Le ton est délié, le verbe, enflammé. Anton Krassovski, animateur de l'émission «Antonymes» diffusée sur la chaîne YouTube de Russia Today (RT), n'a pas fléchi au moment d'énoncer le programme qu'il réserverait à des enfants remettant en question l'occupation russe:
La scène, hallucinante, se passe lors de son émission, jeudi 20 octobre. Il est alors en présence de l'écrivain Sergueï Lukyanenko, qui mentionnait sa première visite en Ukraine, effectuée en 1980. Il y avait rencontré des enfants, qui considéraient que l'Ukraine était occupée par les Russes, et qu'ils en souffraient. «Sans les Russes, les Ukrainiens vivraient comme en France», avaient alors rapporté les marmots à Sergueï Lukyanenko. Ces derniers, précise encore l'écrivain, étaient pourtant russophones. Il n'en a pas fallu plus pour que le journaliste s'enflamme sur une solution plus que radicale. «Ce n'est pas votre méthode, car vous êtes un écrivain, mais c'est la nôtre», pilonne Anton Krassovski à grand recours de gestes amples, le doigt pointé en direction de la caméra.
Meanwhile on Russia's state-funded RT, director of broadcasting Anton Krasovsky suggests drowning or burning Ukrainian children, makes hideous comments about the rapes by Russian soldiers in Ukraine, says Ukraine should not exist and Ukrainians who resist Russia should be shot. pic.twitter.com/BGIaBNok4v
— Julia Davis (@JuliaDavisNews) October 23, 2022
Le début de l'extrait vidéo n'est pas d'un meilleur ton. Sergueï Lukyanenko évoque les «mensonges», les «fantaisies grotesques» instillant l'idée que du viagra avait été distribué aux soldats russes en Ukraine. Anton Krassovski a tôt fait de rebondir sur les propos:
Dmytro Kuleba, ministre ukrainien des Affaires étrangères, a vivement fustigé la violente diatribe:
Le ministre ukrainien a également réclamé l'interdiction de la chaîne RT dans le monde entier. «C'est ce dont vous vous rendez complices en permettant à cette chaîne d'opérer dans votre pays», a-t-il encore mentionné.
Governments which still have not banned RT must watch this excerpt. This is what you side with if you allow RT to operate in your countries. Aggressive genocide incitement (we will put this person on trial for it), which has nothing to do with freedom of speech. Ban RT worldwide! https://t.co/xJC371rqyg
— Dmytro Kuleba (@DmytroKuleba) October 23, 2022
De son côté, la chaîne s'est désolidarisée des propos de son animateur vedette. Margarita Simonian, rédactrice en chef de RT, a annoncé dimanche la fin de sa collaboration avec Anton Krassovski sur Telegram.
La rédactrice en chef a également souhaité «aux enfants d'Ukraine, ainsi qu'aux enfants du Donbass et à tous les autres enfants» une fin rapide de la guerre afin que «chacun puisse à nouveau vivre et étudier en paix, dans la langue de son choix.»
L'extrait polémique a été supprimé de la chaîne. En sus de la suspension, un rapport a été ordonné pour faire toute la lumière sur les propos du journaliste.
Ce dernier s'est également fait épingler par Dmitry Savelyev, député de Russie unie. «La personne qui a prononcé des mots tels que "noyer et brûler des enfants", nous a, à mon avis, tous trahis, il a trahi la patrie (...)», a-t-il fait savoir publiquement sur la plateforme russe VK.
A la suite de ce retour de bâton, Anton Krassovski a saisi Telegram pour s'excuser du dérapage, chose qui arrive parfois «quand il se laisse trop emporter par l'émission». Il s'est dit gêné d'avoir laissé passer «(...) cette ligne à propos des enfants. Je présente mes excuses à Margarita, à tous ceux pour qui cela semblait sauvage, impensable et insurmontable. J'espère que vous me pardonnerez».
Anton Krassovski, s'il n'en est pas à une harangue pro-kremlin près, n'a pas un parcours linéaire. Il a d'abord fait figure d'opposant à Vladimir Poutine, en défendant publiquement les droits LGBT. En 2013, âgé alors de 37 ans, son courageux coming-out face à une Russie conservatrice avait eu un retentissement international. Comme le relaie le journal Le monde, il avait expliqué sur un plateau TV «qu’il était "homo" mais, surtout, qu’il était un être humain en tout point semblable au président Vladimir Poutine».
Le journaliste a cependant fini par faire volte-face, rejoignant RT en octobre 2020, pour y défendre une ligne pro-kremlin très rigoriste. Au début de la guerre en Ukraine, le journaliste s'était illustré en encourageant ouvertement les violences commises par les troupes russes. Il avait notamment souhaité la «mort de tous les Ukrainiens». Les propos étaient alors largement passés inaperçus.
(jod)