«J'ai été utilisée par Nordahl Lelandais.» Alors qu'il vient d'être condamné à la prison à perpétuité, Elisabeth, une travailleuse sociale de 50 ans, résume ainsi dans une interview sa relation avec l'assassin de la petite Maëlys et du militaire Arthur Noyer. «La réaction de la population à son égard, bien que je la comprenne, m'avait profondément choquée. La présomption d'innocence était bafouée. Les propos qui avaient été tenus étaient vraiment très violents. [...] Les badauds qui disaient: "Pendez-le! Tuez-le!"»
En mars 2019, la quinquagénaire décide de lui écrire à la suite d'une reconstitution. Elle lui faire part de son soutien «pour le sortir de son isolement et de la solitude dans laquelle il devait se trouver». «L'homme que je voyais n'était pas celui qu'on disait. Je voyais l'homme avant les actes. C'est sans doute ma grande erreur», raconte-t-elle. Une erreur qui l'a conduite à transgresser la loi.
Cocaïne, rhum et téléphones portables: c'est la liste de ce qu'Elisabeth a fourni à Nordahl Lelandais en prison. Aujourd'hui, alors que le procès s'est achevé, Elisabeth tire le bilan de leur relation: «J'ai perdu trois ans de ma vie avec lui. [...] Il m'a utilisée en me trompant sur les sentiments qu'il avait envers moi. J'étais un outil pour lui apporter ce dont il avait besoin matériellement, affectivement et sexuellement». Cette attirance pour les meurtriers, les violeurs ou encore les pédophiles n'est pas exceptionnelle. Elle porte même un nom: le syndrome de Bonnie and Clyde.
Anders Breivik, le tueur norvégien qui a assassiné 77 jeunes dans les environs d'Oslo en 2011, reçoit 800 lettres d'amour par mois. Avant lui, dans les années 1920, il y eut Henri Désiré Landru. Ce dernier, qui passait des annonces matrimoniales dans les journaux et découpait en morceaux les femmes qui y répondaient, a été accusé de 11 meurtres. Entre son procès et sa mise à mort, le «Barbe-Bleue de Gambais» a reçu pas moins de 800 demandes en mariage et plus de 4'000 lettres passionnées. De quoi se demander d'où peut bien venir une telle fascination morbide.
Cette attirance a d'abord été classée dans les paraphilies sous le doux nom d'hybristophilie («aimer celui qui commet un outrage contre autrui»). Elle consiste non pas à aimer quelqu'un bien qu'il soit criminel, mais à l'aimer parce qu'il est criminel. Cette passion singulière porte aussi un autre nom: le syndrome de Bonnie and Clyde.
Lorsque Bonnie Parker s'amourache de Clyde Barrow en 1930, celui-ci a déjà plusieurs condamnations pour vol à son actif. Le couple mythique de gangsters ensanglanta les Etats-Unis pendant plusieurs années et Bonnie accompagnera Clyde dans ses crimes jusqu'à la mort. Elle pose ainsi les bases du stéréotype de l'amoureuse du criminel.
Dans un registre pédocriminel, c'est exactement le schéma que suivront les époux Fourniret. Monique adressait des lettres à celui qui était déjà emprisonné pour agressions sexuelles sur mineurs, avant de l'épouser et de servir de rabatteuse pour les viols et les meurtres de l'Ogre des Ardennes.
Lors du procès de Ted Bundy en 1979, des femmes se pressent à l'audience. Accusé du viol et du meurtre de plusieurs dizaines de jeunes femmes, le tueur en série fait l'effet d'une rock star. Bel homme, toujours sur son trente-et-un, celui qu'on surnomme le «Lady Killer» attire de très nombreuses groupies de l'âge de ses victimes.
Selon le psychiatre Roland Coutanceau, expert en criminologie, c'est d'abord le statut de star du criminel qui attire:
Pour Philip Jaffé, psychologue et criminologue, «l'immaturité de ces adolescentes explique en partie leur attirance pour des tueurs qui symbolisent à leurs yeux le summum de la virilité». Au centre de cette mécanique du désir déroutante, on retrouve donc d'abord l'attirance pour la célébrité et le frisson de la transgression.
C'est peut-être aussi ce que recherchait Afton Burton, jeune Américaine de 26 ans, au moment où elle s'est rapprochée de Charles Manson. Elle se fiance même avec l'octogénaire commanditaire de plusieurs meurtres en 1969, dont celui de l'actrice Sharon Tate, alors enceinte de huit mois. Plus surprenant encore, elle est loin d'être la seule à s'être intéressée à lui: la «mansonmania», c'est 20 000 lettres et e-mails adressés à Charles Manson chaque année. Tous les autres membres de la «Manson Family» se sont d'ailleurs mariés durant leur incarcération.
