Lorsque le décès d'Elizabeth II a été annoncé, les dirigeants chinois ont tenu à montrer leur respect pour l'institution royale britannique et pour celle qui l'a incarnée pendant soixante-dix ans, laissant de côté les différends qui existent depuis quelques années entre la Grande-Bretagne et la Chine.
Le 9 septembre, la télévision publique chinoise, CCTV, a ainsi indiqué:
Le message a été adressé au roi Charles III tandis que le Premier ministre chinois Li Keqiang a envoyé ses condoléances à la Première ministre britannique, Liz Truss.
Puis, l'une des porte-parole du ministère chinois des Affaires étrangères, Mao Ning, a déclaré que la reine avait apporté des contributions importantes pour renforcer la compréhension entre les peuples chinois et britannique, et avait développé les échanges amicaux entre les deux pays. Enfin, le 12 septembre, Wang Qishan, vice-président chinois, s'est rendu à l'ambassade du Royaume-Uni à Pékin. Il s'est recueilli en silence devant un portrait de la reine Elizabeth, avant de signer le livre de condoléances.
Le vice-président a par la suite rappelé que le Royaume-Uni et la Chine fêtaient cinquante ans de relations diplomatiques et a ajouté:
La presse chinoise a largement repris tous ces propos officiels en rappelant également qu'en 1986, Elizabeth II avait été le premier monarque britannique à effectuer une visite en Chine. Elle avait alors été reçue à Pékin avec égards et sourires par Deng Xiaoping, l'homme fort du régime, avait pu visiter la Cité interdite, le Temple du Ciel, la Grande Muraille. On devine sa popularité dans cette Chine qui, dans les années 1980, commence à s'ouvrir au monde.
En marge de ce séjour, le prince Philip, qui accompagne son épouse, s'était rendu à la grande université de Pékin pour y rencontrer les étudiants anglais. Avec la forme d'humour particulière qui le caractérisait, il leur avait alors conseillé de «ne pas rester trop longtemps en Chine, au risque d'avoir les yeux bridés». Le Foreign Office formulera des excuses et s'efforcera de faire en sorte que ces propos soient le moins possible repris dans la presse anglaise.
La semaine du couple royal s'était ensuite poursuivie à Xi'an (Shaanxi), Kunming (Yunnan), Canton (Guangdong) et Shanghai, où la reine avait invité des membres du gouvernement chinois à un banquet à bord du royal yacht Britannia. Cette visite incontestablement réussie d'Elizabeth II a montré que le Parti communiste chinois ne souhaitait plus faire allusion aux relations passées entre la Grande-Bretagne et la Chine.
Au XIXe siècle, la Compagnie britannique des Indes orientales importait du pays asiatique de la soie, du thé et de la porcelaine qu'elle envoyait vers l'Europe. Et payait ces produits à l'aide d'opium récolté en Inde, qui s'est donc répandu dans de nombreuses fumeries en Chine. Le gouvernement de l'Empire chinois s'opposant à ce commerce, deux «guerres de l'opium» furent déclenchées.
En 1859, des troupes françaises s'associèrent au corps expéditionnaire anglais. Mais, alors que le but officiel de l'expédition française était d'installer des missionnaires catholiques en Chine, la Grande-Bretagne visait surtout à préserver ses intérêts économiques. Ce qui fut le cas avec la victoire franco-anglaise qui, en 1860, obligea la Chine à se plier aux exigences des deux nations européennes.
Ces différents épisodes n'ont toutefois pas provoqué un ressentiment démesuré à l'égard du Royaume-Uni lorsque la Chine est devenue une république populaire en 1949. Cette année-là, les Britanniques, à la différence des autres pays occidentaux, ont décidé de ne pas supprimer leur ambassade à Pékin. Un simple chargé d'affaire en assurait la responsabilité et un autre dirigeait leur représentation à Taïwan.
Surtout, la Grande-Bretagne avait, depuis 1898, une colonie attenante à la Chine: Hong Kong.
Sur ce territoire hongkongais densément peuplé, les compétences commerciales et financières se sont rapidement développées. À partir de 1949, l'économie communiste chinoise, largement coupée du reste du monde, a donc abondamment profité de Hong Kong: une importante partie de ses devises étrangères en provenait.
Mais la question de la fin du bail, prévue en 1997, se posait à la Grande-Bretagne. Deng Xiaoping et les dirigeants chinois ne semblaient pas avoir hâte de l'aborder et ont, semble-t-il, été surpris lorsque la Première ministre anglaise Margaret Thatcher, au cours d'une visite officielle à Pékin en 1982, a fait savoir que son pays ne souhaitait pas garder Hong Kong après 1997.
Un deuxième voyage en 1984 fixera les conditions de cette «restitution», notamment une période de cinquante ans de semi-autonomie pour le territoire (une disposition largement bafouée en 2020, lorsque Pékin a unilatéralement repris Hong Kong en main). Enfin, en 1986, le voyage d'Elizabeth II était symboliquement venu clore le processus de négociations en vue de la restitution de Hong Kong à la Chine. D'ailleurs, avant d'arriver à Pékin, la reine était passée par ce territoire alors britannique.
