A bord du train qui a permis à des Russes de «s'évanouir dans la nature»
«On ferme tout! Plus de toilettes!», s'époumone Olga, la contrôleuse. Une demi-heure avant d'arriver en Lituanie, le train qui relie Moscou à l'enclave russe de Kaliningrad est hermétiquement fermé pour éviter que les passagers ne «s'évanouissent dans la nature».
Le train russe baptisé «Yantar» (ambre, en russe) est unique en Europe. Au cours des 19 heures et plus de 1000km qu'il parcourt pour relier Moscou à Kaliningrad, l'exclave russe coincée entre la Lituanie, la Pologne et la mer Baltique, il passe par la Biélorussie, pays allié, mais doit aussi transiter par la Lituanie.
Un bien étrange trajet
Ce pays, membre de l'Union européenne et de l'Otan, est un fervent soutien de l'Ukraine contre laquelle la Russie est en guerre depuis février 2022. Avant l'arrivée dans la gare lituanienne de Kena, le réveil est brutal. Et c'est Olga (prénom modifié), employée de la compagnie d'Etat russe RZD qui officie.
«Frontière lituanienne dans 30 minutes», lance-t-elle, avant d'ajouter: «Prenez vos précautions!» Voilà le peu de passagers que compte le Yantar prévenu. Chargée du confort dans l'une des voitures du train aux couchettes riquiqui et au chauffage poussé à fond, Olga explique:
Le train fermé, voici Kena, première gare en Lituanie où les gardes-frontières lituaniens montent vérifier les passeports. Interrogé, le service des garde-frontières de Lituanie explique:
C'est pour cela que «les portes et les fenêtres sont scellées», indique un agent de Frontex, l'agence européenne de protection des frontières, qui accompagne ses collègues lituaniens. Cet agent, dont ni le nom, ni la nationalité ne peuvent être révélés, explique:
Un écho à la guerre froide
Il y a deux ans encore, la presse lituanienne rapportait des cas de Russes qui utilisaient l'arrêt de Kena comme «fenêtre sur l'Europe», à l'heure où les tensions entre la Russie et l'Otan sont fortes.
Les pays baltes ont dénoncé plusieurs violations de leurs espaces aériens par des appareils russes. La semaine dernière, la Lituanie a ainsi vivement protesté à la suite d'une brève incursion de deux avions russes en provenance de Kaliningrad.
A bord du Yantar, Nikolaï garde un œil sur le paquet glissé sous sa couchette. «Ce sont des affaires pour ma mère, à Kaliningrad», explique ce passager qui dit avoir choisi le train pour le prix de 4000 roubles (environ 40 francs), plus avantageux que celui de l'avion à 10 000 roubles, soit environ 100 francs.
Et tant pis si les contrôles aux frontières jouent les prolongations et s'il faut, pour les Russes, obtenir un visa de transit Schengen pour traverser la Lituanie. Nikolaï déclare:
Une région isolée, mais très importante
D'autant que, depuis trois ans et demi que dure le conflit lancé par la Russie en Ukraine, Kaliningrad est encore davantage isolée. Les avions la reliant au reste de la Russie sont obligés de faire un détour par la mer Baltique et le golfe de Finlande pour éviter de survoler les pays de l'UE.
Or, Kaliningrad et son million d'habitants sont importants pour Moscou. La flotte russe de la Baltique y a son siège et, quelque part sur ses 15 000km2, sont déployés des missiles Iskander, capables de transporter des ogives nucléaires.
Deux visions du conflit qui se percutent
L'attente en gare de Kena permet d'observer les photos de villes ukrainiennes détruites, collées à dessein sur les grilles de la gare. Un texte en russe interpelle les passagers du Yantar. Il y est écrit:
Moscou assure ne viser en Ukraine que des objectifs militaires et stratégiques et non des cibles civiles.
Les toilettes du Yantar sont rouvertes une fois Kena passé… puis refermées avant l'arrivée à Kybartai, dernière gare lituanienne.
Une fois le train à nouveau en territoire russe, les services de sécurité montent à bord et soumettent les passagers non russes à un feu roulant de questions. Vladimir et Irina, un couple de Russes retraités, expliquent:
Lorsqu'on parle avec lui des tensions entre la Russie et l'Occident, Vladimir se rengorge et lance, alors que le Yantar entre en gare de Kaliningrad, son terminus:
