La Russie ment, et l'Ukraine? 4 affirmations à l'épreuve des faits
Thomas Greminger était l'homme entre les deux fronts. En tant qu'ambassadeur suisse puis secrétaire général de l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), il a assumé une mission presque impossible après l'annexion de la Crimée en 2014: médiateur entre l'Ukraine et la Russie.
Aujourd'hui, il dirige le Centre de politique de sécurité à Genève et constate:
L'expert tente de peindre ces nuances de gris. Thomas Greminger prend position sur quatre affirmations controversées de la guerre en Ukraine. Celles-ci sont souvent exacerbées par la Russie et niées en bloc par l'Occident. Dans des analyses différenciées, il montre que cette lecture est trop simple. Car les quatre assertions contiennent un noyau de vérité.
Une Otan menaçante
L'affirmation: L'expansion de l'Organisation du traité de l'Atlantique nord (Otan) vers l'est a poussé la Russie dans ses retranchements. C'est ainsi que l'escalade s'est produite.
L'analyse de Thomas Greminger:
L'idée que la future OSCE puisse jouer ce rôle s'est effondrée. L'Otan s'est consolidée et s'est ensuite rapidement étendue vers l'est, contrairement aux promesses verbales faites par les Etats-Unis en 1990.
La population russe a donc le sentiment d'avoir été trompée. Cette perception est le courant dominant en Russie, indépendamment de Vladimir Poutine. Le président a simplement habilement instrumentalisé ces sentiments.
L'Occident, quant à lui, s'attendait à ce que la Russie devienne un Etat de type européen et promeuve une politique économique néolibérale ainsi que les droits de l'homme, l'Etat de droit et la démocratie. C'est le contraire qui s'est produit au cours des quinze dernières années: la Russie est devenue de plus en plus autoritaire.
De nombreux Etats d'Europe centrale et orientale qui faisaient partie de l'Union soviétique ont été séduits par le modèle libéral de l'Ouest et se sont sentis menacés par la Russie. La Russie n'a pas réussi à les attirer par le biais du soft power (pouvoir de convaincre à travers des moyens non coercitifs) et à les faire entrer dans son orbite. La peur de l'ours russe a fait que ces Etats se sont intéressés à une adhésion à l'Otan.»
La conclusion de Thomas Greminger:
Une Ukraine corrompue
L'affirmation: L'Ukraine n'est pas vraiment démocratique, elle est profondément corrompue. Le président Volodymyr Zelensky est arrivé à son poste par la corruption, grâce au soutien des oligarques.
L'analyse de Thomas Greminger:
Mais le fait est que le gouvernement ukrainien a mis en œuvre des réformes, certes plus lentement que ce qui avait été annoncé, mais la direction prise est la bonne. Fondamentalement, l'Ukraine est une société ouverte avec une grande diversité d'opinions.
L'OSCE a donné une bonne note générale aux élections de 2019 (lorsque Zelensky a été nommé président) et les a jugées libres et équitables.»
La conclusion de Greminger:
Des extrémistes de droite influents
L'affirmation: Les mouvements d'extrême droite marquent l'Ukraine de leur empreinte. Ils ont été décisifs pour le soulèvement de Maïdan et le sont, encore aujourd'hui, impliqués dans la guerre avec le régiment Azov.
L'analyse de Thomas Greminger:
Le gouvernement ukrainien a, parfois, du mal à prendre ses distances avec les groupes d'extrême droite. Cela s'explique aussi par le fait que l'armée ukrainienne était en mauvais état en 2014. Des bataillons d'extrême droite comme Azov ou Aidar ont veillé à ce que le pays ne soit pas envahi par l'est.
En conséquence, ces mouvements ont acquis un poids politique. Les groupes d'extrême droite ne marquent toutefois pas la politique de leur empreinte, au point que la propagande de Vladimir Poutine sur l'Etat nazi serait justifiée.
Renversons un peu le miroir: les groupes d'extrême droite ont également une importance essentielle en Russie. La proximité de Poutine avec les Loups gris et avec des groupes d'extrême droite dans toute l'Europe le montre de manière explicite.
La conclusion de Thomas Greminger:
Des Russes opprimés
L'affirmation: La culture russe a été réprimée en Ukraine. La publication de journaux en langue russe a, par exemple, été rendue pratiquement impossible par des règlements.
L'analyse de Thomas Greminger:
Plus la pression des Russes sur le pays est forte, plus le réflexe de favoriser les Ukrainiens et de désavantager les minorités russes est prononcé.
Il n'y a jamais eu de conscience nationale ukrainienne fondée sur une multiethnicité et une diversité linguistique comme en Suisse. C'est dommage et cela recèle un potentiel de conflit.
Lorsque j'étais secrétaire général de l'OSCE, j'ai cosigné avec le Haut commissaire pour les minorités nationales de nombreuses lettres adressées au gouvernement ukrainien. Dans ces lettres, nous attirions l'attention sur des lois problématiques concernant l'éducation et la langue, qui discriminaient les minorités. La plupart de ces interventions sont restées sans effet. L'Ukraine manque de sensibilité.»
