Pourquoi cette attaque d'opposants islamistes a-t-elle lieu maintenant en Syrie?
Wassim Nasr: Parce qu’une fenêtre de tir s’est ouverte pour l'Organisation de libération du Levant, ou HTS, pour Hayat Tahrir al-Cham, le nom du groupe djihadiste qui mène l’attaque contre les forces du président syrien Bachar al-Assad.
Lequel?
La milice chiite libanaise Hezbollah, soutien militaire du régime syrien, a été durement frappée par Israël au Liban, mais aussi en Syrie par ce même Israël, qui a cherché à couper toutes les lignes d’approvisionnement du Hezbollah vers le Liban.
Quelle autre raison derrière l'attaque du HTS?
Il y a un facteur politique: le président turc Recep Tayyip Erdogan a essayé plusieurs fois publiquement de se rapprocher de Bachar al-Assad, dernièrement encore, avant la tenue d’un sommet conjoint de la Ligue arabe et de l’Organisation de la coopération islamique qui s'est tenu le 11 novembre à Ryad, en Arabie Saoudite. Sans succès. Les islamistes du HTS, un groupe rebelle apparu en 2017, se sont dit alors que ce serait l’occasion de lancer une offensive et que les Turcs, dont les avances venaient d’être ignorées par Bachar al-Assad, ne s’y opposeraient pas.
Où est basé le HTS?
Dans la région d’Idlib, au Nord-Ouest de la Syrie. Une zone tenue par les rebelles islamistes. Ce qui nous amène à un autre facteur important expliquant l’offensive actuelle: les millions de personnes déplacées vivant dans la région d’Idlib après avoir fui d’autres régions de Syrie où la guerre civile sévit depuis 2011, ont mis une grosse pression sur le HTS pour rentrer chez eux.
Quelle type de pression?
Des facteurs militaires, politiques et humains ont donc abouti à cette attaque islamiste, dont personne n’imaginait qu’elle pourrait aller jusqu’à Alep, la deuxième ville de Syrie, que le forces de Bachar al-Assad contrôlaient depuis 2016 avec l'appui de l’armée russe et le soutien, entre autres, du Hezbollah. On a désormais la preuve que ce qui tenait le régime syrien, c'était le Hezbollah, cette fois-ci occupé ailleurs, en l'occurrence au Liban. Les rebelles du HTS contrôlent Alep et ils sont aux portes de Hama, distant de 210 km de la capitale Damas située au Sud.
Est-ce que le HTS est en mesure de progresser vers Damas?
Ce sera certainement plus compliqué que le chemin parcouru jusqu’ici. Les troupes du HTS se sont opposées pour l’heure à des soldats de l’armée syrienne qui n’étaient pas chez eux, mais qui occupaient des localités vidées de leurs habitants.
Qui trouve-t-on, dans HTS?
HTS est formé à 90% de Syriens qui sont en majorité des déplacés internes. Dans les 10% qui restent, on trouve aussi des djihadistes de différentes nationalités, qui n'ont rejoint ni al-Qaïda ni l'Etat islamique et qui sont tenus étroitement par HTS. Les récalcitrants, que ça soit parmi les Syriens ou les étrangers, ont été chassés ou tués par HTS ou par des frappes américaines. HTS est un groupe islamiste qui veut imposer la charia, la loi islamique issue du Coran, comme ils le font à Idlib. HTS est pour partie une ancienne filiale d’al-Qaïda en Syrie, appelée aussi à l’époque Front al-Nosra. Mais une ancienne filiale d’al-Qaïda qui a renié al-Qaïda, qui se bat contre elle, qui a tué en 2023 le calife de l’Etat islamique, Abou Al-Hussein Al-Husseini Al-Qourachi et qui a renié aussi le djihad global.
On lit qu’il y a aussi, dans HTS, aux côtés des islamistes, des anciens de l’Armée syrienne libre, qui ont un profil plus démocratique et qui ont été la première force d’opposition armée à Bachar al-Assad en 2011, avant qu’elle ne se fasse supplanter par les groupes djihadistes.
Oui, c’est le cas. Mais ce sont les islamistes qui mènent la danse.
Vous avez passé une semaine à Idlib il y a un an, vous avez rencontré le chef du HTS, Abou Mohammed al-Joulani. Qui est-il ?
C’est un Syrien âgé d’une quarantaine d’années, issu d’une famille de la classe moyenne de Damas. Il a été dans les rangs de l’Etat islamique avant de revenir en Syrie. Il s'est ensuite retourné contre l’Etat islamique et a rejoint al-Qaïda. Puis il a roulé al-Qaïda dans la farine et formé son propre groupe, en rupture avec le djihad global. Il est le seul chef djihadiste qui a toujours été à la tête d’une région, en l’occurrence Idlib.
Al-Joulani incarne une troisième voie entre al-Qaïda et Daech.
Les réseaux sociaux sont pleins de propos complotistes, disant que, derrière le HTS, on trouve Israël?
Mais non, pas du tout. HTS n’a fait que profiter de la guerre entre Israël et le Hezbollah. L’intérêt d’Israël est de garder Bachar al-Assad au pouvoir à Damas pour qu’il signe un jour la paix avec les Israéliens en s’éloignant de l’Iran. La preuve: qui a ramené Bachar al-Assad dans le jeu régional? Ce sont les Emirats arabes unis, les alliés d’Israël dans la région. Ils ont fait cela pour que Bachar al-Assad soit de toutes les tables de négociations. Mais la démonstration est faite par le chef de HTS, Abou Mohammed al-Joulani, que cela n’est pas possible, parce que Bachar al-Assad dépend beaucoup trop de l’Iran.
De mêmes propos complotistes s’étonnent que les forces du HTS n’aient pas prêté main forte aux Gazaouis…
Ce sont des inepties. Cela n’a aucun sens. Dans ce cas, pourquoi Bachar al-Assad, l’allié du Hezbollah, ne s’est pas engagé avec son aviation et ses roquettes contre Israël au Sud-Liban? Tout cela est insensé. Le HTS, pour information, se situe à la frontière turque, très loin de Gaza.
D’où provient l’armement du HTS?
En interne, HTS a développé des capacités de drones, d’explosifs et de blindage. Il n’y a rien d’exceptionnel à ce qu’une force insurgée soit s’équipe en matériels de guerre dans des régions en guerre. Cela fait plusieurs années que le groupe islamiste se prépare à cette attaque.
Les Russes ont commencé à bombarder les forces du HTS. Est-ce que l’intervention russe peut annihiler ou fortement limiter l’offensive islamiste?
Oui, cela dépend de nombre de forces que les Russes mettront dans la balance.