Dans le livre L'Amour (fou) pour un criminel, la journaliste Isabelle Horlans condense de nombreux témoignages de femmes et de spécialistes et dégage plusieurs profils d'amoureuses. L'auteure a notamment interrogé l'ancien avocat Eric Dupond-Moretti, qui considère que «dans notre culture, le voyou est plus séduisant que l'assassin. Ce sont des sentiments que l'on peut comprendre. Alors que tomber raide dingue d'un néonazi ou d'un Dutroux mériterait selon moi une expertise psychiatrique».
Et pourtant, Marc Dutroux reçoit lui aussi un abondant courrier de femmes, de l'argent, des peluches et même des demandes en mariage depuis qu'il a divorcé. L'administration pénitentiaire a dévoilé certains extraits de ces lettres. On peut lire:
Et l'adolescente de lui proposer sa photo... «Avec Dutroux qui est accessible, ces jeunes filles s'offrent le grand frisson comme si elles regardaient un film d'horreur. Il y a aussi une part de rébellion et de volonté de se faire remarquer», explique Isabelle Horlans.
Un autre profil d'admiratrices est décrit par l'auteure: «les infirmières», celles qui voient l'enfant blessé derrière le criminel et pensent pouvoir le remettre dans le droit chemin. «La plupart des correspondantes sont romantiques, dotées d'un instinct maternel qui n'a pas été toujours assouvi», écrit-elle. «Derrière le prédateur, elles voient l'humain qui a besoin d'aide.»
«J'ai envie de le sauver et de le protéger. Je comprends ce qu'il ressent. S'il avait reçu une aide adaptée pour soigner sa maladie mentale, il n'aurait jamais commis ce crime», explique ainsi Hannah, 34 ans, amoureuse de Luka Magnotta. Le «dépeceur de Montréal» est devenu tristement célèbre en 2012 après avoir commis un meurtre sanglant, filmé et diffusé sur internet. Hannah fait partie du fan-club qui lui voue un véritable culte en ligne.
Selon le docteur Coutanceau, «derrière l'image de l'homme incarcéré, il y a parfois l'innocent incompris. Quoi de plus exaltant que de s'élever contre l'injustice, réelle ou supposée? Certaines personnes sont hypersensibles au malheur et donc bien plus touchées par la situation du condamné que par les crimes qui l'ont mené en prison. Ainsi naissent des sentiments que je qualifie d' "affectivo-materno-amoureux"».
«Je n'aime pas les mecs gentils», me confiait l'une de mes patientes en évoquant ses relations destructrices avec les hommes violents. L'attirance pour le mâle alpha et les bad boys serait une autre explication aux amours pour les criminels. «L'attrait du "bad boy" se manifeste dès le collège. C'est le trublion qui défie le professeur, celui qui excite plus que le premier de la classe», explique Dr Coutanceau.
«Cela remonte aux temps préhistoriques, lorsqu'il était crucial pour une femme de choisir un homme qui pourrait subvenir à ses besoins à elle et ses enfants, autant qu'il pourrait la défendre contre les menaces extérieures», écrit le psychologue Leon F. Seltzer, analysant le syndrome de Bonnie and Clyde sous l'angle de la psychologie évolutionnaire. Et d'ajouter: «Dans la société d'aujourd'hui, les femmes sont plus indépendantes et ont la liberté de choisir un partenaire d'abord pour des raisons mentales et émotionnelles, plutôt que physiques et matérielles. Mais leur conditionnement les prédispose à être attirées par les mâles alpha. La rationalité moderne peut être contredite par les instincts primaires qui n'ont rien ou très peu à voir avec la raison». Et le psychologue de conclure:
Ce qui peut conduire à des drames dans le cas des amoureuses des criminels. «Il y a des femmes qui se réalisent dans la destructivité, tel que Monique Olivier [la femme de Michel Fourniret, red]», appuie Dr Roland Coutanceau. «Ces groupies-là sont attirées par les machos qui n'ont peur de rien et qu'elles perçoivent comme sécurisants.»
En 2018, la vidéo d'une surveillante de prison pratiquant une fellation à un détenu fait scandale. «L'univers carcéral, avec sa promiscuité et ses carences affectives, est le théâtre de nombreuses passions incontrôlables et dévastatrices. Le piège de la séduction au bénéfice du profit fonctionne à bloc. Tous les établissements sont concernés», résume ainsi Michel Bénézech, psychiatre, légiste et criminologue dans un article paru dans les Annales médico-psychologiques.
