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La Russie ment, et l'Ukraine? 4 affirmations à l'épreuve des faits

La Russie ment, et l'Ukraine? 4 affirmations à l'épreuve des faits

L'expert suisse en sécurité Thomas Greminger critique le fait que la Russie et l'Occident véhiculent des idées en noir et blanc. Dans une analyse, il peint les nuances de gris: par exemple sur le rôle de l'Otan et sur les extrémistes de droite en Ukraine.
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31.05.2022, 17:0631.05.2022, 18:36
Andreas Maurer / ch media
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Thomas Greminger était l'homme entre les deux fronts. En tant qu'ambassadeur suisse puis secrétaire général de l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), il a assumé une mission presque impossible après l'annexion de la Crimée en 2014: médiateur entre l'Ukraine et la Russie.

Aujourd'hui, il dirige le Centre de politique de sécurité à Genève et constate:

«Une nouvelle guerre froide idéologique a éclaté entre l'Ouest et l'Est. Les deux parties adoptent des idées en noir et blanc et n'acceptent pas les nuances de gris.»
Thomas Greminger

L'expert tente de peindre ces nuances de gris. Thomas Greminger prend position sur quatre affirmations controversées de la guerre en Ukraine. Celles-ci sont souvent exacerbées par la Russie et niées en bloc par l'Occident. Dans des analyses différenciées, il montre que cette lecture est trop simple. Car les quatre assertions contiennent un noyau de vérité.

Une Otan menaçante

L'affirmation: L'expansion de l'Organisation du traité de l'Atlantique nord (Otan) vers l'est a poussé la Russie dans ses retranchements. C'est ainsi que l'escalade s'est produite.

FILE - Paratroopers take part in an exercise of the U.S. Army Global Response Force in Hohenfels, Germany, Wednesday, Aug. 26, 2015. Finland and Sweden are nearing decisions on whether to ditch their  ...
Manœuvres de l'Otan en Allemagneimage: keystone

L'analyse de Thomas Greminger:

«On n'a pas réussi à trouver pour la Russie un rôle dans l'ordre de sécurité européen qui aurait correspondu à ses aspirations. Après la dissolution du Pacte de Varsovie, les Russes ont été frustrés qu'il n'en soit pas de même pour l'Otan.

L'idée que la future OSCE puisse jouer ce rôle s'est effondrée. L'Otan s'est consolidée et s'est ensuite rapidement étendue vers l'est, contrairement aux promesses verbales faites par les Etats-Unis en 1990.

La population russe a donc le sentiment d'avoir été trompée. Cette perception est le courant dominant en Russie, indépendamment de Vladimir Poutine. Le président a simplement habilement instrumentalisé ces sentiments.

L'Occident, quant à lui, s'attendait à ce que la Russie devienne un Etat de type européen et promeuve une politique économique néolibérale ainsi que les droits de l'homme, l'Etat de droit et la démocratie. C'est le contraire qui s'est produit au cours des quinze dernières années: la Russie est devenue de plus en plus autoritaire.

De nombreux Etats d'Europe centrale et orientale qui faisaient partie de l'Union soviétique ont été séduits par le modèle libéral de l'Ouest et se sont sentis menacés par la Russie. La Russie n'a pas réussi à les attirer par le biais du soft power (pouvoir de convaincre à travers des moyens non coercitifs) et à les faire entrer dans son orbite. La peur de l'ours russe a fait que ces Etats se sont intéressés à une adhésion à l'Otan.»
Diplomate suisse de haut niveau
Thomas Greminger, 62 ans, est depuis un an directeur du Centre de politique de sécurité de Genève. A partir de 2010, il a été ambassadeur de la Suisse auprès de l'OSCE . Lorsque la Suisse a assuré sa présidence en 2014, il a participé à la mise en place d'une mission d'observation pour l'Ukraine. De 2017 à 2020, il a été secrétaire général de l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE).
Le mandat de Thomas Greminger en tant que Secrétaire général de l'OSCE n'a pas été renouvelé en 2020.
Le mandat de Thomas Greminger en tant que Secrétaire général de l'OSCE n'a pas été renouvelé en 2020.image: sda

La conclusion de Thomas Greminger:

«Depuis la fin de la guerre froide, les relations entre la Russie et l'Occident sont marquées des deux côtés par des attentes irréalistes. Les deux parties partent du principe que l'autre n'a pas tenu ses promesses.»

Une Ukraine corrompue

L'affirmation: L'Ukraine n'est pas vraiment démocratique, elle est profondément corrompue. Le président Volodymyr Zelensky est arrivé à son poste par la corruption, grâce au soutien des oligarques.

L'analyse de Thomas Greminger:

«Cette affirmation a un fond de vérité. Les oligarques continuent d'avoir une grande influence sur la formation de l'opinion en Ukraine, car ils contrôlent de nombreux médias. De nombreuses tentatives pour briser leur pouvoir ont échoué. La corruption reste un obstacle.

