Les déclarations qu'Evgeny Rasskazov diffuse sur ses médias sociaux font froid dans le dos. Le soldat russe a partagé mardi une vidéo sur Telegram dans laquelle il raconte l'excitation sexuelle qu'il ressent en tuant des Ukrainiens:
Russian mercenary Yevgeniy Rasskazov (Topaz) tells he gets sexual arousal from killing people in Ukraine
— Денис Казанський (@den_kazansky) August 23, 2022
"When you kill a pig (ukrainian soldier) You take pleasure in knowing you made woman a widow. You take pleasure in knowing that you made his family cry. You get an erection" pic.twitter.com/NZB1oRZgng
Les déclarations atteignent un autre niveau lorsque l'on apprend que Rasskazov est un néonazi revendiqué. Un néonazi qui participe à une guerre visant à «dénazifier» l'Ukraine. Comment diable en est-on arrivé là?
Rasskazov, connu sur les médias sociaux sous le nom de «Topaz», a rejoint le groupe de mercenaires russes «Russitsch» en 2014, fondé la même année par Alexei Miltschakov et Jan Petrowski. C'est avec ce groupe qu'il se déplace désormais en Ukraine. Auparavant, tous deux avaient participé à un programme d'entraînement paramilitaire de la «Légion impériale russe» qui fait partie du «Mouvement impérial russe».
Quel est le rapport entre ces personnes, ces organisations et la guerre en Ukraine? Et pourquoi ces groupes d'extrême droite agissent-ils contre leurs supposés alliés idéologiques en Ukraine?
Le Mouvement impérial russe (également appelé RIM, abréviation de «Russian Imperial Movement») est un mouvement ultranationaliste d'extrême droite fondé en 2002. Le mouvement aspire à la reconstruction du tsarisme et de l'ancien empire russe qu'il souhaite restaurer sous le nom de «Novorossiya». Depuis 2020, le RIM figure sur la liste des organisations terroristes des Etats-Unis et depuis 2021 sur celle du Canada.
En 2008, la RIM a créé sa branche paramilitaire, la «Légion impériale russe» qui gère deux centres d'entraînement en dehors de Saint-Pétersbourg. Le centre d'entraînement «Partizan» qui attire les milieux d'ultradroite depuis 2014 est particulièrement connu.
A la tête de la légion se trouve Denis Valliullovich Garijew. Il s'est notamment entretenu avec le «Spiegel» et le «Zeit» et ne cache pas ses intentions d'extrême droite. En septembre 2014, il a déclaré au Spiegel qu'il souhaitait à nouveau un tsar et qu'il qualifiait Poutine de marionnette de l'Occident. Même si cette opinion ne devrait pas plaire à Poutine, il semble tolérer l'organisation et sa légion. Sans doute en raison de leur grand ennemi commun: l'Ukraine. «L'Ukraine n'est même pas un pays», s'est insurgé Garijew dans un entretien avec le Spiegel.
Fin février 2014, la guerre a éclaté dans l'est de l'Ukraine. Un tournant pour le RIM, car une nouvelle marge de manœuvre s'est soudainement ouverte pour Garijew. Dès la mi-juin, il a commencé à recruter des hommes qui s'engageaient volontairement contre le «génocide du peuple russe» en Ukraine. Il leur a offert une formation militaire de base au «Partizan» qui coûte généralement 250 euros.
Alexey Miltschakov et Jan Petrowski se sont également formés au «Partizan» en 2014.
C'est ainsi qu'Alexey Miltchakov s'est exprimé de manière outrancière, il y a deux ans, dans une interview accordée à une chaîne YouTube russe nationaliste.
Miltchakov n'est pas un inconnu en Russie. Il fait les gros titres pour la première fois en 2011, lorsqu'il se filme en train de tuer, décapiter et manger un chiot. Il diffuse ensuite les enregistrements sur l'équivalent russe de Facebook «VKontakte» où il publie également des déclarations d'extrême droite.
La même année, il fait la connaissance de Jan Petrowski. Ce dernier est né en Russie, mais a déménagé en Norvège avec sa mère à l'adolescence. Il poursuit des idéaux nationalistes et se décrit comme un patriote russe. Il se défend toutefois d'être un néonazi, comme il l'explique dans un entretien avec le journal russe en exil «Meduza».
Cette accusation est lancée en 2010 après la découverte d'armes illégales appartenant au néonazi russe Vyacheslav Datsik, un criminel russe condamné pour crimes graves, dans le salon de tatouage où il travaille. On soupçonne que le salon de tatouage est utilisé comme lieu de rencontre pour les néonazis armés. Les preuves sont toutefois insuffisantes, raison pour laquelle Petrowski est libéré après un mois de détention préventive. Suite à sa libération, il se rend souvent en Russie où il fait la connaissance de Miltchakov.
