«Pour forcer Poutine à arrêter la guerre, 3 choses sont indispensables»
Il y a déjà eu une série de plans visant à mettre fin à la guerre. Cette tentative semble se distinguer des précédentes. Est-ce le cas?
Mykhaïlo Podoliak: Tout d’abord, il s’agit d’un projet qui doit être discuté entre l’Ukraine, les Etats-Unis et l’Europe. Je diviserais ce projet en trois volets. Le premier concerne la fin de la guerre en Ukraine. Le deuxième touche à la doctrine de défense européenne, autrement dit aux garanties de sécurité. Et le troisième porte sur les relations économiques entre les Etats-Unis, la Russie et l’Europe, y compris la gestion des avoirs et des biens concernés.
Il faudra bien sûr poursuivre les discussions sur ce projet. Elles auront également lieu au niveau des présidents. La semaine prochaine, Volodymyr Zelensky et Donald Trump vont s'entretenir. Et à mon sens, les dirigeants européens devraient être associés à cette rencontre.
Mais le temps presse. Le plan est accompagné d'un ultimatum.
Je ne pense pas qu’il s’agisse d’un ultimatum. L’idée est que des consultations doivent avoir lieu d’ici jeudi et qu’une solution soit trouvée. Pour mettre fin à une guerre comme celle en Ukraine, il faut un travail beaucoup plus détaillé. D’ailleurs, Vladimir Poutine l’a lui-même dit, tous les points de ce projet doivent être précisés. Par ailleurs, Donald Trump a indiqué que les Etats-Unis utiliseraient leurs moyens de pression contre la Russie, notamment via les sanctions. Je recommande de garder son calme et d’analyser tous les projets et les plans avec sérénité.
La réalité doit être évaluée. Par exemple, la Russie veut-elle vraiment s’arrêter quelque part? Nous, en tout cas, sommes prêts à un dialogue diplomatique. Nous ne pouvons pas prendre une décision en une semaine, mais nous pouvons en discuter.
Le plan ressemble à un catalogue des revendications maximales de la Russie. Y a-t-il seulement un point auquel l’Ukraine pourrait souscrire?
L’élément clé, du côté américain, est la volonté concrète de mettre fin à la guerre. La question est de savoir si les motivations de la Russie sont comprises, et à quelles garanties de sécurité la Russie accepterait de se soumettre. Cela concerne notamment tout ce qui touche aux forces armées ukrainiennes et à la portée des armes ukrainiennes.
Ce point doit faire l’objet de discussions supplémentaires. Je pense que les Etats-Unis en sont conscients. Ils sont prêts à adopter une approche constructive. Nous aussi.
Et la Russie?
Je ne doute pas qu’au moment où des discussions concrètes commenceront, la Russie posera de nouvelles exigences, beaucoup plus élevées que les précédentes.
Beaucoup des points figurant dans ce plan avaient déjà été discutés au printemps dernier à Istanbul. Et il était évident qu’ils étaient inapplicables. Observez-vous aujourd’hui, du côté russe, la moindre volonté d’apaisement?
Ils veulent revenir à une sorte de concept postsoviétique de contrôle territorial.
A l’époque déjà, ce processus de négociation n’était pas réaliste. Aucun scénario réaliste de sortie du conflit n’avait été proposé. Nous voyons ce que fait la Russie, elle intensifie au contraire ses frappes contre les civils et ses attaques en général. Mais nous sommes prêts à discuter. Pour cela, il faut examiner calmement les propositions américaines, travailler de manière consultative sans rejeter automatiquement. Et nous voulons aussi montrer une dernière fois que la Russie n’a aucune intention de sortir de la guerre.
On pourrait dire que cela était déjà clair plusieurs fois.
C’est pourquoi nous estimons que, lorsque Donald Trump constatera clairement que la Russie n’est pas prête à mettre fin à la guerre et à renoncer à son concept expansionniste, il faudra employer des instruments d’un tout autre ordre. Par exemple des sanctions d’une ampleur différente, l’isolement financier complet de la Russie, l’utilisation intégrale des avoirs russes gelés pour financer les programmes de défense. Et un tout autre niveau de livraisons d’armes, avec une intensification significative des frappes en profondeur sur le territoire russe. Il n’y a pas d’autre voie.