Mais le fait est que le gouvernement ukrainien a mis en œuvre des réformes, certes plus lentement que ce qui avait été annoncé, mais la direction prise est la bonne. Fondamentalement, l'Ukraine est une société ouverte avec une grande diversité d'opinions.

L'OSCE a donné une bonne note générale aux élections de 2019 (lorsque Zelensky a été nommé président) et les a jugées libres et équitables.»
L'oligarque Ihor Kolomoïsky a financé la campagne électorale de Volodymyr Zelensky en 2019.
L'oligarque Ihor Kolomoïsky a financé la campagne électorale de Volodymyr Zelensky en 2019.image: imago

La conclusion de Greminger:

«Il y a toujours des problèmes importants avec les oligarques et la corruption, mais il y a aussi une tendance à la réforme. Par rapport à la Russie, l'Ukraine semble plus progressiste à cet égard.»

Des extrémistes de droite influents

L'affirmation: Les mouvements d'extrême droite marquent l'Ukraine de leur empreinte. Ils ont été décisifs pour le soulèvement de Maïdan et le sont, encore aujourd'hui, impliqués dans la guerre avec le régiment Azov.

«Asow»-Anhänger in Kiew: Der politische Arm der Bewegung ist in der internationalen Szene der Rechtsextremisten vernetzt.
Le régiment d'extrême droite Azov.image: Serg Glovny/Zuma/imago images)

L'analyse de Thomas Greminger:

«Il y a également un fond de vérité dans cette affirmation. Il existe des mouvements d'extrême droite en Ukraine, et ils ont une certaine pertinence dans la politique ukrainienne. Ils n'ont, cependant, pas joué un rôle décisif dans le soulèvement de Maïdan, mais ils ont un potentiel de mobilisation et de radicalisation considérable.

Le gouvernement ukrainien a, parfois, du mal à prendre ses distances avec les groupes d'extrême droite. Cela s'explique aussi par le fait que l'armée ukrainienne était en mauvais état en 2014. Des bataillons d'extrême droite comme Azov ou Aidar ont veillé à ce que le pays ne soit pas envahi par l'est.

En conséquence, ces mouvements ont acquis un poids politique. Les groupes d'extrême droite ne marquent toutefois pas la politique de leur empreinte, au point que la propagande de Vladimir Poutine sur l'Etat nazi serait justifiée.

Renversons un peu le miroir: les groupes d'extrême droite ont également une importance essentielle en Russie. La proximité de Poutine avec les Loups gris et avec des groupes d'extrême droite dans toute l'Europe le montre de manière explicite.

La conclusion de Thomas Greminger:

«Les deux pays ont un problème avec les groupes d'extrême droite. Ceux-ci ne sont, toutefois, pas des facteurs dominants dans la réalité politique.»

Des Russes opprimés

L'affirmation: La culture russe a été réprimée en Ukraine. La publication de journaux en langue russe a, par exemple, été rendue pratiquement impossible par des règlements.

L'analyse de Thomas Greminger:

«Parler d'oppression n'est pas justifié. Mais je suis d'accord pour affirmer que, depuis son indépendance, l'Ukraine n'a jamais réussi à établir une coexistence égale entre les différents groupes du pays. Lorsqu'un côté était au pouvoir, l'autre était désavantagé et inversement.

Plus la pression des Russes sur le pays est forte, plus le réflexe de favoriser les Ukrainiens et de désavantager les minorités russes est prononcé.

Il n'y a jamais eu de conscience nationale ukrainienne fondée sur une multiethnicité et une diversité linguistique comme en Suisse. C'est dommage et cela recèle un potentiel de conflit.

Lorsque j'étais secrétaire général de l'OSCE, j'ai cosigné avec le Haut commissaire pour les minorités nationales de nombreuses lettres adressées au gouvernement ukrainien. Dans ces lettres, nous attirions l'attention sur des lois problématiques concernant l'éducation et la langue, qui discriminaient les minorités. La plupart de ces interventions sont restées sans effet. L'Ukraine manque de sensibilité.»
epa04329973 A vendor looks through Novaya Gazeta newspaper in Moscow, Russia, 25 July 2014. The edition frontpage contains a picture of a convoy of funeral hearses carrying the remains of the victims  ...
Les grands journaux russophones n'existent plus en Ukraine, car la loi les oblige à imprimer un tirage équivalent en ukrainien. (En illustration: Novaya Gazeta)image: EPA/EPA

La conclusion de Thomas Greminger:

«Indépendamment de la menace russe, si l'Ukraine veut trouver une paix intérieure, elle doit évoluer vers une plus grande pluralité.»
Les civils évacués de Marioupol
Video: watson
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