En ce mois de septembre 2022, les Hong Kongais ont chaleureusement salué sa mémoire. Bien que les rassemblements soient interdits sous prétexte de Covid, ils ont été très nombreux à se rendre devant le consulat du Royaume-Uni pour y déposer des fleurs. Le média en ligne HK01 a par ailleurs rappelé qu'avant 1986, Elizabeth II s'était déjà rendue une première fois à Hong Kong en 1975, au cours de laquelle:
Tout cela exprime une discrète nostalgie de l'époque coloniale. Personne ne rappelle qu'en 1967, au plus fort de la révolution culturelle en Chine, de violentes manifestations antibritanniques avaient été organisées par des maoïstes et qu'une vingtaine d'entre eux avaient été abattus par la police. À la suite de quoi, la Hong Kong Police force avait été félicitée par le gouvernement britannique, tandis que la reine lui attribuait l'honneur d'ajouter l'épithète «royal» à son nom.
Au cours des quarante dernières années, les principaux dirigeants chinois ont effectué des visites officielles à Londres et ont rencontré la reine. Outre les visites des Premiers ministres successifs, en 1999, Jiang Zemin est le premier président de la République populaire de Chine à faire une visite d'État en Grande-Bretagne et à être accueilli pour un dîner officiel à Buckingham Palace. En 2005, c'est Hu Jintao qui est tout aussi officiellement reçu par la reine. Puis, en 2015, c'est le tour de Xi Jinping. La réception d'octobre 2015 est entourée du faste habituel. Le président chinois arrive au palais dans un carrosse doré attelé de chevaux blancs et est accueilli par Elizabeth II.
Mais en mai 2016, au cours d'une garden-party dans le parc de Buckingham, une officière de police anglaise en uniforme raconte à la reine qu'elle a participé à la sécurisation de ce voyage de Xi Jinping sept mois plus tôt. «Oh! pas de chance», répond Sa Majesté.
Le lord chambellan qui est présent explique que la policière a été bousculée par le service d'ordre chinois de Xi Jinping tandis que l'officière confie:
Elle explique notamment que des responsables chinois ont quitté une rencontre avec Barbara Woodward, ambassadrice du Royaume-Uni en Chine, affirmant subitement que leur visite était terminée.
L'ensemble de cette conversation a été filmé par une équipe de télévision de Buckingham Palace. La reine ne l'avait pas remarqué ou pensait parler trop bas pour pouvoir être enregistrée... Mais il y avait là de quoi jeter une ombre sur la visite de Xi Jinping alors qu'à cette époque, le Premier ministre David Cameron tenait particulièrement à développer les relations commerciales entre le Royaume-Uni et la Chine.
À Pékin, le ministère des Affaires étrangères a alors rappelé avec force que la visite du numéro 1 chinois à Londres a été «très fructueuse». Mais chaque fois qu'il a été fait allusion à cet incident sur la chaîne BBC diffusée en Chine, les propos ont été coupés.
Un contentieux beaucoup plus large s'est installé en 2021: Londres a révoqué la licence de diffusion en Grande-Bretagne de la CGTN, la chaîne internationale de la télévision chinoise, estimant que sa ligne éditoriale était exclusivement fixée par le Parti communiste chinois. Pékin a répliqué en accusant la BBC de «parti pris idéologique et de diffusion de fausses informations» à la suite d'un reportage sur le Covid-19 en Chine.
Bien d'autres sujets d'affrontements se sont par ailleurs déclenchés entre les deux pays. Le gouvernement britannique a ainsi accompagné la dégradation des relations entre la Chine et les États-Unis, instaurée par l'administration Trump et que la présidence Biden ne dément pas.
L'attitude autoritaire de Pékin à l'égard de Hong Kong est notamment vivement remise en cause à Londres. En janvier 2021, le gouvernement anglais a accordé des droits privilégiés à des ressortissants de son ex-colonie, qui leur ont permis d'émigrer en Grande-Bretagne et d'y demander leur naturalisation. La répression des populations ouïgoures du Xinjiang est également un solide différend entre Londres et Pékin.
Sur le plan économique, Boris Johnson a exclu Huawei, le géant chinois des télécoms, du réseau 5G britannique en 2021, en raison de préoccupations de sécurité intérieure. Ce qui a évidemment été très mal pris par le gouvernement chinois. Quant à Liz Truss, la nouvelle Première ministre britannique, elle a d'ores et déjà qualifié la Chine de «menace pour la sécurité nationale».
De leur côté, avant la période Covid, les membres de la famille royale britannique ont régulièrement effectué des voyages en Chine. En 1997, le prince Charles représentait la couronne à Hong Kong lors de la cérémonie de restitution du territoire à la Chine. En 2015, le prince William, duc de Cambridge, a été reçu à Pékin par le président Xi Jinping, puis est allé dans la province du Yunnan où il a visité une réserve naturelle comprenant un sanctuaire pour éléphants.
En 2016, c'était au tour du prince Andrew d'être reçu par Xi Jinping. Dès le 10 septembre, le dirigeant a par ailleurs envoyé un message de félicitations au roi Charles III. Il écrit:
Ce genre de formulation révèle qu'après la trêve imposée par le décès d'Elizabeth II, le secrétaire général du Parti communiste chinois entend garder de bonnes relations avec Charles III, alors que cela semble plus difficile avec le gouvernement britannique. Mais dans l'immédiat, la plupart des badges, pin's et autres T-shirts à l'effigie d'Elizabeth II qui sont en vente en Grande-Bretagne sont «made in China».
Cet article a été publié initialement sur Slate. Watson a changé le titre et les sous-titres. Cliquez ici pour lire l'article original