Sur BFMTV, ce dernier ne manque pas de rappeler que, depuis 1789, l’année de la Révolution française:
Pour cet élu de gauche, qui se réfère à la loi de 1905 sur la séparation des Eglises et de l’Etat, la laïcité garantit la gratuité de l’entrée des lieux de culte et n’autorise pas de distinguer entre croyants et non croyants parmi les visiteurs. D'ailleurs, sur quels critères se basera-t-on pour décider de qui paie et qui ne paie pas les cinq euros? Devra-t-on produire un certificat de baptême à l’entrée?, demande, ironique, le sénateur communiste.
D’autres pays de culture chrétienne font payer l'accès aux monuments religieux les plus prestigieux. Une cagnotte qui profite à l’ensemble du «parc» ecclésiastique, se félicitent les partisans de l’entrée payante. Qui font valoir que cinq euros pour visiter Notre-Dame de Paris sont une somme bien modeste comparée aux 35, 26 et 12 euros qu’il faut débourser pour visiter, respectivement, l’abbaye de Westminster à Londres, la Sagrada Familia à Barcelone et la cathédrale de Saint-Jacques de Compostelle.
Si Notre-Dame devient payante, ceux qui, avant l'incendie, venaient y trouver la paix, échappant momentanément à la fureur ambiante, se diront que quelque chose est perdu. Mais que l'essentiel est sauf: la cathédrale.