C'est un premier pas. Sur le front sud, l'armée ukrainienne serait parvenue à percer la première ligne de défense de l'ennemi. Le village de Robotyne, dans la région de Zaporijjia, a été «libéré», a confirmé lundi la vice-ministre ukrainienne de la Défense Hanna Maliar. La tant attendue contre-offensive ukrainienne pourrait donc enfin progresser.
Ukrainian warriors have done extraordinary things. Ukraine has shown that the liberation of our land during combat operations is no accident. Everything is deserved. It is the heroism of our people and the defense support from our partners. It is the courage of Ukrainians and the… pic.twitter.com/2CzQ2NiNZR
— Володимир Зеленський (@ZelenskyyUa) August 28, 2023
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Gustav Gressel, expert militaire, explique ce que signifie la possible percée de la première ligne de défense principale russe pour la suite de la guerre en Ukraine et pourquoi Vladimir Poutine s'obstine et ne laisse aucune perspective de négociation.
L'armée ukrainienne a annoncé un important succès militaire sur le front sud. L'Ukraine a-t-elle effectivement réussi une percée sur la première ligne de défense russe?
Gustav Gressel: Il y a différentes cartes qui indiquent où se trouvent exactement les lignes de défense russes, la situation est donc encore un peu floue. Il ne s'agit pas d'une percée sur un large front, mais à un endroit au sud de Robotyne, où les troupes ukrainiennes semblent avoir ouvert une brèche.
La situation reste donc difficile pour l'Ukraine?
En partie. Les Russes ont déployé des réserves dans la région sous la forme de deux régiments de troupes aéroportées et d'une brigade blindée de la 58e armée. Les prochains jours seront difficiles pour l'Ukraine, car elle doit défendre la percée contre les contre-attaques russes.
Mais l'armée ukrainienne n'a-t-elle pas un avantage stratégique au combat sur cette partie du front?
Tout dépend de l'importance de l'occupation et du développement des autres lignes de défense russes derrière. Ce n'est actuellement pas clair. Mais comme nous l'avons dit, l'armée ukrainienne doit élargir la zone de pénétration en largeur, sinon ses formations qui avancent seront des cibles plus faciles pour l'artillerie russe. Du point de vue ukrainien, il est avantageux que les champs de mines ne soient plus aussi denses dans l'arrière-pays, car les forces russes y ont tracé des tranchées afin de pouvoir mener des contre-attaques.
En Occident, de moins en moins d'observateurs s'attendent au succès de cette contre-offensive. Une telle percée, c'est une surprise?
Non. Après toutes les critiques sur la contre-offensive, le commandement militaire ukrainien a dit qu'il était sur le point de faire une percée. Nous avons en outre déjà vu la semaine dernière, où se déroulait la majeure partie des combats, que l'armée ukrainienne avait envoyé des brigades très expérimentées sur le front.
A quoi pourrait-on s'attendre dans un avenir proche?
Pour l'Ukraine, il s'agit d'élargir la percée, de résister à la contre-attaque russe. Si l'armée ukrainienne se trouve alors derrière la première ligne de défense russe, elle peut enrouler cette ligne depuis le flanc.
Qu'est-ce que cela signifie pour l'armée russe?
Elle doit stopper la percée ukrainienne par des contre-attaques et tenter de faire reculer l'Ukraine derrière sa ligne de défense.
Et si elle échoue?
Elle devrait sécuriser ses flancs et renforcer sa deuxième ligne de défense.
L'Ukraine a-t-elle encore suffisamment de réserves pour pouvoir attaquer la deuxième ligne de défense?
C'est une bonne question. Dans le nord-est, une offensive russe est toujours en cours et mobilise des unités ukrainiennes. Les Ukrainiens supposent que les Russes vont y amener d'autres forces et se regrouper pour y lancer une nouvelle attaque. De telles manœuvres consomment les réserves. Les forces ukrainiennes qui doivent maintenant élargir la percée doivent donc venir d'autres parties du front.
Pourquoi la Russie attaque-t-elle dans une telle configuration?
C'est probablement la question que se posent de nombreux généraux russes. Cette offensive a été ordonnée par Poutine, qui voulait reconquérir des parties de l'oblast de Donetsk. Ce faisant, il est passé outre les objections des militaires, qui considèrent que l'armée russe n'est actuellement pas en état de mener une attaque.
Mais après la mort présumée du chef de Wagner Evgueni Prigojine, Poutine se sent encore plus en confiance. De leur côté, les généraux sont encore moins enclins à confronter le président russe.
Concernant le nord, s'agit-il d'un nouvel échec militaire pour la Russie?
C'est une grave erreur de la part du président russe de passer à l'offensive dans le nord.
