Une déclaration antisémite résonne depuis quelques jours dans la bouche de milliers de jeunes du monde entier:
Une phrase écrite par Oussama ben Laden, il y a vingt-et-un ans, pour justifier l'attaque terroriste du 11-Septembre.
Dans sa «Lettre au peuple américain», l'ex-chef d'Al-Qaida déclare avoir visé le World Trade Center (et tué plus de 3 000 personnes) en raison du soutien des États-Unis à «l'occupation des territoires palestiniens par Israël».
Voilà pour le contexte historique. Et vous imaginez bien pourquoi tout cela remonte aujourd'hui.
Lundi, une jeune femme utilisant le pseudo «_monix2» s'est filmée en train de lire cette missive à haute voix. Au départ, rien de très alarmant: cette internaute comptait moins de 400 abonnés au moment de sa récitation. Deux jours plus tard, le hashtag #LetterToAmerica avait pris un poil plus de poids. On parle alors de deux millions d'occurrences. Comme le précise le Washington Post, c'est relativement peu pour une plateforme qui compte «plus de 150 millions de comptes rien qu'aux États-Unis». Or, selon CNN, TikTok refuse toujours de donner le moindre détail sur l'ampleur du phénomène.
Over the past 24 hours, thousands of TikToks (at least) have been posted where people share how they just read Bin Laden’s infamous "Letter to America," in which he explained why he attacked the United States.
— Yashar Ali 🐘 (@yashar) November 16, 2023
The TikToks are from people of all ages, races, ethnicities, and… pic.twitter.com/EwjiGtFEE3
Si certains se contentent de lire le contenu de cette lettre antisémite, la plupart en font une bruyante promotion, tous sur le même mode opératoire:
En parcourant les vidéos sur TikTok, on découvre (non sans effroi) que les mots d'Oussama ben Laden résonnent aujourd'hui comme «une révélation» dans le cadre du conflit au Proche-Orient, que ce texte «m'a ouvert les yeux» et que son auteur est considéré comme un «résistant».
A en croire la jeunesse américaine, on n'est pas loin de vouloir réhabiliter l'un des terroristes les plus meurtriers de l'histoire contemporaine: «On nous a menti toute notre vie», clame encore un jeune pro-Palestiniens, qui avoue ne «rien connaître d'Oussama».
En vérité, c'est une traduction de ce pamphlet qui a mis le feu aux poudres. Ou plutôt... sa suppression. The Guardian, qui abritait une version en anglais depuis de longues années, a décidé cette semaine de la rendre indisponible. Interrogé par le site 404, le média britannique justifie son choix en affirmant notamment que «cette retranscription, publiée il y a 20 ans, a depuis été très largement partagée sur les réseaux sociaux sans son contexte original».
Un exemple parfait du célèbre effet Streisand, qui consiste à planquer discrètement quelque chose qui finit par exploser aux visages.
Pour ces tiktokeurs complotistes, ce sera une preuve de plus que l'establishment a bien quelque chose à se reprocher. Renée DiResta, responsable de recherche au Stanford Internet Observatory, a d'ailleurs engueulé publiquement le Guardian sur le plateforme Threads, jeudi.
Il faut dire que la plupart des internautes pro-Palestiniens s'étant soudainement épris du terroriste, tué au Pakistan le 2 mai 2011 après un raid de 40 minutes mené par les forces spéciales américaines, n'étaient pas né au moment de l'attentat du 11-Septembre.
En décidant de s'approprier une poignée de déclarations de Ben Laden pour fustiger le soutien de la Maison-Blanche à Israël, ces jeunes, principalement issus de la gauche radicale précise le NY Times, omettent de déclarer (voire même de réaliser?) que les propos tenus dans cette lettre sont aussi violemment homophobes. L'homosexualité est considérée comme immorale et le sida serait une «création satanique des Etats-Unis».
Jeudi soir, TikTok s'est montré un chouïa plus bavard, mais sans convaincre. Par l'intermédiaire de l'un de ses porte-paroles, Alex Haurek, la plateforme du géant chinois ByteDance a déclaré:
Or, pour bon nombre d'observateurs aguerris, c'est un énième exemple d'une propagation de plus en plus hors de tout contrôle de la propagande antisémite en ligne.
Vendredi sur X, Tristan Mendès, spécialiste français de la désinformation, déclarait que ce buzz de mauvais goût avait permis d'assister au «réveil des truthers du 11-Septembre», ces adeptes des pires théories fumeuses depuis 2001.