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Guerre contre l'Ukraine

Ukraine: le job de «Tulipe noire» est dangereux, mais essentiel

April 12, 2023, Kyiv, Ukraine: Servicemen hold Ukrainian flag by the coffin during the funeral of Evgeny Yakovlev, 42, a soldier killed by Russian forces on eastern Ukrainian front in a combat, at the ...
Des soldats pleurent un autre soldat dans un cimetière de Kiev.image: imago

Le job de «Tulipe noire» est dangereux, mais essentiel en Ukraine

En Ukraine, plus de 7000 soldats sont considérés comme disparus. Sur les champs de bataille, l'organisation «Tulipe noire» les recherche afin de permettre aux familles d'enterrer leurs proches et faire enfin leur deuil.
14.05.2023, 08:0014.05.2023, 11:07
Kurt Pelda, bohorodychne (ukraine) / ch media
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Devant la gare de Sloviansk, une camionnette blanche, que l'on distingue parmi la bruine et les nuages, est garée avec de grandes croix rouges et le chiffre 200. En Ukraine, chaque enfant sait désormais ce que signifie ce code: 200 pour les morts et 300 pour les blessés. Oleksij Jukow et cinq de ses collaborateurs partent avec le camion frigorifique blanc vers un village situé au nord-ouest de la ville industrielle de Sloviansk, le village de Bohorodychne qui a été complètement détruit par les combats.

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Un village abandonné au front

Les Russes ont d'abord bombardé le village au printemps 2022, lorsqu'ils sont parvenus à traverser le fleuve Donets depuis le nord et à s'emparer des chaînes de collines entourant la petite localité. L'automne dernier, les Ukrainiens sont revenus avec une grande contre-offensive et ont chassé l'armée russe. Désormais, le village abandonné est loin du front, seuls des tirs d'artillerie se font encore vaguement entendre au loin.

Depuis près de 25 ans, Oleksij Jukow recherche des cadavres. Il est tombé sur son premier corps à l'âge de 7 ans, alors qu'il jouait avec des amis sur un terrain à Sloviansk où un hôpital était en construction. Il s'avère qu'un ancien cimetière avait été creusé à cet endroit.

Depuis cette expérience, le jeune homme de 37 ans se demande pourquoi les morts ne sont pas rendus à leurs proches et enterrés correctement. Adulte, il a recherché les ossements de soldats allemands et russes des deux guerres mondiales. Et depuis l'occupation partielle du Donbass par les troupes russes et les séparatistes en 2014, lui et son équipe reçoivent régulièrement des appels de parents ou de frères et sœurs désespérés, à la recherche de leurs proches disparus sur le champ de bataille.

L'organisation de Jukow s'appelle «Tulipe noire». Ce nom rappelle l'avion de transport qui, dans les années 1980, ramenait d'Afghanistan les soldats de l'Armée rouge morts au combat. A l'époque déjà, le code «Fret 200» était utilisé.

7000 soldats ukrainiens portés disparus

La nouvelle guerre, qui fait rage depuis plus d'un an, pousse l'organisation humanitaire de Jukow à la limite de ses capacités. Les autorités ukrainiennes recherchent désormais plus de 7000 soldats portés disparus. Personne ne sait combien il y en a du côté russe. Mais lorsque la «Tulipe noire» trouve des corps russes, ceux-ci sont également collectés et, si la situation le permet, échangés contre des corps ukrainiens que les Russes ont récupérés.

Jukow porte des bottes en caoutchouc, car le terrain, en dehors des chemins, est encore constitué de boue. Il est habillé d'une tenue de camouflage comme en portent les chasseurs. Lorsque la petite colonne se met en marche, la pluie s'arrête. Outre un journaliste ukrainien, une équipe de télévision danoise composée de deux personnes est également de la partie. Le caméraman porte des chaussures de tennis blanches et des chaussettes blanches, pas vraiment l'équipement idéal pour la saison, malgré qu'elle touche à sa fin. Jukow nous met tous en garde contre les mines.

