La guerre en Ukraine a beau être un conflit ultra-médiatisé, on n'en sait pas beaucoup sur les pertes sur le terrain. Pour des raisons évidentes, les belligérants restent très discrets au sujet de leurs morts. Les informations fiables concernant le nombre de soldats tués sont rares.
Vendredi, le général américain Mark Milley a déclaré que les Russes ont subi «un nombre considérable de pertes», avant d'ajouter de manière évasive:
Ce nombre comprend les hommes tués, blessés ou qui ont déserté. Si Milley a refusé d'en dire plus, le journal britannique The Sun a eu accès au chiffre exact, qui s'élèverait à 188 000 unités. Bien plus que le dernier bilan de 100 000 annoncé en fin d'année par le ministre britannique de la défense, Ben Wallace.
«Ces chiffres semblent crédibles», réagit Alexandre Vautravers, rédacteur en chef de la Revue militaire suisse. «Les Etats-Unis utilisent une méthode assez cohérente et peuvent compter sur des services secrets très efficaces, qui se basent sur plusieurs données, y compris par exemple les annonces de décès en Russie», explique-t-il.
En partant du principe que les pertes totales se montent à 188 000 hommes, il est possible d'affirmer que le nombre des morts dépasse les 60 000 unités. «Il y a un consensus autour du chiffre de 60 à 80 000 morts», complète le spécialiste. «Historiquement, les blessés sont le double du nombre de morts».
Il s'agit d'un chiffre très élevé, notamment si comparé à d'autres conflits du passé. Les forces soviétiques ont, par exemple, perdu 15 000 hommes en neuf ans de guerre en Afghanistan, tandis que plus de 58 000 Américains sont morts au Vietnam, affirme le centre de réflexion Institute for the Study of War (ISW) à titre de comparaison.
Cela revient à dire que les Russes ont perdu plus d'hommes en onze mois que les Américains en huit ans. Une comparaison impressionnante, mais un peu tirée par les cheveux, nuance Alexandre Vautravers. «Le conflit au Vietnam était une guerre généralement de basse intensité, avec une nette supériorité technique d'un côté sur l'autre. A cause de cela, les pertes américaines ont été relativement limitées», développe-t-il.
«De plus, considérer uniquement les Américains morts est limitatif, étant donné que des soldats australiens et sud-vietnamiens ont combattu à côté des Etats-Unis», poursuit le spécialiste. «Les estimations occidentales sur l'Ukraine, par contre, comprennent probablement les Russes, les combattants pro-russes des Républiques de Donetsk et Lougansk, ainsi que les mercenaires.»
Cela ne veut pas dire qu'une comparaison historique est impossible. Des exemples existent, ce qui permet au passage de mieux comprendre pourquoi le conflit en Ukraine est si meurtrier.
L'expert évoque, par exemple, la guerre russo-géorgienne de 2008 et la guerre du Donbass (2014-2015), pendant lesquelles les Russes ont utilisé les mêmes méthodes qu'en Ukraine, ou la seconde guerre du Golfe (2003-2011), comparable en termes d'effectifs déployés.
Deux différences majeures existent pourtant entre ces exemples du passé et la guerre actuellement en cours, poursuit Alexandre Vautravers. «La première, c'est qu'aucune des deux parties n'a aujourd’hui une supériorité technique décisive par rapport à son adversaire», explique-t-il. «En 2003, il y avait une disparité considérable entre le matériel de l'armée irakienne et celui de l'armée américaine».
La deuxième différence concerne le rythme des combats. «La guerre en Ukraine est un conflit de haute intensité, avec peu de moments d'accalmie. L'intensité des combats n'a presque jamais faibli pendant 11 mois», indique le spécialiste, qui fournit un exemple très parlant:
En juin de l'année passée déjà, le Washington Post écrivait que la guerre en Ukraine était «l'une des plus meurtrières de ces 200 dernières années». Le quotidien américain s'appuyait sur les calculs du projet académique Correlates of War. En se basant sur les données relatives aux conflits ayant eu lieu depuis 1816, ce dernier affirme qu'une guerre moyenne tue environ 50 soldats par jour et dure environ 100 jours.
Si on refait ces calculs à partir des chiffres révélés par le Sun (62 000 morts après 330 jours de guerre), il en résulte que le conflit en Ukraine a tué plus de 187 soldats russes par jour en moyenne.
«Si la guerre avait duré deux semaines, comme le Kremlin le prévoyait, le nombre de morts serait bien entendu plus faible», conclut Alexandre Vautravers.