Ça commence à faire beaucoup. Après le pont de Crimée, l'aérodrome de Saki, la baie de Sébastopol et la raffinerie de Novochakhtinski, l'Ukraine aurait mené une autre attaque dans le territoire russe (ou annexé), bien loin de ses frontières. Cette fois-ci, Kiev aurait frappé les bases aériennes de Riazan et Engels, secouées lundi par deux fortes explosions.
Cette dernière attaque n'est pourtant pas comme les autres. Il s'agirait même de la «plus audacieuse» depuis le début de la guerre, estime le New York Times. Et pour cause: ces deux aérodromes sont situés au coeur du territoire russe, respectivement à 500 et 450 kilomètres de l'Ukraine. Jamais Kiev n'a frappé aussi loin de ses frontières.
Moscou a tout de suite accusé l'Ukraine d'avoir mené ces attaques à l'aide de drones. Trois morts et quatre blessés sont à déplorer, a affirmé le ministère de la défense. L'Ukraine n'a, de son côté, ni confirmé ni réfuté ces allégations, préférant, comme à son habitude, répondre de manière évasive et énigmatique.
Le conseiller à la présidence ukrainienne, Mikhaïlo Podoliak, a par exemple tweeté:
«L'aérodrome des bombardiers stratégiques, qui peuvent transporter des armes nucléaires, a été attaqué par des drones bon marché. Que fait la défense aérienne russe?», a renchéri Anton Gerashchenko, un autre conseiller du gouvernement ukrainien.
Des déclarations qui sonnent comme des aveux à demi-mot, car, comme le remarque le New York Times, les responsables ukrainiens ont souvent réagi de cette manière après des explosions inexpliquées en Russie. Une manière de revendiquer indirectement leurs actions.
La nature des aérodromes visés parle également en faveur de cette thèse: les deux bases abritent des éléments de la flotte de bombardiers stratégiques russes, que la Russie a utilisés pour frapper l'Ukraine tout au long de la guerre.
Ces dernières semaines, les bombardements ont été particulièrement intenses. La nouvelle stratégie russe consiste à frapper l'infrastructure énergétique ukrainienne, pour priver la population de lumière et chauffage, pile au moment où les températures ont commencé à descendre au-dessous de zéro.
Situé dans la région de Saratov, l'aérodrome d'Engels est la principale base russe d'aviation à long rayon d'action dans la partie occidentale du pays, rapporte le site spécialisé The Drive. Elle abrite notamment la 22e division d'aviation de bombardiers lourds, qui exploite des Tu-95 et des Tu-160. Ces deux types d'avion ont été largement utilisés pour lancer des missiles de croisière contre des cibles en Ukraine.
La base de Dyagilevo, située près de la ville de Riazan, abrite également de nombreux bombardiers. C'est là que les décès sont survenus, a rapporté l'agence de presse russe RIA Novosti.
Peu de détails sont connus concernant les attaques de lundi, à part une poignée de vidéos montrant une explosion retentir à Engels.
2 planes damaged, 2 person wounded as result of suspected drone strike at airfield in Saratov region of Russia https://t.co/zJ8MG4hpvu pic.twitter.com/Y4DS7bLcw2
— Liveuamap (@Liveuamap) December 5, 2022
Selon le Kremlin, les attaques ont été menées avec de vieux drones à réaction soviétique volant à basse altitude, que l'aviation a réussi à abattre. Les détonations auraient ainsi été provoquées par la chute et l'explosion de ces engins.
En se basant sur les déclarations d'un haut responsable ukrainien, le New York Times confirme la version russe, du moins la première partie. Les drones ont été lancés depuis l'Ukraine, affirme-t-il. Au moins une des frappes a été effectuée avec l'aide des forces spéciales proches de la base qui ont aidé à guider les engins vers la cible.
Les deux bases sont hors de portée de tout missile connu de l'arsenal ukrainien, souligne encore le quotidien américain. Selon The Drive, il pourrait s'agir d'un drone de reconnaissance Tu-141 Strizh, modifié pour pouvoir porter une ogive. En mars dernier, un exemplaire de cet engin s'était mystérieusement crashé en Croatie, après un vol de 560 kilomètres - une distance similaire à celle parcourue par les drones qui ont attaqué les bases russes lundi.
Ces attaques démontrent la capacité de l'Ukraine à attaquer à de si longues distances, résume le New York Times. Mais qu'en est-il des dégâts? Concernant la base d'Engels, la Russie a affirmé que deux avions ont été «légèrement endommagés». Les premières images satellites disponibles du site ne montrent pas de signes évidents de dommages importants à la base, commente The Drive.
Plusieurs camions de pompiers mobilisés sur place et une mousse blanche sous l'un des avions sont toutefois clairement visibles:
Le deuxième aérodrome a probablement été touché plus sévèrement, comme semblent montrer des images qui circulent sur les réseaux sociaux. La déflagration, initialement attribuée à l'explosion d'un camion-citerne, a gravement endommagé un Tu-22M3.
«On dirait qu'on est passé tout près d'une perte catastrophique», a commenté l'analyste Rob Lee sur Twitter. Et ce n'est peut-être pas la dernière: pas plus tard que ce mardi matin, RIA Novosti a rapporté que l'aérodrome de Koursk a été attaqué par un drone. (asi)