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Jon Stewart, le virus de l'élection présidentielle américaine

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image: getty, montage: watson

Le plus puissant satiriste politique américain est de retour

C'est la nouvelle la plus commentée aux Etats-Unis: Jon Stewart est de retour dans l'émission The Daily Show. Huit ans après avoir raccroché, «fatigué d'être en colère», le plus libre et le plus puissant satiriste politique rempile pour désosser la campagne 2024. Ce sérieux rigolo a notamment une revanche à prendre sur Donald Trump, ce «Fuckface von Clownstick».
25.01.2024, 20:4926.01.2024, 12:13
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Nous sommes le 15 octobre 2004. Jon Stewart est l'invité de l'influente émission Crossfire, sur CNN, menée par deux monstres de l'arène médiatique: Paul Begala, ancien bras armé du président Clinton et un certain... Tucker Carlson. L'un de gauche, l'autre de droite (puis d'extrême droite, mais c'est une autre histoire).

Ce jour-là, en l'honneur de la star de The Daily Show, les règles du jeu seront bouleversées. En lieu et place du traditionnel duel entre deux adversaires politiques, Jon Stewart se retrouvera seul face aux pitbulls de CNN. Objectif annoncé: décortiquer et promouvoir son dernier bouquin satirique, America (The Book): A Citizen's Guide to Democracy Inaction.

Mais rien ne se déroulera comme prévu.

«Ecoutez-moi les gars. Arrêtez. S'il vous plait, arrêtez de faire du mal à l'Amérique avec votre émission»
Jon Stewart

Durant quinze longues minutes, il reprochera à Crossfire d'attiser la haine, de perturber le champ démocratique et de détourner les citoyens des vrais enjeux. Bien sûr, les hôtes ne se laisseront pas démolir sans réagir. Mais la féroce franchise de Stewart ne leur laissera aucune chance. «Vous êtes vraiment un con Tucker», finira-t-il par asséner, juste avant la pause pub.

Trois mois plus tard, le président de CNN annulera l'émission et poussera Tucker Carlson vers la sortie. «J'approuve sans réserve les conclusions de Jon», dira le nouveau patron de la chaîne, au moment de justifier son choix. Cette séquence politique restera l'une des plus virales du siècle aux Etats-Unis. Et le véritable détonateur de la carrière d'un nerveux surdoué, né Jonathan Stuart Leibowitz, à New York, en 1962.

Un journaliste? Un humoriste? Un activiste? Un fouteur de merde? Disons que s'il n'avait pas tenu aussi brillamment en équilibre au-dessus des étiquettes, Jon Stewart n'aurait pas été accueilli, cette semaine, comme le messie. Mercredi, les producteurs de The Daily Show ont annoncé son grand retour, dès le mois de février et pour toute la durée de la campagne présidentielle. Il y a neuf ans, quelques mois seulement avant le sacre de Donald Trump, il abandonnait pourtant la bataille, «dégoûté», après plus de seize années de succès.

«Je suis fatigué. Je suis en colère. Et je suis fatigué d'être en colère. Je ne trouve plus rien de drôle en ce monde. Je ne sais plus comment m'amuser avec la politique américaine»
Jon Stewart, à son successeur Trevor Noah, en 2015.

Le GIF à pop-corn

Cette «fatigue» et cette «colère» sont pourtant le fuel de Jon Stewart, qui n'a pas grand-chose de l'humoriste classique. Ce n'est pas le bon type qu'on invite en fin d'émission de radio pour «dérider les auditeurs». Loin de chasser la vanne à chaque phrase, c'est au contraire dans ses silences, ses déflagrations corporelles et ses mimiques que se planquent le véritable talent de l'un des types les plus sensibles des écrans américains.

Un amuseur armé, et à fleur de peau, qui sera naturellement intronisé au sein de la vénérable famille des GIF's. Oui, c'est lui. Le fameux bouffeur de pop-corn hypnotisé, qu'on utilise encore aujourd'hui pour signifier une polémique stérile sur le point d'éclore sur les réseaux sociaux.

Un observateur hors-pair, un justicier qui refuse de dire son nom, une éponge à merde(s) qui cherche constamment la faille, l'astuce, l'issue de secours pour supporter la violente absurdité du monde. Qu'il dévore bruyamment une tranche de pizza pour se ficher des goujateries de Donald Trump ou explose en larmes (et en direct) à la suite des attentats du 11-Septembre, Jon fut longtemps l'incarnation d'un raz-le-bol. La voix d'une génération qui observe, souvent avec impuissance, les gesticulations des puissants censés les protéger. Mais aussi le rempart à la politique spectacle et à cette huile jeté sur le feu par les médias biberonnés à l'angoisse permanente.

En 2013 déjà, il déclarait la guerre au bordélique futur 45e président des Etats-Unis, le traitant notamment de «Fuckface von Clownstick». Et Trump va bruyamment le détester jusqu'à son élection en 2016, conscient que ce combat entre deux (différents) clowns n'allait pas tourner à son avantage. Philosophiquement de gauche, mais disposé à offrir des claques à tout le nuancier politique, Jon n'épargnera jamais les chaînes d'info, surtout quand elles se mettront à jouer le jeu des populistes. Comme en avril 2023, dans son émission The Problem With Jon Stewart sur Apple+, revenant sur la première arrestation du candidat républicain à Manhattan.

