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Comment la Lituanie résiste à la Russie «depuis 700 ans»

FILE - Thousands gather outside of the Parliament in a show of solidarity with Latvians who are mourning those killed by Soviet "Black Berets", an elite force of Soviet Interior Ministry tro ...
Vilnius, janvier 1991: des milliers de Lituaniens manifestent leur solidarité avec les Lettons tués par l'Union soviétique.photo: keystone

Comment la Lituanie résiste à la Russie «depuis 700 ans»

L'histoire des pays baltes est aussi celle de la menace quasi intemporelle de son grand voisin russe. Les dissidents du régime de Poutine sont les bienvenus en Lituanie, mais ils sont aussi vus d'un œil critique. Il faut dire que l'histoire entre les deux pays est particulièrement compliquée.
14.01.2023, 07:5914.01.2023, 12:49
Hansjörg Friedrich Müller, Vilnius / ch media
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Depuis l'invasion russe de l'Ukraine, le projecteur s'est naturellement posé sur les petits pays voisins de la Russie, qui craignent eux aussi un sujet de voir les blindés russes s'élancer sur leurs routes. Parmi eux, les premiers exposés sont les pays baltes.

La Lituanie, un pays de moins de trois millions d'habitants, est située le plus au sud au sein du «trio». Ce pays a des dizaines de kilomètres de frontière avec la Biélorussie et l'enclave russe de Kaliningrad, mais pas du reste du pays. Sa capitale, Vilnius, est située à tout juste vingt kilomètres de la Biélorussie d'Alexandre Loukachenko, fidèle allié de Poutine.

Il fait froid à Vilnius, en ce mois de janvier 2023. Des glaçons pendent aux gouttières et marcher sur les trottoirs est un réel exercice d'équilibre. Pourtant, la ville rayonne en de nombreux endroits d'une sérénité presque méridionale.

Le centre est marqué par des églises baroques car, comme les Polonais et contrairement à leurs voisins baltes, la plupart des Lituaniens sont catholiques. Des magasins et restaurants modernes montrent à quel point le pays a rattrapé son retard économique au cours des dernières décennies.

Résistance face à Moscou... et Pékin

En bordure de la vieille ville, dans un quartier qui rappelle la Russie avec ses maisons en bois colorées, se trouve un bungalow. C'est le siège de l'Eastern Europe studies center, un groupe de réflexion dont les promoteurs sont le gouvernement et l'université de Vilnius. Linas Kojala, son directeur, n'a que 32 ans. Des séjours à Oxford et à Harvard émaillent le CV de ce politologue.

Car la Lituanie a beau être petite, sa politique étrangère est fixée sur des bases solides: en septembre 2022, Vilnius a ouvert une représentation à Taiwan. Pékin a ensuite retiré son ambassadeur. Défier la Chine alors que l'on a la Russie à sa porte, n'est-ce pas un peu suicidaire?

Le petit pays s'est-il inutilement mis en danger? «Il est encore trop tôt pour peser les dommages et les avantages de notre politique vis-à-vis de la Chine», répond diplomatiquement Kojala.

Le gouvernement lituanien n'a cependant pas pu anticiper toutes les conséquences économiques qui ont découlé de ces décisions. «Pékin a pris des sanctions indirectes. Les ports chinois ont commencé à nous dire qu'ils ne pouvaient soudainement plus inclure la Lituanie dans les listes présentes sur leurs serveurs, ce genre de choses». Les marchandises ne sont donc jamais arrivées à bon port jusqu'à Vilnius.

«Nous voulions montrer que nous avons compris que la Chine est le véritable adversaire à long terme. Notre pays ne se préoccupe pas que d'un seul sujet»
Linas Kojala, directeur de l'Eastern Europe studies centre
Linas Kojala.
Linas Kojala.photo: EESC

La clarification de la ligne de politique étrangère a toutefois permis de faire réagir d'autres gouvernements:

«Washington nous a entendus. Et seuls les États-Unis peuvent exercer une dissuasion militaire efficace. Seule, l'Europe ne peut pas se défendre»
Linas Kojala, directeur de l'Eastern Europe studies centre

Car certains à Vilnius craignaient que les Etats-Unis n'oublient un jour les petits Etats européens. Et pour de nombreux Lituaniens, c'est bien Washington, et non Bruxelles, Berlin ou Paris, qui sont garants de la sécurité du pays.

