Les quatre hommes accusés d'avoir perpétré le sanglant attentat contre le Crocus City Hall de Moscou, vendredi soir, ont été arrêtés et placés en détention provisoire dimanche. Lorsqu'ils ont été amenés dans la salle d'audience, ils montraient des signes évidents de maltraitance.
L'un d'entre eux avait une oreille partiellement coupée, recouverte par un bandage de fortune. Sur son visage tuméfié, on pouvait distinguer des traces de sang séché. Un autre suspect était dans un fauteuil roulant, l'œil gauche exorbité, la chemise d'hôpital ouverte et un cathéter sur les genoux. Un troisième affichait un œil au beurre noir, ainsi que des marques sur le nez et la bouche.
Beaucoup savaient déjà ce qui leur était arrivé: ces hommes ont été torturés, ce qui est attesté par des vidéos circulant depuis samedi sur les réseaux sociaux. Des images d'une grande violence montrant l'«interrogatoire» des suspects, traînés dans une forêt et violentés par des hommes en uniforme.
L'un des passages les plus troublants montre un membre des forces de l'ordre en train de couper une partie de l'oreille de l'un des accusés et de la lui fourrer dans la bouche. Sur d'autres images, on peut voir les suspects roués de coups avec la crosse d'un fusil, ainsi qu'une batterie branchée sur les parties génitales d'un autre attaquant présumé.
On ne sait pas encore comment les vidéos ont commencé à circuler, rapporte le New York Times, mais elles ont été diffusées par des chaînes Telegram nationalistes et favorables à la guerre, considérées comme proches des services de sécurité russes.
Certains analystes y voient la main de Moscou. «Les images de torture semblent être diffusées non pas par hasard», estime Tanya Lokshina, directrice associée pour l'Europe et l'Asie centrale à Human Rights Watch, auprès du Guardian. Elles ont un but précis:
Mais ces images s'adressent également à la population, ajoute Olga Sadovskaya, une activiste russe, dans le NYT. «Elles montrent à la société que les souffrances qu'elle a vécues dans cet attentat ont été vengées», affirme-t-elle.
Si les passages les plus violents n'ont pas été passés à la télévision d'Etat, les images de la salle d'audience ont été diffusées officiellement - et elles laissent peu de places au doute. Une démarche presque jamais vue en Russie, estime le New York Times. L'effet est donc le même: le traitement brutal infligé aux accusés a été clairement mis en évidence. «Il était impensable que la Russie fasse l'éloge de la torture. Elle est désormais fière de le faire», résume le Guardian.
Le porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov, a refusé lundi de commenter les allégations de torture lors d'un point de presse.
Selon plusieurs observateurs interrogés par le New York Times, l'exposition flagrante des personnes torturées démontre également autre chose: l'ampleur de la militarisation de la société russe, dont la tolérance à l'égard de la violence a grandi depuis le début de la guerre en Ukraine.
La médiatisation de ces sévices est, en effet, une nouveauté. La torture est utilisée depuis longtemps dans les affaires de terrorisme et de meurtre, assure un avocat russe en exil au NYT. Pourtant, le plus souvent, ces pratiques restaient à l'abri des regards.
Par le passé, les informations sur la torture circulaient dans les prisons, ce qui avait un effet dissuasif parmi les autres détenus. Aujourd'hui, ces pratiques sont exposées au grand jour.
(asi)