«Vous avez traité l'arrestation de Trump comme une confrontation finale avec Thanos, au lieu d'évoquer une simple procédure juridique ennuyeuse»
Jon Stewart

Les médias? Sa «bête noire», sa «baleine blanche», le «petit pois sous mon matelas». Oh, rien à voir avec un Musk ou un Trump, en pleine guerre aveugle contre le deep state. Jon Stewart s'inquiète d'un émotion qui étouffe les faits. Des «adjectifs anxiogènes». Des «feuilletons de l’information» conçus pour «tenir en haleine». Des experts en tout, «alignés comme des soldats». Des «si c'est vrai, c'est très grave». Des entreprises de référence, de CNN au New York Times, qui préfèrent rappeler quotidiennement «qu'ils sont pourvoyeurs de vérité et de justice et gardiens de notre démocratie», au lieu «de le démontrer humblement». Des médias d'extrême droite qui, hélas, «sont d'une terrifiante efficacité».

«Rarement une institution aussi capitale que les médias n'a accusé une telle distance entre ses aspirations et ses actes»

Si les flèches qu'ils balancent sont empoisonnées, elles ont le mérite d'être étayées. Plus que tout, Jon Stewart dirige sa colère (et donc ses blagues) contre la pensée simpliste, la bêtise invasive, la manipulation politique, la fraude à grande échelle, l'injustice crasse et l'idéologie punitive. Pendant seize ans, il postillonnera devant la caméra, en gribouillant frénétiquement ses fiches comme une signature, pour flinguer toutes les hypocrisies. Sans réelle distinction, mais avec une jubilation contagieuse et habité par la même passion que ces profs d'histoire dont on buvait les paroles en classe.

Et, forcément, ce qui devait arriver... arriva.

Le puissant qui ne rit plus

Gamin, il a été élu «élève avec le meilleur sens de l'humour», avant de finir ses études supérieures en psychologie. Tour à tour barman, ouvrier, employé de centre commercial ou entraîneur de football, Jon Stewart s'est toujours considéré comme un «gauchiste qui réfléchit», un «rigolo inoffensif». Pas tout à fait. Après avoir aimanté les rires dans The Daily Show, le satiriste énervé a enfilé son costume de citoyen énervé, débranchant les blagues le temps d'engueuler les membres du Congrès américain. En 2019, l'oeil humide et le verbe assassin, il défendra férocement les survivants du 11-Septembre, face «au manque de courage du monde politique».

En cause, le fait que deux décennies après les attentats, le Fonds d'indemnisation des victimes n'a toujours pas été rendu permanent.

«C'est inadmissible. Pourquoi est-ce si long? Ces gens sont gravement malades, ces gens sont mourants!»
Jon Stewart

Jon Stewart a beau se planquer derrière son rôle de «fabricant de blagues», il pèse très lourd sur le débat politique américain. En 2015, pour prendre congé de son million de téléspectateurs quotidien, il conviera Barrack Obama dans The Daily Show. Ce n'est pas un secret, les deux hommes s'apprécient énormément.

WASHINGTON, DC - AUGUST 10: Comedian and activist Jon Stewart stands on the North Lawn of the White House in between media interviews after he attended the signing ceremony for the PACT Act on August  ...
Jon Stewart, sur le gazon de la Maison Blanche.Getty Images North America

Au point que le satiriste se rendra à plusieurs reprises à la Maison Blanche, invité «amicalement» ou en qualité de consultant. «J'ai l'impression d'être convoqué dans le bureau du directeur», plaisantera-t-il un jour avec un son garde du corps, à deux pas du Bureau ovale. Ses frondes contre l'intervention en Irak et le président George W. Bush, sa défense tonitruante des anciens combattants, son décorticage méticuleux des stratagèmes des extrémistes, Obama en était pleinement conscient: si Jon parle, l'Amérique écoute.

Ces dernières années, l'Amérique n'a pas arrêté de l'écouter, mais sur Apple+. Un show à taille humaine, avec une l'audience musclée. Deux saisons toujours aussi drôles, mais moins rentre-dedans que The Daily Show. A mi-chemin entre l'activiste du Capitole et le nerveux des années 2000.

«Trouver de vraies solutions en rigolant, c'est plus cathartique que de simplement crier sur l'écran», dira-t-il au New York Times en 2021, juste avant d'enregistrer le premier épisode. Jusqu'au clash, en fin d'année dernière. Le puissant commentateur a voulu évoquer la Chine et le danger de l'intelligence artificielle. Aïe, sujets sensibles pour la firme californienne. Au lieu d'édulcorer son show, il décidera de quitter bruyamment la pomme, libre comme un ver.

A 61 ans, l'infatigable Jon Stewart s'engage donc dans l'année 2024 avec la ferme intention de faire un peu le ménage dans une élection présidentielle chahutée et historique. Si son humour ne va pas bouleverser les résultats, les Américains retrouveront enfin leur petite soupape télégénique hebdomadaire. De quoi tenir jusqu'au 5 novembre?

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Video: watson
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