Vilnius-Washington, un lien de vingt ans

A l'hôtel de ville de Vilnius, une plaque commémorative rappelle la visite d'un important homme politique occidental, mais qui ne jouit pourtant pas d'une grande estime dans le reste de l'Europe: George W. Bush. Ou la traduction lituanienne de son nom: Džordžas Volkeris Bušas. Voici ce que dit la plaque:

«Celui qui décide de faire de la Lituanie un ennemi, en verra aussi un dans les Etats-Unis d'Amérique»
Plaque commémorative posée par George W. Bush en 2002

Devant le palais présidentiel tout proche flotte le drapeau de l'UE, mais aussi celui de l'OTAN. Une image peu habituelle pour les capitales européennes.

«Les Soviétiques ont oublié de repartir»: la bonne blague

L'envie d'aller vers l'Occident est compréhensible: dans le passé, le destin de la Lituanie a trop souvent été déterminé par son puissant voisin de l'est.

Les choses datent de 1795, lorsque le pays devient une province de l'empire tsariste. Après la Première guerre mondiale, le pays obtient son indépendance vis-à-vis de la Russie. Mais cela est de courte durée: en mai 1940, alors qu'Hitler lance ses blindés sur la France, Staline envahit les pays baltes.

A la fin de la guerre, «les Soviétiques ont oublié de repartir», comme disent les Lituaniens avec une pointe d'ironie. Le pays ne retrouvera à nouveau son indépendance qu'à la chute de l'URSS. Aussi, on peut comprendre, avec plus de 200 ans d'aller et retour d'indépendance vis-à-vis de la Russie, une pointe qu'inquiétude dans le cœur des Lituaniens.

Le russe, la langue de l'ennemi

Nous rencontrons Marius Ivaškevičius dans un café de la vieille ville de Vilnius. Cet homme de 49 ans est l'un des dramaturges les plus importants de Lituanie. Il y a peu, ses pièces étaient également jouées en Russie. En 2017, il y a reçu un prix théâtral renommé. Et il a sa propre vision de l'histoire russo-lituanienne:

«Nous sommes en guerre avec la Russie depuis 700 ans. Tout ce qui s'est passé entre deux, ce sont des pauses»
Marius Ivaškevičius, dramaturge lituanien
Marius Ivaškevičius.
Marius Ivaškevičius.photo: AZ/Laura Vanceviciene

Selon le dramaturge, ceux qui ont décidé de rester dans l'empire de Poutine et continuent à y faire carrière se comportent comme «ces Allemands qui se sont arrangés avec le nazisme».

«Je n'ai encore des contacts qu'avec les Russes qui ont quitté le pays. Sinon, c'est silence général»
Marius Ivaškevičius

Contrairement aux Géorgiens ou aux membres des anciennes républiques socialistes d'Asie centrale, les pays baltes jouissaient de certains privilèges à l'époque du communisme. Dans les écoles, si le russe comme langue étrangère était obligatoire, l'enseignement était toutefois dispensé dans les langues nationales.

«Les plus de 35 ans parlent encore le russe, les plus jeunes, l'anglais», image Marius Ivaškevičius. Son ancienne épouse aurait voulu que leur fille apprenne le français. Mais il en a été autrement:

«J'ai plaidé pour que ma fille apprenne le russe. Il faut comprendre la langue de l'ennemi. A l'époque, je le pensais encore en plaisantant. Désormais, ce n'est plus une blague»
Marius Ivaškevičius

Sur la liste du gouvernement russe

La minorité russe en Lituanie est relativement petite, contrairement à l'Estonie et la Lettonie, où près d'un quart de la population est composé de Russes en exil. Les Lituaniens ont donc moins peur des tentatives d'influence de Moscou que leurs voisins du nord.

Dmitry Kolezev est un homme maigre et sérieux avec des lunettes nickelées. Une image type d'intellectuel russe en exil. Le journaliste de 38 ans est arrivé à Vilnius avec sa femme en mai. Le 28 février, quelques jours après l'invasion russe de l'Ukraine, tous deux ont quitté leur ville natale d'Ekaterinbourg, à l'ouest de la Sibérie.

