Le 15 août 2021, la République démocratique d'Afghanistan s'est effondrée. Alors que les dernières troupes américaines et de l'Otan quittaient le pays, les talibans ont repris le pouvoir et le peuple afghan s'est préparé à un avenir incertain.
Quatre ans après avoir promis modération et inclusion, les talibans ont instauré un régime répressif, démantelant les institutions juridiques, judiciaires et civiles avec une efficacité impitoyable.
L'attention internationale s'est détournée: les crises en Ukraine, à Gaza et ailleurs ont dominé l'agenda mondial, reléguant l'Afghanistan au second plan. Alors que les talibans cherchent à mettre fin à leur isolement et à gagner en légitimité, la communauté internationale trouvera-t-elle la volonté d'exercer une réelle pression?
Après leur retour au pouvoir, les talibans ont abrogé la constitution de 2004, permettant ainsi au régime de fonctionner sans Etat de droit transparent. A la place, Mullah Hibatullah Akhundzada, le chef reclus des talibans, gouverne par décret depuis sa base de Kandahar.
La répression des femmes et des filles par les talibans est si sévère que les organisations de défense des droits humains parlent désormais «d'apartheid sexiste» et demandent qu'il soit reconnu comme un nouveau crime international.
Des décrets ont effacé les femmes de la vie publique, leur interdisant l'accès à l'éducation au-delà de l'école primaire (sauf religieuse), à l'emploi et aux espaces publics. Les femmes ne peuvent pas non plus se déplacer librement en public sans un mahram, ou tuteur masculin.
Les talibans ont également démantelé le ministère des Affaires féminines, le remplaçant par le ministère de la Propagation de la vertu et de la prévention du vice. Ce ministère, au cœur de la répression, impose des raids et arrestations réguliers, surveille et contrôle des espaces publics, renforçant la discrimination institutionnalisée entre les sexes.
Le régime taliban a également conduit à l'exclusion et à la persécution des groupes ethniques et religieux minoritaires, tels que les Hazaras, les chiites, les sikhs et les chrétiens.
Dans la province de Panjshir, épicentre de la résistance aux talibans, des organisations de défense des droits humains ont documenté les violentes répressions menées par les talibans contre la population locale, notamment les arrestations et détentions massives, les actes de torture et les exécutions extrajudiciaires.
Plus largement, les talibans ont décimé l'espace civique dans le pays. Les journalistes et les militants ont été réduits au silence par la peur, la violence et les arrestations arbitraires. Cela a conduit à une autocensure généralisée et à un silence médiatique qui permet aux abus de se poursuivre en toute impunité.
Malgré les risques immenses, des militants, des journalistes et des citoyens ordinaires continuent de résister aux talibans. Des femmes ont organisé des manifestations pacifiques face à une répression sévère, tandis que d'autres gèrent des écoles clandestines pour filles et documentent les abus dans l'espoir d'une future reddition des comptes.
Bien que la plupart des pays ne reconnaissent pas les talibans comme le gouvernement officiel et légitime du pays, certains Etats de la région ont appelé à un assouplissement de son isolement international.
Le mois dernier, la Russie est devenue le premier pays à reconnaître les talibans. La Chine renforce également ses liens économiques et diplomatiques avec le groupe. Le ministre indien des Affaires étrangères a récemment rencontré son homologue taliban, après quoi les talibans ont qualifié New Delhi «de partenaire régional important».
L'aide internationale continue d'affluer en Afghanistan, mais un rapport publié cette semaine par un organisme de surveillance américain a documenté la manière dont les talibans utilisent la force et d'autres moyens pour la détourner.
Après le retour des talibans, les Etats-Unis fournissaient encore plus de 40% de l'aide humanitaire à l'Afghanistan. Mais la décision de Donald Trump de réduire fortement l'Agence américaine pour le développement international a presque fait disparaître ce financement.
Cela a paralysé les services essentiels et menace de plonger le pays dans l'une des pires crises humanitaires au monde. Les établissements de santé ont fermé et la malnutrition augmente. L'expulsion massive de centaines de milliers d'Afghans d'Iran et du Pakistan n'a fait qu'aggraver la catastrophe humanitaire.
WFP helped over 2 million women and children in #Afghanistan combat malnutrition last year.
— World Food Programme (@WFP) June 26, 2025
Now with fewer resources, even the most basic support is under threat - for them and the 15 million people across the country facing severe hunger.https://t.co/IGYLuryxgj
Depuis des années, les Nations unies tentent de faciliter les pourparlers entre les talibans et la communauté internationale au Qatar pour améliorer la situation dans le pays. Cependant, ces efforts ont essuyé de nombreux revers.
Les talibans n'ont décidé de participer aux pourparlers qu'à la mi-2024, après que l'ONU a accepté d'exclure les femmes et les groupes de la société civile et de restreindre l'ordre du jour. La réunion n'a abouti à aucune avancée ni concession.
Une nouvelle série de pourparlers est prévue, mais le dilemme demeure: comment engager le dialogue avec les talibans sans légitimer leur régime répressif?
Les violations systématiques des droits humains commises par les talibans ont des répercussions mondiales. Les experts mettent en garde contre une tendance à la hausse de répression similaire, dite «talibanisation», qui s'enracine dans d'autres pays.
Au Yémen, par exemple, les dirigeants Houthi ont imposé des restrictions étrangement similaires aux édits talibans, interdisant aux femmes de marcher en public sans être accompagnées d'un homme et limitant leur accès à l'emploi.
Alors que les Etats n'ont pas réussi à s'entendre sur une réponse coordonnée aux talibans, les institutions internationales ont pris des mesures dans la bonne direction. En juillet, la Cour pénale internationale a émis des mandats d'arrêt contre Akhundzada et le président de la Cour suprême des talibans, les accusant de crimes contre l'humanité pour persécutions fondées sur le sexe.
#ICC Prosecutor @KarimKhanQC announces applications for warrants of arrest in the situation in #Afghanistan for the Supreme Leader of the Taliban, Haibatullah Akhundzada, and the Chief Justice of the “Islamic Emirate of Afghanistan”, Abdul Hakim Haqqani.https://t.co/zpCmoBEQvb pic.twitter.com/9FHF0bVqAJ
— Int'l Criminal Court (@IntlCrimCourt) January 23, 2025
Par ailleurs, quatre pays, l'Australie, l'Allemagne, les Pays-Bas et le Canada, ont entamé une procédure contre les talibans devant la Cour internationale de justice pour discrimination sexuelle. Ce serait une première pour la Cour.
Pour compléter ces efforts, les Etats membres de l'ONU doivent mettre en place un mécanisme d'enquête international indépendant chargé de documenter et d'enquêter de manière systématique sur les crimes commis par les talibans. Un tel mécanisme contribuerait à préserver les preuves et à jeter les bases de poursuites futures.
Sans une pression internationale concertée, les souffrances du peuple afghan ne feront que s'aggraver et la répression exercée par les talibans continuera d'avoir des répercussions sur les droits des femmes bien au-delà de l'Afghanistan.
Cet article a été publié initialement sur The Conversation. Watson a changé le titre et les sous-titres. Cliquez ici pour lire l'article original.