On pourrait penser que la première réunion du Parti travailliste, après 15 ans sans être au pouvoir, serait teintée d'une ambiance joyeuse parmi les délégués. Eh bien non. A Liverpool, dans le nord de l'Angleterre, l'atmosphère de cette convention, pilotée par le nouveau premier ministre Keir Starmer était plutôt morose, semblable à un temps pluvieux et froid. Moqué comme le «roi des quémandeurs», Starmer fait face à une fronde.
En pleine campagne électorale, on avait appris que Keir Starmer, alors chef de l'opposition, avait reçu de la part d'un Lord travailliste, Lord Waheed Alli, des costumes et des lunettes d'une valeur de 18 685 livres (21 076 francs). Plus tard, une autre révélation: Alli avait également contribué à étoffer la garde-robe de l'épouse de Starmer, Victoria, en lui offrant 5000 livres. Ces dons n'avaient soit pas été déclarés correctement, soit été ignorés dans les comptes.
Le tabloïd Daily Star s'est aussitôt moqué du chef du gouvernement en le qualifiant de «roi des pique-assiettes», tandis que d'autres gros titres n'étaient guère plus tendres. «Starmer reçoit des conseils épouvantablement mauvais», estime Scarlett McCwire, experte en relations publiques proche du Labour. Après des révélations liées à des cadeaux en nature offerts par Alli à la vice-première ministre Angela Rayner, à la ministre des Finances Rachel Reeves et à d'autres femmes politiques de haut rang, le gouvernement a tiré la sonnette d'alarme: «A l'avenir», ces dons ne seraient plus acceptés.
Cependant, Starmer et son entourage continueront à accepter des invitations à des concerts et événements sportifs. Récemment, le premier ministre a reçu deux billets d’une valeur de 4000 livres chacun pour un concert à guichets fermés de Taylor Swift – offerts, ironie du sort, par la Premier League. Ce groupe de pression s'oppose actuellement avec vigueur au projet gouvernemental de créer une autorité de régulation du football, destinée à éradiquer les pratiques corrompues des grands clubs.
Le congrès du parti est placé sous la devise «Change begins», c'est-à-dire «Le changement commence». Cependant, les récents gros titres ont suscité des doutes chez de nombreux Britanniques quant à savoir si la relation négligente des politiciens avec l'argent, observée depuis l'époque de Boris Johnson, a réellement changé.
Deux mois et demi à peine après les élections, la moitié des Britanniques se disent «déçus», selon l'institut de sondage Ipsos, de l'action gouvernementale menée jusqu'à présent, dont on ne voit en réalité que peu de choses en dehors de la rhétorique. Des sièges locaux ont déjà été perdus lors d'élections partielles, et les sondages ne présagent rien de bon pour l'avenir.
Les conservateurs sont totalement absorbés par leurs propres affaires: lors de leur congrès la semaine prochaine, les quatre candidats à la succession de l'ancien premier ministre, Rishi Sunak, en tant que chef de parti se préparent à défiler, la décision n'étant attendue que début novembre.
Notons qu'à droite, un adversaire dangereux émerge pour le Labour. Nigel Farage (anciennement Ukip et Brexit Party) a remporté 14 % des voix lors des élections de juillet, ainsi que cinq sièges à la Chambre des communes. Le tribun populiste et son groupe exclusivement masculin ciblent désormais le Labour. Dans 98 des 650 circonscriptions, le parti Reform UK est arrivé en deuxième position. Dans 89 de ces circonscriptions, les députés du Labour doivent désormais faire face à la concurrence.
Starmer a récemment affirmé qu'il avait «tout sous contrôle». Dans son discours de politique générale, lors du congrès de mardi après-midi, il a demandé de la patience. Pour les problèmes profondément enracinés du pays après 14 ans de gouvernements conservateurs, il n'y a «pas de réponses simples», a souligné le dirigeant de 62 ans. Il a promis qu'aux «difficultés à court terme» succéderait une «renouvellement à long terme dont nous bénéficierons tous».
Cela s'applique-t-il aussi à son entourage proche? Depuis des mois, les observateurs du Labour se concentrent sur Sue Gray. Cette fonctionnaire chevronnée de 66 ans est devenue directrice de cabinet de Starmer l'automne dernier, avec un pouvoir largement incontesté.
Le degré de méfiance et de jalousie que Gray suscite au sein du gouvernement a éclaté ces derniers jours. La BBC a appris de plusieurs sources que la conseillère politique perçoit un salaire annuel de 170 000 livres (191 870 francs), soit 3200 de plus que le premier ministre et 25 000 livres de plus que le directeur de cabinet de l'ancien premier ministre conservateur, Rishi Sunak. La révélation a été d'autant plus explosive que les conseillers politiques des ministres du cabinet ont dû accepter de fortes réductions de salaire.
Traduit et adapté par Noëline Flippe