Dmitri Kolezew.
Dmitri Kolezev.photo: Republic.ru

«Ici, à Vilnius, personne ne se méfie de moi parce que je suis russe», explique Dmitry Kolezev. Cela s'explique aussi par le fait que les réfugiés ukrainiens sont pour la plupart originaires de l'est du pays et parlent russe. Les Lituaniens ne remarquent donc pas vraiment la différence.

Dmitri Kolezev affirme figurer sur une liste de personnes recherchées par le gouvernement russe pour avoir diffusé de «fausses informations» sur le massacre de Boutcha. Autrement dit: pour avoir fait son travail correctement.

Un aller simple hors de Russie

En Russie, Kolezev était considéré comme un «agent étranger». Tous les trois mois, il devait fournir au ministère de la Justice des informations sur ses revenus et les mouvements de ses comptes.

«Je ne compte pas retourner en Russie»
Dmitri Kolezev

Kolezev est rédacteur en chef de Republic, un média en ligne qui compte une bonne douzaine de collaborateurs. Certains de ses collègues de la rédaction vivent encore en Russie, mais ils sont désormais en minorité. La plupart vivent en Allemagne, en France, au Monténégro ou en Israël. Kolezev explique avec fierté que le média est financé exclusivement par ses abonnés, à l'image d'un Mediapart. «Nous sommes complètement indépendants», assure-t-il.

Le journaliste tient à préciser qu'il emploie également des auteurs ukrainiens. Le fait que Russes et Ukrainiens s'entendent bien est loin d'être évident, même à Vilnius, où la plupart des Russes rejettent le régime de Poutine:

«Pour certains Ukrainiens, chaque Russe ou presque est un ennemi»
Dmitri Kolezev

Les Biélorusses, en revanche, sont plus proches des Russes, indique-t-il. Par la langue, mais aussi parce qu'ils se trouvent dans une situation similaire: «Nos deux pays sont dominés par des dictateurs, et d'une certaine manière, nous nous sentons aussi coupables à cause de cela».

Accueil des réfugiés politiques

La Lituanie accueille les réfugiés politiques russes à bras ouverts: le ministère des Affaires étrangères a mis en place des programmes spéciaux pour les journalistes afin de soutenir leur travail.

Cela ne va pas de soi: début décembre et plus au Nord, le gouvernement letton a retiré la licence de diffusion à la chaîne de télévision russophone Dojd. Pour Kolezev, c'est un signal négatif, même s'il trouve cela compréhensible, au vu des évènements.

«Peut-être que les pays baltes ne sont pas l'endroit le plus sûr pour nous à long terme»
Dmitri Kolezev

«L'impuissance apprise» des Russes

De nombreux Lituaniens soutiennent activement l'Ukraine. Laurynas Katkus vient de rentrer de Kiev; il est maintenant assis dans un restaurant polonais rustique à la périphérie de Vilnius. Ce quinquagénaire est l'un des poètes les plus connus du pays, mais est aussi romancier et traducteur. Il a notamment traduit en lituanien des œuvres de Friedrich Hölderlin, Gottfried Benn et Walter Benjamin.

Laurynas Katkus
Laurynas Katkus.photo: AZ/zvg

«Nous avons récolté de l'argent au sein de l'Union des écrivains, pour les familles d'auteurs assassinés, mais aussi pour l'armée ukrainienne», raconte-t-il. Katkus voit d'un œil critique le comportement de certains Russes dans les pays baltes:

«Ce sont les adversaires de Poutine, mais sont-ils aussi les ennemis de l'impérialisme? Beaucoup de choses ne sont pas remises en question»
Laurynas Katkus

«Les Russes ont le sentiment d'appartenir à une grande nation en exil», image Laurynas Katkus. «Ils s'isolent souvent et ne montrent guère d'intérêt pour leur pays d'accueil.» A cela s'ajoute le fait que la guerre a montré à quel point les politiciens russes qui ne sont pas dans le sérail du gouvernement sont impuissants. «S'agit-il d'une impuissance apprise?», questionne Katkus. «La réponse pourrait être désagréable.»

De nombreux Russes ont déclaré qu'il ne servait de toute façon à rien de protester. «Les Ukrainiens, en revanche, sont immédiatement montés au front.» Bientôt, Laurynas Katkus a l'intention de retourner à Kiev. Car le combat des Ukrainiens est aussi celui de Lituaniens.

Elle critique la guerre et se fait virer d'un bus
Video: watson
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