La répression n'épargne personne, pas même les représentants élus du peuple. Récemment, le politicien moscovite Alexeï Gorinov (60 ans) a été condamné à sept ans de prison. En mars, il avait critiqué l'attaque russe en Ukraine et l'avait qualifiée de guerre.
Il avait demandé l'annulation d'un concours de dessin pour enfants dans sa circonscription, le district moscovite de Krasnoselski, «tant que des enfants mourront chaque jour en Ukraine». Son intervention a été filmée et diffusée sur Youtube.
👉 Guerre en Ukraine, les dernières infos dans notre direct 👈
Le sexagénaire aurait agi par «haine politique» et aurait «sciemment diffusé de fausses informations sur l'armée russe», a déclaré la juge en charge du dossier. Pendant l'audience, le politicien, qui a été condamné, a brandi devant les caméras un papier sur lequel était écrit: «Je suis contre la guerre». Il est le premier élu russe à être condamné à une peine de prison pour avoir critiqué la guerre en Ukraine.
Depuis le début de l'invasion à grande échelle de l'Ukraine par les forces armées russes, le 24 février, les autorités s'en prennent aux personnes qui critiquent l'offensive. Dès le neuvième jour de la guerre, le président Vladimir Poutine a introduit, outre les lois sur la censure militaire, d'autres délits visant les déclarations critiques à l'égard du Kremlin:
A cela s'ajoute la «diffusion publique de fausses informations sur les activités des forces armées russes» – passible d'une peine de prison pouvant aller jusqu'à 15 ans – ainsi que l'interdiction de diffuser des «fake news» au sujet des autorités russes à l'étranger. Le projet russe de médias pour les droits de l'homme OVD-Info, qui s'engage contre la persécution politique des détracteurs du Kremlin et propose entre autres une aide juridique, a connaissance d'au moins 178 cas de personnes accusées ou déjà condamnées pour leur position contre la guerre ou pour avoir protesté contre les actions russes en Ukraine.
Selon les informations de l'OVD, plus de 15 000 personnes auraient été arrêtées pour avoir manifesté contre la guerre jusqu'à la fin mars. Gorinov, qui vient d'être envoyé en camp pénal, n'est pas le seul opposant connu à la guerre et au régime à être tombé dans les filets de la justice arbitraire russe depuis le début de l'invasion de l'Ukraine.
❗️A thread with all our sources IN ENGLISH about antiwar repression in Russia. We start with our guide on antiwar prosecutions which we update weekly. Currently, we know of at least 178 accused or convicted for their antiwar positions or for protesting:https://t.co/dOwwNfOHkR
— ОВД-Инфо (@OvdInfo) July 4, 2022
L'artiste et écrivain Alexandra «Sascha» Skotschilenko (31 ans) est une autre victime notable des nouvelles lois. Elle avait remplacé des étiquettes de prix sur des marchandises dans un supermarché russe par des notes contenant des informations sur les victimes de l'armée russe en Ukraine. Par exemple:
Skotschilenko a été arrêtée en avril dans sa ville natale de Saint-Pétersbourg. Elle risque jusqu'à dix ans de prison dans une colonie pénitentiaire. Sa détention provisoire n'a été prolongée que récemment. L'affaire rappelle le célèbre critique du Kremlin, Alexeï Navalny, qui a été empoisonné en août 2020 avec l'agent neurotoxique Novitchok et a survécu à l'attentat.
Depuis février 2021, il purge en Russie une peine de plusieurs années de prison pour une prétendue violation des conditions de sa probation. Depuis sa prison, Navalny a appelé en mars dernier les Russes et les Biélorusses à manifester contre la guerre en Ukraine.
L'auteur et cuisinière vedette Veronika Belotserkovskaya (51 ans) a eu plus de chance que Skotschilenko ou Navalny. Elle n'était pas une critique connue du Kremlin jusqu'à l'éclatement de la guerre, mais le 16 mars, elle a été la première vedette de premier plan à être accusée d'avoir enfreint les nouvelles lois. Elle ne se trouvait pas en Russie au moment de ses critiques contre la guerre et ne pourra probablement pas y retourner de sitôt.
