La vraie star (et la victime) dans cette rocambolesque aventure, c'est peut-être surtout le château en lui-même: celui de La Rochepot, en Bourgogne. Avant qu'il ne croupisse en mains ukrainiennes en 2015, la région comptait beaucoup sur lui pour attirer les touristes comme des mouches. Cette bâtisse de 40 pièces (réparties sur 1500 mètres carrés), longtemps occupée par la famille du président de la IIIe République, Sadi Carnot, accueillait environ 30 000 visiteurs par an.
En 2015, une lointaine descendante de ce président de la IIIe République déboule de nulle part. Sylvie Carnot, 64 ans, brocanteuse qui coule des jours heureux à San Francisco, décide de se séparer de son vieux joyau à pont-levis paumé au milieu de l'Europe. Une bâtisse qui était tout de même le troisième monument le plus visité de Bourgogne. L'annonce, qui paraît dans la presse locale fait causer (et plaisir à la population):
L'agence immobilière chargée de la vente, tout comme le maire de la commune, se montrent très vite séduits par une offre en particulier. Un étranger, à la tête d'une discrète société et qui s'annonce (au début) comme un homme d'affaires lituanien, a des projets alléchants pour le château de La Rochepot. «Une truffière, un négoce de vin, un héliport sur un terrain attenant et même un bar perché dans les arbres. Rien de tout ça n’a jamais vu le jour», raconte Le Monde.
Reste que l'homme a bien acquis le château pour trois millions d'euros tout en promettant de «dynamiser les visites des lieux». Les habitants, conquis par son charme et sa volonté de sublimer la région, l'appelleront Monsieur Rodolph. Mystérieux sur son passé, l'homme ne se fera en revanche jamais prié pour boire (et offrir) des coups dans les troquets du coin. «En plus, il payait tout le temps en liquide», raconte-t-on dans Vanity Fair.
Or, il y a un hic: cet étrange «Lituanien» est non seulement ukrainien, mais aussi... décédé.
Une vérité actuelle toutefois: ce lundi, Dmitri Malinovsky, un oligarque originaire du Donetsk et âgé de 40 ans, se retrouve devant la justice de Nancy, accompagné d'une demi-douzaine de complices. Il y sera jugé jusqu'au 21 novembre pour détention illégale d’armes à feu, abus de bien sociaux, travail dissimulé et usage de faux. On parle surtout de 13 millions d'euros blanchis «en bande organisée».
Le riche oligarque a été arrêté le 5 octobre 2018, quand les inspecteurs chargés de l'affaire avaient «rassemblé suffisamment de preuves». Ce jour-là, plusieurs véhicules de la police font irruption dans la cour du château pour procéder à une perquisition. Le hameau est en émoi et les agents ont du pain sur la planche: 1500 mètres carrés à fouiller de fond en comble. Mais après une journée entière de chasse, le butin, dévoilé par Le Monde, dépasse toutes les espérances:
Le tout, détourné en Ukraine en 2015 et blanchi, en partie, en France. Les premiers soupçons de gestion frauduleuse sont l'oeuvre d'un journaliste du média local Le Bien Public, en 2017. Une dizaine d’employés sans papiers viendraient de Moldavie et seraient logés dans les combles et des conditions peu recommandables.
Un riche châtelain accusé de tout un tas de choses en France, mais officiellement mort en Ukraine? Oui, c'est bien ça. Du moins, jusqu'en 2018.
Le 24 octobre 2014, alors chargé de jouer l'intermédiaire dans une importante vente d’engrais chimiques entre une usine d’Odessa et une entreprise de trading baptisée Dreymoor, Dmitri Malinovsky aurait été victime d'un grave accident de voiture «en pleine zone de guerre».
Sa femme, avec qui l'Ukrainien a conçu quatre enfants, racontera aux policiers qu'il est décédé sur le coup. Il n'y aura (au début) aucune enquête locale et sa veuve de l'époque, Alla Malinovska, dira avoir reçu ses cendres d'un inconnu, quelques jours après le tragique accident.
Or, le petit malin s'est volatilisé avec les fameux 13 millions.
Mais l'enquête du Bien Public, les dires du patron de l'entreprise Dreymoor et les doutes du procureur ukrainien Igor Chorniy réuniront progressivement toutes les pièces d'un puzzle... présent aujourd'hui devant la justice nantaise. Durant les interrogatoires de la police française en 2019, Dmitri Malinovksy se présentera comme le descendant d’une lignée aristocratique, affirmant avoir étudié la logistique.
Dès ce lundi et jusqu'au 21 novembre, la justice française devra trier le vrai du faux, face à six prévenus, dont Dmitri Malinovsky, son ex-maîtresse baptisée Olga Kalina (c'est elle qui aurait officiellement acheté le château), la fausse veuve Alla Malinovska, mais aussi l’ancien gérant du château, une avocate parisienne impliquée dans l’achat de la propriété. Cocasse: quand les inspecteurs ont mis la main sur le fuyard, ils ont publié un tweet, en anglais, annonçant fièrement l'arrestation de The Lord of the Castle (le seigneur du château).
Et le château dans tout ça? Depuis cette histoire rocambolesque, les visites et les touristes ont chuté. Le fondateur du mouvement «Sauvons les meubles du château» et ancien garde des lieux, Romuald Pouleau, a dévoilé ses craintes au Monde: «J’ai peur de l’issue du procès et des procédures en appel qui pourraient encore durer des années.»
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