Selon le président ukrainien, la Russie a miné la centrale nucléaire de Zaporijia. Il met en garde contre une attaque terroriste de la Russie. Comment évaluez-vous cette information?
Lydia Wachs: L'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA) n'a pas encore confirmé que des mines avaient été placées spécifiquement dans le bassin de refroidissement de Zaporijia – même si elle a indiqué que des mines avaient déjà été installées sur et autour du site au cours des dernières semaines et des derniers mois. Il est toutefois très difficile de spéculer sur les intentions de la Russie, à savoir si cette action est vraiment liée à la planification d'une sorte «d'accident intentionnel». Quoi qu'il en soit, il s'agit d'un comportement hautement irresponsable qui va à l'encontre de toutes les normes de sécurité et de sûreté nucléaires. La situation en matière de sécurité nucléaire dans l'ensemble de la centrale n'est vraiment pas bonne pour le moment.
Après la destruction du barrage près de la ville de Kherson par la Russie, ce scénario devient, toutefois, possible. Serait-ce comparable à une attaque nucléaire tactique? Quelles en seraient les conséquences?
Il faut suivre la situation de près et ne rien exclure. C'est ce que fait d'ailleurs l'AIEA. Il est cependant difficile de faire une comparaison avec l'utilisation tactique d'une arme nucléaire, car cela dépend d'une part de la manière dont un accident de réacteur se déroule, d'autre part de la manière dont une arme nucléaire tactique serait utilisée et de sa puissance. Il est donc difficile de se prononcer actuellement.
Comment l'Organisation du traité de l'Atlantique Nord (Otan) réagirait-elle face à un éventuel «accident intentionnel»?
Je m'attendrais à ce que l'Otan critique sévèrement cette situation et impose de nouvelles sanctions. Il est difficile de dire si ce type d'accident déclencherait une réaction militaire – je pense que c'est plutôt improbable, mais cela dépendrait du scénario.
Une porte-parole du Kremlin a récemment mis en garde contre un «choc nucléaire» avec l'Occident. Un conseiller de Poutine a même exigé une attaque nucléaire préventive. Que se cache-t-il derrière de telles menaces?
Selon moi, le discours russe n'a pas beaucoup changé. Tout au long de l'année dernière, nous avons entendu la rhétorique nucléaire de la Russie, tant de la part du Kremlin et de Vladimir Poutine en personne, que de la part des médias russes, où les discussions sur les armes nucléaires sont encore plus vives. Mes collègues Liviu Horovitz et Anna Clara Arndt ont analysé cette rhétorique.
Et quelles sont leurs interprétations?
Ils expliquent que la Russie poursuit trois stratégies: premièrement, dissuader l'intervention de l'Otan, ce que Moscou a réussi à faire. Deuxièmement, nous intimider et limiter le soutien occidental à l'Ukraine. Et troisièmement, l'année dernière, surtout à l'automne, limiter la marge de manœuvre de Kiev par un chantage nucléaire. Nous avons constaté cette même rhétorique tout au long du conflit, je ne crois pas qu'elle devienne plus virulente. Vladimir Poutine a de nouveau déclaré la semaine dernière à Saint-Pétersbourg qu'il ne voyait pas la nécessité d'utiliser des armes nucléaires pour le moment.
A quel point faut-il prendre au sérieux Dmitri Medvedev?
Nous ne devons pas nous laisser intimider par Dmitri Medvedev. Il s'est toujours exprimé de manière très populiste et a souvent demandé des attaques contre l'Occident.
La Russie aurait mis en service un nouveau super-missile, le «Satan 2». Quelle est sa dangerosité? Et pour qui serait-il dangereux?
Il s'agit d'un missile intercontinental. La Russie l'appelle «RS-28 Sarmat», l'Otan «Satan 2». Son développement n'est pas nouveau, il a déjà été testé l'année dernière. Cette semaine, Vladimir Poutine a déclaré qu'il serait bientôt introduit dans les forces armées. Il s'agit d'une évolution qui se dessinait depuis longtemps et qui fait partie du programme général russe de modernisation des forces nucléaires. Les anciens systèmes sont remplacés par de nouveaux. Comme il s'agit d'un missile intercontinental, il peut théoriquement atteindre des cibles aux Etats-Unis. Et c'est de cela qu'il s'agit en fin de compte: il est là pour dissuader les Etats-Unis.