Nous assistons désormais à une offensive russe qui piétine au nord et à ce qui semble être une première percée de l'Ukraine au sud. Qu'est-ce que cela signifie pour la suite de la guerre?
Il est difficile de le prévoir. L'Ukraine peut au moins montrer à ses détracteurs occidentaux qu'elle peut continuer à remporter des succès militaires. Mais l'objectif de la contre-offensive ukrainienne était d'atteindre la mer d'Azov afin de couper la liaison terrestre entre la Russie continentale et la Crimée.
Et la question est de savoir quand est-ce qu'elle pourra atteindre cet objectif, si possible en limitant les dégâts.
L'Ukraine peut-elle encore espérer atteindre ses objectifs?
J'en suis convaincu. Mais les Russes ne se laisseront pas faire. Ce sera laborieux. Je m'inquiète aussi des pertes ukrainiennes, car elle doit bien sûr pouvoir tenir ses lignes pendant l'hiver - car ce sera une guerre plus longue.
Pourquoi?
Je suis parti du principe que l'armée ukrainienne n'aurait pas besoin d'autant de temps pour faire une première percée. Après son offensive hivernale, l'armée russe n'avait presque plus de munitions de précision, et les chars ukrainiens pouvaient s'exposer longtemps sans être touchés. Une lueur d'espoir. Mais la Russie a montré qu'elle n'était pas arrivée au bout de ses ressources, et ses soldats mobilisés ont gagné en expérience.
L'Ukraine n'a pas beaucoup d'alternatives. Vladimir Poutine ne veut pas négocier.
La négociation n'est pas une alternative parce que le président russe veut la victoire à tout prix. Même si l'offensive ukrainienne réussissait, Vladimir Poutine ne voudrait pas négocier. Il finira par prolonger cette guerre.
Bien sûr, c'est embarrassant pour Poutine si l'Ukraine récupère du territoire. Mais cela n'aurait finalement aucune importance si le soutien occidental à l'Ukraine s'effondrait à un moment donné, car Vladimir Poutine aura eu ce qu'il voulait.
Qu'est-ce que cela signifie pour d'éventuelles négociations?
Si cette contre-offensive échouait, l'Ukraine devrait déjà préparer la suivante. Car Vladimir Poutine ne négociera pas sans une défaite de son armée. De plus, il serait probablement politiquement impossible pour l'Ukraine d'abandonner le sud. Dans ce cas, Volodymyr Zelensky abandonnerait une partie de sa population sous la domination russe. C'est pourquoi l'Ukraine n'a pas beaucoup d'autre choix que de continuer à se battre.
Pourquoi le gouvernement fédéral ou le président américain Joe Biden ne le déclarent-ils pas publiquement? Au cours des dernières semaines, le président ukrainien a eu l'impression de se retrouver sous une pluie de critiques.
Joe Biden et le chancelier allemand Olaf Scholz ont peur que l'Ukraine gagne. Tous deux souhaitent un cessez-le-feu et ne veulent pas d'une défaite trop rapide de la Russie. Ils craignent que la Russie se désintègre et que quelqu'un actionne le bouton nucléaire. Je pense toutefois que ces craintes sont infondées.
Volodymyr Zelensky a déclaré dans une récente interview qu'il pourrait imaginer que la Crimée soit politiquement démilitarisée. L'Ukraine fait-elle un pas vers les négociations?
L'Ukraine n'a jamais exclu le fait de négocier. Dans l'interview en question, le président ukrainien n'a fait que reprendre ce qui fait de toute façon l'objet de discussions en Ukraine: il est difficile pour l'armée ukrainienne de récupérer la péninsule de la mer Noire dans une attaque frontale. Elle doit plutôt être mise sous blocus et servir ensuite de gage.
Il s'agissait néanmoins d'un ton inédit dans le conflit. Conquérir la Crimée, est-ce vraiment inenvisageable côté ukrainien?
C'est pourquoi l'idée de bloquer la péninsule a été émise, avec des attaques contre les ports, le pont de Crimée et le trafic maritime. Je pense que l'Ukraine peut envisager comme première étape une Crimée indépendante, démilitarisée sous la surveillance de l'ONU. Mais il faut d'abord que la Russie soit sur la voie de la défaite pour que Vladimir Poutine participe à la discussion.
Le chef du Kremlin peut-il espérer garder la Crimée?
Il s'agira aussi d'épargner des vies ukrainiennes, car la Crimée est difficile à conquérir militairement. Volodymyr Zelensky ne fermera pas la porte aux négociations avec la Russie. Il n'en a d'ailleurs jamais eu l'intention. Mais peut-être l'a-t-il souligné une fois de plus pour le rappeler aux Occidentaux.