«Ici, dans la forêt, il peut y avoir des mines et des bombes non explosées partout. Marchez donc tous les uns derrière les autres, dans les pas de celui qui vous précède»

La marche se déroule dans une forêt dévastée. Les roquettes et les obus ont décapité la cime de nombreux arbres. La région rappelle parfois les images de la Première Guerre mondiale. Nous passons par endroits devant des tranchées, des bunkers et des barbelés ou des épaves de camions et de chars ainsi que des roquettes qui n'ont pas explosé. Des munitions, des bazookas rouillés, des grenades à main et des mines antichars sont même éparpillés un peu partout.

Bataille au sommet de la colline

Après un peu plus d'une heure, nous arrivons au sommet d'une colline où les combats semblent avoir été intenses. «Nous avons reçu des informations selon lesquelles deux soldats ukrainiens disparus pourraient se trouver ici quelque part», explique Jukow.

«Nous devons fouiller une surface d'environ un kilomètre carré. Nous avons déjà passé deux jours ici et avons trouvé des restes d'os d'un soldat. Mais comme il y avait beaucoup de mines, nous avons dû attendre que les démineurs fouillent le terrain et désamorcent les engins explosifs.»

A environ 30 m de la piste boueuse, les hommes découvrent un tas de terre de forme allongée. Apparemment, il a été empilé à la hâte. On voit même quelque chose de clair apparaître dans la boue, peut-être la calotte crânienne d'un mort. Les bénévoles marquent la tombe présumée avec des rubans rouges et blancs et commencent à enlever la terre avec précaution. Ils creusent également avec les mains et écrasent la terre entre leurs doigts afin que rien ne leur échappe. C'est ainsi qu'ils trouvent rapidement un téléphone portable et un détonateur de grenade à main.

Au fil du temps, l'uniforme de l'homme tombé au combat apparaît, avec en dessous quelques os de côtes. Le corps doit être là depuis assez longtemps, car il ne reste du tissu qu'au niveau du crâne. L'homme avait les cheveux blonds et courts. Là où se trouvait autrefois sa cuisse gauche se trouve un garrot usé. C'est ainsi que le soldat, ou l'un de ses camarades a tenté d'arrêter le saignement. Jukow pense qu'un pied a probablement été arraché pendant le combat. L'homme se serait très probablement vidé de son sang.

«Le corps date de l'attaque des Russes sur cette colline en mai, il y a un an»
Oleksij Jukow

Une fine branche est plantée dans l'orbite gauche du crâne. Elle était déjà sortie du monticule de terre avant que celui-ci ne soit déblayé. C'est un indice que les Russes ont enterré le soldat à la hâte et ont maltraité le corps. Les camarades ukrainiens du défunt ne lui auraient probablement rien enfoncé dans l'œil.

Le signe distinctif qui permet l'identification

Entre-temps, les autres secouristes ont trouvé un insigne aux couleurs nationales ukrainiennes, bleu et jaune, sur l'uniforme ainsi qu'une plaque d'immatriculation de la 81e brigade aéroportée. Toutes les informations sont soigneusement notées au feutre sur un tableau blanc. Après avoir dégagé le corps, les hommes placent un épais film plastique à côté de la tombe et y déposent délicatement le crâne, les os restants, les pièces d'uniforme et la ceinture.

Toutes les pièces à conviction sont également placées sur le film et marquées d'un numéro. Pendant que les secouristes s'occupent de récupérer le corps, Jukow explore les environs. Au lieu d'un bâton de marche, il a emporté un long bâton en acier fin et élastique. Celle-ci est dotée d'un épais manche en bois et le chef de la «Tulipe noire» s'en sert pour enfoncer profondément et à plusieurs reprises l'aiguillon de fer dans la boue. Après l'avoir retiré, il retourne la tige et en sent l'extrémité. L'odeur typique d'un cadavre pourrait révéler l'endroit où un autre mort est enterré. Mais il ne trouve rien.

L'un des bénévoles filme la phase finale de l'extraction depuis le haut avec un petit drone. Les images permettront ensuite d'identifier le défunt lors de l'examen médico-légal à la morgue de Sloviansk. Une comparaison de l'ADN est également prévue, selon Oleksij Jukow, qui est désormais une légende à Sloviansk et dans les environs. «A la fin, nous saurons de qui il s'agit et ses proches pourront l'enterrer.»

Traduit et adapté par Nicolas Varin

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