On prend les mêmes et on recommence. Jusqu'à l'indigestion. Une polémique endurante, qui ronge le pays à chaque nouvel épisode. La soirée mondaine organisée par la célèbre blogueuse moscovite Anastasia Ivleeva a mis un chanteur dans une prison, la «filleule» de Poutine dans l'embarras et les personnalités du showbiz «dans le droit chemin».
Le 20 décembre, dans une boîte de la banlieue de Moscou, plusieurs dizaines de personnalités ont guinché en mode «almost naked». Rien de bien fou. Juste une poignée de privilégiés que les combats au front ne concernent pas vraiment. Sans surprise, la Douma et le Kremlin n'ont guère apprécié qu'un rappeur s'affiche publiquement avec une chaussette Balenciaga sur le pénis, alors que les soldats russes se font zigouiller en Ukraine.
Un affront qu'il fallait punir à tout prix, d'autant que des vidéos et photos s'étaient échappées en masse sur Telegram. La débauche en provenance de l'Occident n'a rien à faire dans un pays en pleine «opération spéciale».
Accusé de «violation de l’ordre public» et «promotion de relations sexuelles non traditionnelles», le rappeur Vacio a purgé quelques semaines de prison avant de rejoindre... les rangs de l'armée russe. Il paraît que c'est son choix. «D'abord au sein de la fanfare d'infanterie», tentait de rassurer son avocat la semaine dernière, le temps pour lui de «passer plusieurs tests d'aptitude». En stéréo, une enquête a été ouverte et la boîte de nuit fermée, pour déterminer si d'autres «actes illicites» s'étaient déroulés dans la nuit du 20 au 21 décembre.
Au sein du gratin moscovite, c'est toujours la panique. De nombreux concerts ont été annulés, des chaînes de TV boudent désormais les chanteurs et les humoristes et des sponsors rompent leurs contrats avec les influenceurs. Bref, les personnalités concernées par cette «Almost Naked Party» sont dans la mouise. Dans l'espoir d'être réhabilités, certains fêtards célèbres se retournent violemment contre l'organisatrice, arguant qu'ils «ignoraient» les contours hédonistes de la soirée. D'autres, et ce sont les plus nombreux, se sont lancés sur la route de la rédemption, quitte à frôler le ridicule.
C'est notamment le cas de la pop star Dima Bilan, vainqueur de l'Eurovision en 2008 pour la Russie, qui enchaîne les bonnes actions en public, pour faire oublier sa participation à «l'orgie» d'Anastasia Ivleeva. Cette semaine, on l'a par exemple aperçu dans un refuge pour animaux, sous le sifflement des missiles, se laissant frotter le cou par de pauvres petits chatons abandonnés et traumatisés par la guerre.
On n'est pas loin du quotidien d'une Miss Monde en campagne. Car Dima ne s'est pas contenté de caresser des chatons. Ces dernières semaines, surtout dans l'oblast de Donetsk, il a distribué des peluches à des enfants malades et livré des systèmes de climatisation à des structures défraichies. A ses côtés, forcément, une caméra qui ne rate pas une miette de sa générosité patriotique et des grandes phrases trop sucrées qu'il réserve à ses millions d'abonnés:
Si les provocateurs du showbiz russe se sont glissés les uns après les autres dans la soutane de Mère Teresa, c'est parce que la population pro-guerre et les politiciens pro-Poutine ne leur ont toujours pas pardonné leurs péchés. Une chute brutale de popularité que le pouvoir s'est empressé de récupérer. Deux mois avant l'élection présidentielle, Vladimir Poutine ne pouvait pas tomber sur une meilleure opportunité de rafistoler les vertus en carton-pâte des «valeurs traditionnelles» d'un autre âge, face aux déviances intolérables de l'ennemi occidental.
Si le porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov, s'était déjà vaguement exprimé à propos du «scandale de l'orgie», en se vantant de l'ignorer volontairement, il aura fallu attendre la fin du mois de janvier pour que le grand patron réagisse publiquement. Alors qu'une grappe de soldats revenait du front, le président russe en a profité pour louer leur courage et leur loyauté. En miroir, Poutine a déclaré qu'en ces temps difficiles pour le peuple russe, «certains comportements ne seront plus tolérés».
Et selon Bloomberg, la mayonnaise est montée lorsque Poutine a vu les images de «l'orgie» et «exprimé son dégoût personnel, en donnant le feu vert à une offensive contre les célébrités présentes au club Mutabor». Le déclic dans l'esprit du maître du Kremlin? Le rappeur Vacio et sa chaussette Balenciaga sur le sexe. On comprend (un peu) mieux pourquoi il a passé trois semaines en prison.
En d'autres termes, le gratin moscovite se prend un long et méchant coup de règle sur les doigts, après de longues années à surfer au-dessus des préoccupations de leurs compatriotes. «Cette polémique change de manière significative le mode de pensée et le comportement public de pratiquement toute l'élite russe», analyse Tatiana Stanovaya, du Carnegie Russia Eurasia Center, dans le New York Times.
Dima Bilan, lui, est serein. Après des heures de vidéos et une dizaine de route pour regagner son domicile moscovite, le gagnant de l'Eurovision a dévoilé son nouveau partenaire de vie. Un chaton, évidemment.