«L’Otan est à la bourre»: le front ukrainien donne l'alerte
Sourcils froncés, des soldats ukrainiens autopsient un petit objet fuselé, bardé de câbles: «C'est un intercepteur de drone pris aux Russes, on l'analyse», glisse Konstantine, commandant adjoint de l'unité antiaérienne Squadron du 3e corps d'armée.
L’engin, capturé sur le front de l'Est, illustre à lui seul la course technologique dans laquelle Kiev et Moscou se sont lancés depuis plus de trois ans d'invasion russe de l’Ukraine.
Moscou a rattrapé son retard
D'abord développés par Kiev au printemps 2024, les intercepteurs de drones se sont montrés efficaces contre les dizaines de milliers de drones d'attaque russes Gueran-2 qui pilonnent les infrastructures ukrainiennes chaque mois.
Mais sur la table de Konstantine, le bout de plastique russe prouve que Moscou a rattrapé son retard. L'officier de 27 ans constate:
Pour contrer ces attaques, Kiev a longtemps dû se reposer sur des unités mobiles équipées de mitrailleuses, les systèmes américains Patriot étant bien trop coûteux: chaque missile vaut environ trois millions d'euros, contre quelques dizaines de milliers pour les drones russes.
«Celui-ci coûte 2000 dollars», annonce fièrement Konstantine, un modèle d'intercepteur de drone ukrainien posé sur sa main. Imprimé en 3D, l'engin d'une trentaine de centimètres fonce sur des appareils plus grands pour les abattre, marquant un tournant dans la défense du ciel ukrainien.
La semaine dernière, le ministre ukrainien de la Défense a annoncé le lancement de la production en série d'intercepteurs de drones. Mais récemment, les drones d'attaque russes ont été modifiés pour manœuvrer et éviter les intercepteurs, grâce à des capteurs pilotés par IA. «Nous devons nous adapter chaque mois... Même parfois plus vite», lâche Konstantine. «Ils nous ont imités, l'ont amélioré, alors nous les imiterons aussi.»
Une génération habituée à jouer à des jeux
Preuve de ce besoin d'innover, son unité est la première à avoir abattu, en mai, un drone d'attaque russe Gueran-2 à l'aide d'un petit drone explosif normalement utilisé pour frapper des cibles au sol. Il déclare, désinvolte:
Selon une analyse du Centre d'études stratégiques et internationales (CSIS) parue en septembre, les cycles d'innovation et d'adaptation des armes sont devenus extrêmement rapides entre l'Ukraine et la Russie, redessinant l'image de l'armée moderne.
Ciblage automatique par IA, caméra cryptée, portée étendue... Cette évolution quasi quotidienne pousse les soldats à innover, pour ne «pas rater le train» et garder le rythme dans cette guerre «des drones contre drones».
Cela force les deux camps à recruter des soldats «qui requièrent des compétences très différentes de celles de l'infanterie traditionnelle», selon le CSIS. Dans le laboratoire de Konstantine, des écrans couverts de lignes de code et l'odeur du plastique fondu des imprimantes 3D.
Ses hommes, jeunes, cheveux longs pour certains, sont à la fois soldats, ingénieurs, pilotes et informaticiens, capables de modifier et programmer des drones. Ils font partie «d'une génération habituée à jouer à des jeux, utiliser des ordinateurs», explique Konstantine. En 2024, l'Ukraine est le premier pays à créer une branche militaire dédiée aux drones.
Un laboratoire unique en Europe
La ligne de front est devenue, selon les soldats, un «laboratoire de l'innovation militaire», permettant à l'Ukraine de se forger une expertise en technologie à bas coûts unique en Europe, suscitant l'intérêt de ses partenaires occidentaux.
D'autant que cette guerre a mis en lumière l'obsolescence des méthodes militaires de l'Otan, axées sur l'utilisation de blindés coûteux et d'une logistique centralisée, que des drones bon marché peuvent maintenant facilement neutraliser, selon de nombreux spécialistes.
Konstantine, qui a été formé au Royaume-Uni, l'assure: transposées au front ukrainien, les techniques de l'Otan «ne sont plus très efficaces».
En septembre, la réponse de l'Otan à l'incursion d'une vingtaine de drones russes dans l'espace aérien polonais a révélé les lacunes de l'arsenal européen, contraint de recourir à des missiles coûteux. Selon le CSIS, les pays occidentaux risquent de se retrouver à la traîne s'ils ne parviennent pas à intégrer rapidement ces nouvelles technologies «de guerre autonome» développées sur le front ukrainien.
«La course moderne aux armements ne porte plus sur les bombes nucléaires, mais sur des millions de drones bon marché», a estimé la semaine dernière le ministre des Affaires étrangères ukrainien, Andrii Sybiga. D'autant que Moscou prévoit de produire 25 000 drones Gueran-2 par an, selon un rapport de l'Institute for Science and International Security (ISIS).
Betsik, commandant de l'unité antiaérienne Squadron, est alarmiste:
