J'ai visité les lieux les plus glauques de Tchernobyl
Avant la guerre en Ukraine, des dizaines d’entreprises touristiques faisaient commerce de l'image flippante de Tchernobyl. Les images de la ville fantôme de Pripyat, une capsule temporelle restée figée dans les années 1980, ont fait le tour du monde.
Désormais, le périmètre est fermé au public, et seuls les militaires ou les journalistes accrédités par le ministère ukrainien de la Défense sont autorisés à entrer dans ce qui a été nommé la «zone d'exclusion de Tchernobyl».
Pripyat se trouve à moins de 10km du réacteur qui a explosé en avril 1986, conduisant à la plus grande catastrophe nucléaire de l'humanité. Alors que près de 50 000 personnes y vivaient, sa population a dû être evacuée en quelques heures. Elle n'est jamais revenue.
Autant dire que la ville fantôme, désormais l'une des zones les plus radioactives au monde, n'est pas des plus hospitalières. J'ai pu y passer deux jours, seul avec mon guide. Voici en images les lieux qui, durant ma visite en septembre, m'ont le plus marqué.
La piscine
C’est l’un de mes endroits préférés de toute la «Zone». Situé proche de l’hôpital, le complexe sportif accueillait ce qui fut autrefois une magnifique piscine avec un plongeoir de compétition.
L’ensemble est désormais très «nature», puisque les arbres ont colonisé les environs, et ne sont pas loin de pénétrer dans les locaux, comme cela est le cas ailleurs dans la ville fantôme.
En discutant avec mon guide, Anton, j'ai utilisé le terme d'«esthétique de la destruction». Les amateurs d'urbex seront sûrement de quoi je parle. Mais on est d'accord, c'est glauque.
Avec son grand plongeoir, et son bassin très profond, la construction est très esthétique. Dans le fond, on trouve quantité de déchets. Pour ajouter à l’ambiance, les murs commencent à moisir.
Les salles de sport
On est purement dans le contraste. A la place d'avoir un lieu vivant, solide, on se trouve dans des salles qui respirent l'immobilité et semblent toutes ramollies.
Sur le sol des salles de sport on trouve ce que j'ai appelé des «lamelles spaghetti».
Le sol en bois pourrit progressivement et finit par devenir mou, si bien que les intempéries ou des personnes mal intentionnées peuvent facilement déplacer ces poutres.
Les lieux sont non seulement dangereux, mais ils donnent l’impression qu’à n’importe quel moment, on pourrait mettre le pied où il ne faut pas, et s’enfoncer dans une sorte de marécage qui nous conduirait vers une autre dimension.
Le plus glauque, c'est que l'on sent bien que les lieux étaient quasiment neufs au moment d'être abandonnés. Tout était peint, taillé, décoré.
Mais rien ne résiste au temps. Et lorsqu'un lieu n'est pas utilisé, surtout s'il doit passer les saisons sans fenêtres, il finit irrémédiablement par se décomposer.
L'hôpital
Ah... l’hôpital… On aurait beaucoup à dire sur ce lieu devenu l’un des symboles de la catastrophe de Tchernobyl.
Et ceux qui ont vu la mini-série consacrée à la catastrophe nucléaire s’en souviennent, c’est là que les premiers employés et les pompiers ont été amenés.
C'est là que l'on s'est rendu compte que personne n'était réellement préparé pour une catastrophe de cette ampleur, et en particulier à un accident nucléaire.
L’entrée de l'hôpital est toute pourrie, et la «réception» a été végétalisée par le temps qui passe.
On n'a pas envie de moisir ici
Toujours dans le hall, on trouve une pile d’habits abandonnés par des soignants. Oui, sûrement des vêtements bien contaminés. Autant dire qu’on ne va pas faire dodo dessus.
Auparavant accessible, le sous-sol est désormais interdit d'accès. On y trouve les habits des premières victimes brûlées par les radiations, des vêtements carrément abandonnés là en piles, à l'air libre, et ultra-contaminés par les radiations.
Autant dire que si on y entre en jean et petites baskets, on risque de ne plus jamais en ressortir. Avec des taux de radioactivité de cette ampleur, il suffit de quelques secondes d'exposition pour que les dommages soient dramatiques. Des excursions y sont toutefois possibles, à condition de porter des vêtements de protection adaptés.
A l’étage de l'hôpital, les pièces ont presque toutes été vidées. Au fond d’un couloir, une salle est encore partiellement équipée, avec un brancard, des lumières et des instruments qui font bien flipper.
On flipperait déjà à l’idée d’une salle d’opération façon film d'horreur, mais là, il est question d’interventions gynécologiques. Pour casser l'ambiance déjà pas folle, mon guide me lance:
A toutes fins utiles, mais on ne saura pas laquelle, tout au fond du bâtiment, se trouve une salle de spectacle.
Et le spectacle est bien là. Une scène complètement détruite, des lustres suspendus partout, et un sol qui donne lui aussi l’impression de se transformer en pétrole.
L'école
Les contrastes, on vous disait. Ces petits pupitres, ces livres d’images, ces laboratoires de chimie rigolos, tout prend une autre dimension dans cette ambiance postapocalytique.
Et de tous les endroits que nous avons visités, celui-ci semble le plus propice à une invasion de zombies. On vous rassure, à part le froid matinal, rien ne nous a mordus.
Anton m'explique que le samedi qui a suivi la catastrophe, les élèves étaient carrément en cours. Ils ont finalement été évacués sur les coups de midi.
Les salles de classe mettent clairement mal à l’aise. On y trouve des livres déchiquetés, et pour peu, on entendrait encore le prof enseigner le russe aux élèves de primaire.
Sur le sol, on trouve partout du papier, des déchets, et même des lettres de l’alphabet cyrillique. On voit bien que les lieux ont été pillés, et peut-être que certains ont trouvé marrant d'améliorer l'atmosphère en empilant des tables ou en déchirant les livres scolaires.
Tout au fond du couloir en forme de U, on trouve une salle de classe qui devait servir notamment à l’enseignement de la musique. Il y a un piano défoncé, un tableau noir et, sur le mur, la fresque de deux jumelles qui semblent tout droit sorties d’un film d’horreur. Mon guide me dit:
Plus loin, des centaines de masques à gaz s'étalent sur le sol. Ses images ont fait le tour du monde. Mais que venaient-ils faire dans une école? Anton me raconte:
Pas nucléaire, mais chimique. Voilà pourquoi ont trouvait des centaines de masques à gaz dans cet établissement scolaire.
A l'intérieur de ces masques, on trouvait des filtres contenant de l'argent. Des pilleurs ont donc «simplement» récolté tous les masques disponibles dans l'école. Et un par un an, ils ont retiré le filtre et jeté les masques parterre.
On a beau se dire qu'il ne s'agit que de déchets, on se prépare tout de même à se défendre contre des zombies qui pourrait apparaître par une porte moisie, une fenêtre pétée ou une salle à moitié inondée.
Cette salle étrange
La salle se situe à côté d'un musée à ciel ouvert rempli de camions et d'engins ayant servi à la décontamination du site. A côté d'un immense hangar vide, se trouvent un petit atelier et cette pièce bien glauque. Mais voilà, c'est ma préférée.
On pourrait entendre le générique de Stranger Things...
Si vous avez vu le film Annihilation ou la série Stranger Things, on a effectivement l'impression que ce mur pas net va nous transporter vers une autre dimension, de celles où l'on n'a pas envie de s'éterniser. Une pure esthétique de la destruction.
