Pour arriver au «Gruscha» (poire), il faut descendre un chemin verglacé et une douzaine de marches. Une porte en fer rouge-brun, un couloir en bois clair, deux fontaines à eau. Au fond de la salle, 15 hommes s'échauffent pour leur entraînement de boxe du petit matin, leurs pantoufles sont posées devant les tapis bleus du couloir.
«Gruscha» est un club de boxe situé non loin du siège du gouvernement russe. Un monastère se trouve au coin de la rue, sur le terrain de jeu en face. Les employés communaux déblaient les montagnes de neige glacée. Quelqu'un dépose ses déchets dans les poubelles en face du club.
L'un d'eux, en retard, passe la porte des vestiaires avec son sac en bandoulière. On s'entraîne ici jusqu'à neuf fois par jour, les premiers commencent dès 7 heures du matin. L'après-midi les enfants à partir de sept ans apprennent la boxe thaï et le kickboxing. Ce club d'arrière-cour est aussi discret que monstrueux.
Il y a quelques jours, Evgueni Prigojine, fidèle allié du Kremlin et surnommé le chef de Poutine, a déclaré avoir lancé de nouveaux centres de recrutement dans 42 villes russes. Ses mercenaires sont considérés comme les combattants les plus brutaux de l'«opération spéciale» de Poutine en Ukraine, des bouchers que leur supérieur recrute comme volontaires, y compris dans des colonies pénitentiaires à travers le pays.
Il y avait eu par ailleurs une remise de peine et une sorte de carte blanche accordée à Prigojine pour faire ce qu'il voulait avec les prisonniers en Ukraine. «Torturer, humilier, égorger, tout m'est égal», aurait-il dit devant des prisonniers à Tcheliabinsk, ajoutant que tout militant qui «dévierait de sa route» serait abattu sur place.
De nombreux oubliés de la société ont profité de ce combat inutile pour se sentir utiles d'une manière ou d'une autre et pour échapper à leur propre existence morne dans le système pénitentiaire russe, organisé de manière strictement hiérarchique et basé sur le système des camps staliniens.
Les «Wagnerovzy», comme on les appelle en Russie, pénètrent de plus en plus dans le centre de la ville ukrainienne de Bakhmout, âprement disputée. Les lourdes pertes n'ont aucune importance pour Prigojine. Derrière les murs de la prison, le bruit s'était pourtant rapidement répandu de la manière impitoyable dont les nouveaux wagnériens seraient traités.
Le nombre de volontaires issus des colonies pénitentiaires ne cessait de diminuer. Prigojine a alors annoncé un «arrêt total» de son recrutement parmi les condamnés russes. Il a en même temps adopté une nouvelle stratégie. Il cherche désormais à recruter dans les cités, dans les écoles et dans les clubs de sport comme «Gruscha».
«Oui, nous plaçons les futurs combattants à l'endroit approprié», dit la réceptionniste en noir. Elle tend une feuille de papier rose. «Ecrivez», dit-elle de sa voix douce en dictant un numéro de téléphone. «On ne peut donner des renseignements que par téléphone», c'est tout ce qu'elle peut dire. Les hommes aux larges épaules, qui enroulent leurs bandages rayés autour de leurs mains, se montrent eux aussi réticents à parler. «Dehors, près des poubelles, la réception est bien meilleure», s'exclame la femme en noir.
Au téléphone, c'est Igor qui répond, lui aussi très prévenant. Il explique que le futur combattant doit se présenter personnellement et qu'il peut faire ses preuves juste à côté du club. Dans le bâtiment qui abrite également «Gruscha» se trouve le service municipal de formation et de conseil pour la protection civile et les situations d'urgence. La porte métallique peinte en rouge est fermée, les heures de consultation sont les mardis et les jeudis, peut-on lire sur la plaquette, une caméra vidéo est accrochée au coin.
Igor assure qu'il se rend occasionnellement aux heures souhaitées par le «candidat» et l'«évalue». La condition minimale: 50 pompes.
Igor explique qu'il se rendra dans la région de Krasnodar, au sud de la Russie, pour un camp d'entraînement de trois semaines. Pour les semaines d'entraînement, le volontaire recevra 40 000 roubles (l'équivalent de près de 500 francs), puis un salaire mensuel de 240 000 roubles (près de 3000 francs). Pour le niveau de vie russe, c'est beaucoup d'argent. «Alors, apportez votre passeport et soyez en bonne forme», conseille Igor, «tout se passera sûrement bien».