Des missiles nucléaires à courte portée sont désormais transférés vers le pays voisin, la Biélorussie. Pour qui représentent-ils un danger?
Selon les déclarations de Vladimir Poutine et d'Alexandre Loukachenko, ces systèmes nucléaires stationnés en Biélorussie sont premièrement quelques avions de combat biélorusses de type SU-25, qui ont été transformés en vecteurs potentiels d'armes nucléaires. Et deuxièmement, des systèmes de missiles Iskander capables de transporter des armes nucléaires. Les lanceurs seraient déjà en Biélorussie. Vladimir Poutine vient d'ailleurs de dire une nouvelle fois que les premières têtes nucléaires devraient également se trouver sur place.
Faut-il croire à ces affirmations?
Ces informations sont difficiles à vérifier. Les anciens bunkers de l'époque soviétique devaient d'abord être modernisés, et on ne sait pas si cela a déjà été fait. Dans tous les cas, peu de choses changent sur le plan militaire. La Russie dispose déjà de divers missiles et missiles de croisière de différentes portées, qui peuvent menacer toute l'Europe. J'interprète plutôt ce transfert comme un signe de convergence politique entre les régimes de Poutine et de Loukachenko.
A quel point l'Occident, c'est-à-dire Washington et les capitales européennes, craint-il les menaces nucléaires de Vladimir Poutine?
Au cours des premiers mois de la guerre, le président russe et le Kremlin ont réussi à intimider la population occidentale. Depuis le début, face aux menaces, Washington a toujours réagi de manière très mesurée. Les autres capitales occidentales ne sont pas non plus entrées dans cette rhétorique de «montée en puissance».
Dans le cadre de leur offensive de printemps, les Ukrainiens veulent récupérer les territoires occupés par la Russie. Cela concerne également des régions que le Kremlin considère désormais – en violation du droit international – comme son territoire. Selon la doctrine nucléaire russe, cela justifierait une attaque nucléaire. Comment la Russie réagira-t-elle face à ce scénario?
En fin de compte, il s'agit pour la Russie de restreindre la marge de manœuvre ukrainienne avec ce type de déclarations. Cela remonte à l'automne dernier, lorsque la Russie a annexé ces territoires et a ensuite suggéré que sa doctrine nucléaire s'appliquait également à ces territoires annexés. La tentative a toutefois été infructueuse: l'Ukraine a continué à se battre et l'Occident n'a pas cessé de la soutenir.
Qu'en est-il aujourd'hui?
Nous ne savons pas exactement comment se présente actuellement l'offensive de printemps, mais pour l'instant, je pense que la probabilité que la Russie utilise des armes nucléaires est très faible. La guerre peut bien sûr évoluer dans une direction où le risque d'utilisation d'armes nucléaires augmenterait. Il existe des scénarios dans lesquels la situation militaire en Ukraine mettrait en danger la stabilité du régime au Kremlin, et où Poutine serait menacé de destitution.
A quoi ressemblerait un tel scénario?
Je ne veux pas spéculer là-dessus. Pour l'instant, je ne pense pas que nous soyons dans une telle situation.
Vladimir Poutine ne pourrait-il pas passer outre les règles et ordonner une attaque? Cela serait-il possible, ou est-ce que d'autres instances s'interposeraient?
On sait peu de choses sur la chaîne de commandement exacte de la Russie. Le chef du Kremlin devrait en principe prendre la décision, puis le chef d'état-major et le ministre de la Défense, ou au moins l'un d'entre eux devrait l'autoriser, et ensuite, cela serait transmis aux unités militaires concernées. Il est, toutefois, difficile de dire si dans la réalité, quelqu'un s'interposerait.
Assisterons-nous à l'utilisation d'armes nucléaires russes lors de la guerre en Ukraine?
Pour l'instant, je pense que la probabilité est très faible. Mais faire des déclarations sur l'avenir est toujours entaché d'incertitude.
Traduit et adapté par Noëline Flippe