Les deux hommes commencent à chasser et à s'entraîner régulièrement comme «pure activité sportive», affirme Petrowski. Lorsque le conflit en Ukraine éclate finalement en 2014, ils participent au programme d'entraînement de la «Légion impériale russe». C'était en réalité les débuts de «Russitsch».
Après avoir suivi le programme d'entraînement, Petrowski et Miltchakov rassemblent des combattants volontaires et créent ainsi la Task Force «Russitsch». Leur logo: une svastika slave avec huit crochets. En 2014, ils partent pour la guerre en Ukraine au sein du bataillon séparatiste «Batman».
Ils s'y font connaître par leur brutalité. En septembre, ils attirent dans un piège une colonne de soldats ukrainiens appartenant à la force de combat volontaire Ajdar et les tuent. Mais ils ne s'arrêtent pas là: ils mutilent et brûlent les corps et en diffusent les photos sur Internet. Dans une interview sur YouTube, Miltchakov raconte l'événement avec fierté et souligne à quel point il aime l'odeur de la chair humaine brûlée:
Il a pris les photos des corps. Il est chasseur et ce sont ses trophées. Il a coupé les oreilles de certaines victimes et les a offertes en cadeau. Puis, il en rajoute encore une couche:
Dans la période qui suit, Miltchakov et Petrowski continuent de partager des selfies d'eux-mêmes avec des cadavres.
Après que la situation se soit calmée dans le Donbass en 2015, Miltchakov rejoint probablement le groupe Wagner, selon «Meduza». Officiellement, le groupe Wagner est une entreprise militaire privée mais il est considéré comme le bras armé du Kremlin, même si Poutine affirme toujours n'avoir rien à voir avec lui. Dans les médias, «Russitsch» est désormais souvent attribué au groupe Wagner.
Après l'invasion de l'Ukraine par les troupes russes, le chef de la RIL, Garijew, n'a pas hésité longtemps. Un jour plus tard seulement, il a annoncé sur Telegram, selon le journal «Der Spiegel», qu'il n'y avait pas d'autre solution:
Un rapport confidentiel des services de renseignement allemands (BND) confirme la présence de groupes d'extrême droite en Ukraine. Ainsi, le RIL et le groupe «Russitsch» seraient tous deux engagés contre l'armée ukrainienne. La contradiction évidente n'échappe pas aux analystes du service étranger allemand, la collaboration avec ces groupes «rend absurde le prétendu motif de guerre de la soi-disant ‹dénazification› de l'Ukraine», peut-on lire dans le rapport.
Si Gariev a d'abord appelé ses combattants à la patience début mars, la RIL a annoncé peu après vouloir participer aux combats en Ukraine. Selon le BND, des combattants du centre d'entraînement «Partizan» auraient à nouveau été recrutés à cet effet. Selon le BND, il n'est pas clair si cette décision a été prise sur demande ou en accord avec les dirigeants russes.
Comme il l'écrit également, Russitch serait devenu actif sur le territoire ukrainien au plus tard début avril. Il n'est pas confirmé que Miltchakov et Petrowski se trouvent ou se sont également trouvés en Ukraine. Toutefois, une photo d'eux a été partagée en mai sur un canal Telegram lié à Russitch, rapporte la plateforme d'information américaine «Radio Free Europe». Celle-ci les montrerait en Ukraine devant un véhicule blindé à moitié détruit.
Celui qui se trouve certainement en Ukraine est Evgeny Rasskazov, mentionné précédemment. Sur son canal Telegram, il partage des messages sur sa vie quotidienne de ‹dénazificateur› en Ukraine. Le fait que la dénazification ne soit pas son véritable objectif apparaît toutefois clairement dans une contribution du 20 avril. Ce jour-là, il dédie un message d'anniversaire à Adolf Hitler et le qualifie de compagnon de lutte, d'ami et de modèle, même s'il ne le nomme pas:
Ces déclarations lui ont valu des critiques, mais il s'en moque. «Russitsch» ne changera pas ses symboles et ses opinions, a-t-il annoncé en réponse.
Le groupe «Russitsch» et le RIL doivent également essuyer des critiques de leur propre camp. En effet, tous les nationalistes d'extrême droite ne se prononcent pas en faveur de la guerre en Ukraine. Notamment parce que le mouvement d'extrême droite ukrainien était étroitement lié à celui de la Russie dans les années 2000 et parce qu'ils ne soutiennent généralement pas la politique de Poutine. La guerre n'a donc pas seulement planté un couteau entre les mouvements ukrainien et russe mais aussi entre les différents mouvements russes. Ce qui unit finalement les soldats du groupe «Russitsch» et du RIL, c'est l'aspiration à la reconstruction de l'ancien empire russe, quel qu'en soit le prix.