International
Russie

Les Russes sont remplis de haine ou impuissants | Reportage

A woman uses her mobile phone as she walks past a billboard with a portrait of a Russian soldier and the words "Glory to the heroes of Russia" in St. Petersburg, Russia, Saturday, Aug. 20, 2 ...
Le soutien de la population russe envers le régime de Poutine semble sans faille.Image: sda

Face à la guerre, les Russes sont remplis de haine ou impuissants

En Russie, la guerre contre l'Ukraine n'existe pas vraiment, sauf à la télévision. La vie continue à Moscou, dans les villes et la campagne russes, où la population profite de l'été. Pour les opposants, la résistance est intérieure et silencieuse.
27.08.2022, 07:5227.08.2022, 09:22
Inna Hartwich, moscou / ch media
Plus de «International»

On entend de loin les pales des rotors, qui battent l'air au-dessus des eaux. Plusieurs hélicoptères russes à peinture camouflage apparaissent, volant à basse altitude au-dessus du lac.

Une énième scène de guerre dans l'est de l'Ukraine? Pas vraiment. Ces appareils de l'armée de Poutine volent au-dessus du petit lac du parc Mechtcherski, au sud-ouest de Moscou.

Une femme en maillot de bain turquoise tend un morceau de poulet frit à un petit garçon. Un soleil de plomb brille sur leurs têtes. Elle se tourne vers lui et lui dit:

«Regarde, ce sont les hélicoptères de notre armée. Ils sont là pour nous protéger»

Des enfants jouent dans le lac, des adolescents dégustent une glace, hommes et femmes jouent au beach-volley. Cet été à Moscou, rien ne semble avoir changé. L'air est chaud et étouffant et les hélicoptères de l'armée semblent faire partie du décor.

Les manifestations militaires sont populaires

A peine 50 kilomètres plus à l'ouest, dans la commune d'Alabino, le ministère de la Défense présente une exposition sur ce que les forces armées russes ont à offrir.

Ces manifestations en l'honneur des forces armées sont très fréquentées en Russie. Ce sont surtout les familles qui viennent. Les enfants peuvent grimper sur des chars. Les parents les photographient avec un fusil et un casque de l'armée. L'enthousiasme pour l'armée est un objet de l'âme russe, vécu et entretenu depuis des générations.

epa10132443 A boy uses a weapon loaded with blank cartridges as he attends the Tank Biathlon 2022 as part of the International Army Games ARMI-2022 at the Alabino training and tactical complex outside ...
Les enfants sont habitués dès le plus jeune âge à presser la détente.keystone

Sous des tentes, des bénévoles font la promotion du service militaire contractuel. On lance aux passants:

«Nous vous inquiétez pas, nous allons gagner»

Une phrase qui semble apprise par cœur, incohérente, sans compassion.

Car à Alabino, personne ne remet en question l'invasion russe du voisin ukrainien. Depuis six mois, les phrases creuses ou apprises par cœur résonnent partout.

epa10132444 People attend the Tank Biathlon 2022 as part of the International Army Games ARMI-2022 at the Alabino training and tactical complex outside Moscow, Russia, 21 August 2022. The event runs u ...
Une bonne partie de la population soutient l'invasion de l'Ukraine. keystone

Quelques jours plus tard, à dix kilomètres au sud, le ministère de la Défense a prévu de faire participer des soldats à un «biathlon de chars». Ils affronteront des équipes du Zimbabwe, du Mali et du Soudan, du Tadjikistan, de l'Abkhazie et de l'Ossétie du Sud. Il peut être sûr d'une affluence record et d'un soutien populaire sans faille.

epa10132451 Soldiers from China take part in the International Army Games ARMI-2022 at the Alabino training and tactical complex outside Moscow, Russia, 21 August 2022. The event runs until 27 August. ...
Des soldats chinois prenant part au «biathlon de chars».keystone

Une guerre mise en scène à la télévision

La trace de la guerre en Ukraine ne se fait quasiment pas sentir en Russie. L'«opération militaire spéciale» se déroule principalement à la télévision d'État, comme s'il s'agissait d'un film d'action ou sous forme d'histoires touchantes sur la «mission humanitaire» de «libération» de l'Ukraine.

Les crimes commis par l'armée de Poutine ne sont évidemment pas abordés, et lorsque des histoires de terreur ou d'extermination sont évoquées, ce sont les «nazis ukrainiens» qui sont tenus pour responsables.