Dans ce plan, toutes les obligations reposent sur l’Ukraine, rien n’est demandé à la Russie. Que dit cela de la coopération américano-ukrainienne?
Beaucoup d’armes que nous utilisons, beaucoup d’investissements dans l’industrie de défense, beaucoup d’informations confidentielles que nous recevons proviennent des Etats-Unis. De plus, la position unifiée de l’Europe est largement due aux Etats-Unis. Ces derniers augmentent leurs programmes de vente d’armes financés par l’Europe.
En revanche, ils abordent les propositions pour mettre fin à la guerre selon leur propre lecture de la situation. Or, nous comprenons les motivations de la Russie actuelle et savons qu’aucune proposition ne fonctionnera sans pression majeure sur Moscou. Nous acceptons la position américaine, nous comprenons leur motivation, mais nous voulons expliquer, sur la base de faits, pourquoi il faut adapter ces propositions et accroître la pression sur la Russie.
Ce plan a été rendu public une semaine après l’explosion d’un important scandale de corruption en Ukraine. S’agit-il d’une coïncidence ou ces deux événements sont-ils liés?
Je ne suis pas adepte des théories du complot. Il existe une transformation interne de l’Ukraine en tant qu’Etat. Nous restons malheureusement un Etat postsoviétique. Et la corruption est un élément structurel de toutes les économies postsoviétiques, pas seulement en Ukraine. La question n’est pas de savoir si elle existe, mais à quelle vitesse et avec quelle fermeté l’Etat y répond. L’Etat ukrainien, la présidence et les autres institutions ont réagi rapidement. Concernant le projet américain, il s’agit selon moi d’un sujet distinct.
L’un des points de ce plan concerne des élections en Ukraine. Or, ces élections sont actuellement impossibles sur le plan logistique et juridique. En revanche, des changements de personnel au sein du gouvernement ou de la présidence seraient possibles. Faut-il s’attendre à des changements?
Je rejette ce point. Pourquoi? Parce que la démocratie ne peut pas exister sans élections. Bien sûr, la guerre limite fortement les processus électoraux. Nous sommes attaqués chaque nuit. Un grand nombre de personnes sont directement engagées dans les combats. Il ne s’agit pas pour quiconque de s’approprier quoi que ce soit ou de refuser des élections. Le président l’a répété plusieurs fois, dès que nous arriverons à un arrêt ferme et garanti des hostilités, des élections seront organisées et tenues dans un délai relativement court, présidentielles comme législatives. Ce point relève donc de la logique de l’après-guerre.
Ce processus de négociation est-il le début de la fin de la guerre?
Premièrement, l’Ukraine est clairement prête au processus de négociation et prête à mettre fin à la guerre. Mais deuxièmement, je recommande à chacun d’écouter les discours de Vladimir Poutine et leur tonalité émotionnelle.
Pour elle, il est impossible de mettre fin à la guerre, celle-ci permet de tout justifier, les restrictions internes, les provocations externes, notamment envers l’Europe, surtout l’Europe du Nord. Pour contraindre la Russie à arrêter cette guerre, trois choses sont indispensables.
- Ne pas lui offrir de négociations inutiles,
- réduire drastiquement son accès aux marchés financiers mondiaux,
- renforcer nettement les frappes sur son territoire, c’est-à-dire détruire sa base de ressources militaires.
Sans cela, rien n’est possible, car elle renforce cette base. Et si l’on réoriente l’économie russe vers le militarisme, que pensez-vous qu’elle fera dans trois ans? Le troisième élément est de réduire toute forme d’influence russe sur divers pays en matière d’information et de diplomatie. Il faut simplement écouter Vladimir Poutine attentivement.
Traduit de l'allemand par Joel Espi