«Mes années passées en prison m'ont amené à diriger de nombreuses stagiaires, des étudiantes en psychologie qui achevaient leur cursus universitaire», ajoute le psychocriminologue Philip Jaffé. «Dès leur arrivée, je les mettais en garde: ne vous habillez pas ainsi, ne vous comportez pas comme ça, etc. Eh bien, malgré l'enseignement qu'elles avaient reçu et mes avertissements, un tiers d'entre elles finissait quand même par tomber dans le piège.»
La plupart des détenus admettent, lors de leur procès, avoir «utilisé» leur geôlière. Rares sont les beaux parleurs qui invoquent la réciprocité des sentiments. Et certainement pas le tueur en série. Philip Jaffé estime qu'en règle générale, le serial killer est «en demande d'affection. Si une femme lui témoigne son intérêt, il sort le grand jeu de la séduction. Il se montre sous son meilleur jour pour faire oublier ses crimes. Ces hommes sont les champions du monde de la manipulation, ils n'ont pas de capacité empathique. Ils sont égocentriques et se servent des gens sans se soucier de les faire souffrir».
«Nous sommes ici confrontés à des histoires plus compréhensibles que celles qui commencent par une relation épistolaire entre deux inconnus», complète le psychiatre Roland Coutanceau. «Nous avons affaire à des sentiments qui naissent dans la réalité, lors de vraies rencontres dans un contexte de promiscuité. Ce sont les qualités réelles du prisonnier qui vont accrocher son avocate, sa surveillante, sa visiteuse. Et lui, se sentant aimé, va voir l'intérêt qu'il peut retirer de cette liaison afin d'améliorer sa situation.»
Les conséquences peuvent être dramatiques, débouchant sur des tentatives d'évasion violentes ou plus simplement sur des vies brisées. C'est le cas notamment de la relation entre Emma, la jeune femme qui servit d'appât au gang des Barbares (le groupe a enlevé, torturé et tué Ilan Halimi en 2006) et Florent Goncalves, le directeur de la prison où elle était incarcérée, un mari et père de famille à la carrière jusque-là exemplaire. Grâce à cette relation, Emma a bénéficié de traitements de faveur, à tel point qu'elle a écopé du surnom de «directrice». Le directeur a été dénoncé par un surveillant du quartier des femmes qui, lui aussi, avait une relation avec Emma.
Dans cette rivalité amoureuse, les deux ont beaucoup perdu. Le directeur a été condamné à un an de prison ferme et 10 000 euros d'amende, et le surveillant à 18 mois de prison dont neuf avec sursis. Leur histoire a notamment inspiré Eperdument, un film sorti en 2016 avec Adèle Exarchopoulos et Guillaume Gallienne. A sa sortie de prison, Emma a mis fin à sa relation avec le directeur révoqué, dépressif et sans emploi.
Malgré cet exemple qui avait défrayé la chronique, le phénomène est essentiellement féminin. Selon une enquête réalisée dans les prisons américaines, alors que seulement 35% du personnel pénitencier est féminin, les inconduites sexuelles (impliquant un membre du personnel envers un détenu) concernent pour 73% d'entre elles des femmes de l'administration pénitentiaire. Cela monte même à 94% dans les centres pour mineurs.
Les tueuses n'attirent guère les hommes. Selon Philip Jaffé, «les hommes sont moins idéalistes que les femmes. Une relation épistolaire ne satisfait pas leurs besoins sexuels, quand la correspondante du prisonnier s'en passe volontiers»:
Pour son livre Women who love men who kill, Sheila Isenberg a interrogé une trentaine de ces femmes hybristophiles et ne leur a trouvé que deux points communs: une foi à toute épreuve en un dieu miséricordieux et des souvenirs d'enfance sur fond d'agressions sexuelles ou de violences. Elle décrit des femmes intéressées par une relation «non normale», qui reproduisent le schéma d'un traumatisme antérieur. Elles sont par ailleurs issues de la classe moyenne ou supérieure et sont enseignantes, infirmières, doctorantes ou encore journalistes.
Aussi déroutant que cela puisse paraître et aussi dramatique que cela puisse être, le syndrome de Bonnie and Clyde est un mélange de fascination pour l'horreur et la célébrité, de frisson de la transgression, mais aussi de sentiment de charité et d'empathie débordante, voire aveugle. Un phénomène qui continue de fasciner autant qu'il peut parfois faire chavirer des vies.
Cet article a été publié initialement sur Slate. Watson a changé le titre et les sous-titres. Cliquez ici pour lire l'article original