Les présentateurs des talk-shows balaient d'un revers de main les accusations de crimes de guerre russes en les qualifiant de «fake», qu'ils parsèment de commentaires haineux et cyniques. Ils en profitent pour se moquer des craintes des pays de l'UE de se retrouver face au froid l'hiver prochain.

Les critiques étouffées

Toute critique de l'action du gouvernement russe est étiquetée par les propagandistes comme la présence d'une «cinquième colonne» qui ose s'opposer à la «grande civilisation russe».

On parle de «renégats russophobes» et de «prostituées payées par l'Occident». Vladimir Poutine lui-même avait demandé, il y a quelques semaines, à ce que les «traîtres» soient expulsés de Russie, comme des «mouches impropres».

Les Russes n'attendent rien de l'Etat

La violence fait partie intégrante de la politique russe. Et elle laisse des traces au sein de toutes les strates de la société. Elle se transforme en peur, en colère, en impuissance.

Car les Russes ont l'habitude de s'adapter et ne sont que peu dépendants de l'Etat. Ils savent que pour l'Etat, l'individu ne compte pas et en retour, les gens n'en attendent rien. Chacun se débrouille pour survivre.

Dès le jardin d'enfants, l'esprit critique n'est pas mis en avant. Le citoyen russe doit se soumettre à sa hiérarchie, avant tout. Pour beaucoup, ce sentiment de ne pas pouvoir décider soi-même de sa vie provoque un sentiment d'impuissance. Cette société a appris à accepter la violence, l'impuissance et l'inhumanité, au quotidien.

Dans les régions plus pauvres, on entend souvent dire: «De toute façon, la vie est déjà assez dure». Dans ces zones, les jeunes hommes cherchent souvent leur salut dans l'armée, qui paie bien, attire par un sentiment d'ascension sociale, promet honneur et respect. Pour les familles des jeunes tombés au combat et utilisés comme de la chair à canon, ce sont des héros.

Ces opposants silencieux du quotidien

«La vie doit continuer, mais comment?», se demande Alexandre*. Son entreprise de décoration se maintient tant bien que mal.

Dans sa famille, il s'est brouillé avec presque tous ses proches, qui soutiennent l'«opération militaire spéciale» de Poutine. Il a pourtant effectué son service militaire.

De temps en temps, il se rend à la place du Manège, juste à côté du Kremlin. Il est là, silencieux, sans pancarte à la main. «Je veux au moins pouvoir me regarder en face», dit-il.

«Depuis six mois, je dors mal parce que je cherche des solutions pour que cette folie cesse. Je ne les trouve pas. Notre pays est un Etat criminel et beaucoup de gens dans mon entourage approuvent le comportement du gouvernement»
Alexandre*

A certains moments, Alexandre se sent comme paralysé:

«L'avenir de mes enfants, un avenir humain pour notre pays est perdu. Et nous dansons joyeusement au soleil, comme si de rien n'était»
Alexandre*

L'entrepreneur tente de vivre avec incertitude. D'autres se sont installés depuis longtemps dans le mensonge de la propagande. Une solution tellement plus confortable.

*prénom d'emprunt

5000 paddles en Russie? Oui.
Video: watson
Ceci pourrait également vous intéresser:
1 Commentaire
Comme nous voulons continuer à modérer personnellement les débats de commentaires, nous sommes obligés de fermer la fonction de commentaire 72 heures après la publication d’un article. Merci de votre compréhension!
1
Pourquoi une guerre nucléaire est (presque) impossible en Europe
Elle hante les imaginaires depuis des décennies, mais la survenue d'une guerre nucléaire en Europe reste une hypothèse quasi irréalisable. Entre dissuasion stratégique, coût diplomatique et équilibre des puissances, tout concourt à rendre l’emploi de l’arme atomique irrationnel. Pourtant, le «quasi» qui précède «impossible» mérite qu’on s’y attarde.

L'arme nucléaire, du fait des conséquences désastreuses qu'entraînerait son emploi, est vouée à rester un élément de dissuasion. Si la menace du recours à cette arme ultime est fréquemment brandie côté russe, il n'en demeure pas moins que les responsables au Kremlin ont pleinement conscience des coûts pratiquement incalculables qu'une telle décision engendrerait. Pour autant, si le pire n'est jamais certain, il n'est jamais à exclure totalement.

L’article