L'auteur de livres de cuisine a publiquement accusé Poutine d'avoir «besoin de garçons de 18 à 20 ans comme chair à canon pour atteindre ses objectifs». Elle a également déclaré :
Elle est donc accusée d'avoir «sciemment diffusé de fausses informations sur l'engagement des forces armées russes».
Belotserkovskaja est née à Odessa, mais a grandi en Russie. Depuis le début de la guerre, elle s'engage pour la paix et le montre également sur son compte Instagram, qui a une portée considérable avec 960 000 abonnés. Elle y publie régulièrement des photos aux couleurs nationales de l'Ukraine, accompagnées d'articles sur le sort des victimes, par exemple une ancienne camarade de classe dont la mère a été tuée.
En Russie, le compte a désormais été bloqué. Mais Belotserkovskaja ne se laisse pas décourager pour autant. A propos de l'accusation, elle a déclaré, sur Telegram:
En cas de retour en Russie, elle risque d'être arrêtée.
C'est ce qui est arrivé au célèbre opposant russe Ilya Yashin, qui sera bientôt jugé. Il avait parlé, sur Youtube, des meurtres de civils dans la ville ukrainienne de Boutcha, près de Kiev. Yashin était jusqu'à récemment l'un des derniers critiques bruyants de la guerre à être en liberté. Au printemps, il avait déjà été condamné à une amende pour «dénigrement de l'armée russe».
Il y a peu, cet homme de 39 ans a dû passer 15 jours en prison pour une prétendue «résistance à l'autorité de l'Etat». Une procédure pénale a maintenant été entamée contre ce politicien du quartier moscovite de Krasnoselski pour «fausses informations sur l'intervention de l'armée russe» et sa détention provisoire a été prolongée – en cas de condamnation, Yashin risque jusqu'à dix ans de prison. Il devra probablement bientôt suivre le même chemin que le politicien Alexeï Gorinov, déjà condamné, dans un camp pénal.
Un autre politicien et journaliste d'opposition bien connu, Vladimir Kara-Mursa (40 ans), attend, lui aussi, son procès. Le 11 avril, il a été arrêté par la police devant son domicile à Moscou. Lui aussi a ensuite été condamné à 15 jours de prison, puis, peu avant sa libération, a été considéré comme un «agent étranger» et sa détention provisoire a été prolongée. Kara-Mursa risque lui aussi jusqu'à dix ans de prison, car une procédure pénale a été ouverte contre lui pour «faux témoignages sur l'armée russe».
Un discours qu'il a tenu en mars devant la Chambre des représentants de l'Arizona lui a été lourdement reproché. Sa famille vit aux Etats-Unis depuis des années pour des raisons de sécurité. Dans son discours, Kara-Mursa a évoqué:
Fin février de cette année, Kara-Mursa a fondé un comité contre la guerre. Il travaille également pour la fondation Open Russia, créée par le célèbre critique du Kremlin Mikhaïl Khodorkovski. Jusqu'en 2015, il était également conseiller de l'homme politique Boris Nemtsov avant que celui-ci soit assassiné. Kara-Mursa a déjà survécu de justesse à plusieurs attaques au poison, vraisemblablement initiées par le service de renseignement intérieur russe FSB. Il est désormais probable qu'il soit lui aussi réduit au silence.
Outre les critiques connues du Kremlin, il existe également en Russie une protestation plus subtile – généralement initiée par des personnes qui ne s'engagent pas politiquement par ailleurs. Par exemple, l'artiste moscovite Sergei Besow, via son projet «Partisan Press», imprime et distribue des affiches ainsi que des accessoires tels que des tasses ou des sacs avec des messages politiques.
Besow doit également veiller à rester sous le radar des autorités russes. Sur l'affiche, on peut lire «Paix», alors qu'au début de la guerre, Besow avait imprimé les mots «Non à la guerre». Il s'est alors tourné vers des messages plus subtils. Ses affiches ont été montrées lors de manifestations contre la guerre, deux de ses employés ont déjà été inculpés, bien sûr sur la base des nouvelles lois promulguées par Poutine.
Article traduit de l'allemand par Léa Krejci