Peu après le début de l'invasion russe de l'Ukraine, les Nations unies tiraient déjà la sonnette d'alarme: le conflit risquait d'avoir des conséquences désastreuses sur l'environnement. Une année plus tard, les choses ne se sont pas arrangées, bien au contraire. La guerre a causé des «dommages environnementaux considérables», affirmait l'ONU la semaine passée. Son héritage est «toxique».
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A côté de l'immense drame humain qu'il a provoqué - plus de 100 000 soldats et 8000 civils tués, des millions de réfugiés et des centaines de crimes contre l'humanité recensés - le conflit a également ravagé la nature. «L'environnement souffre de chaque frappe, tir de missile ou bombardement», illustre le chercheur Nickolai Denisov.
Denisov est le directeur adjoint de l'organisation à but non lucratif «Zoï environment network», basée à Genève et dont l'un des buts est justement de documenter l'impact de la guerre sur l'environnement.
Le constat, après une année de combats sans interruption, est accablant: quelque 1200 incidents entraînant des cas de pollution potentielle de l'air, de l'eau et du sol et de dégradation des écosystèmes ont déjà été recensés par Zoï. Et le nombre réel est probablement plus élevé, prévient Denisov. 26 infrastructures critiques, dont des centrales nucléaires, ont été endommagées rien que pendant le mois de janvier 2023.
Des données exhaustives n'existent pas encore, mais une chose est sûre: la guerre affecte l'environnement sur plusieurs niveaux, souvent interconnectés. A commencer par les combats eux-mêmes. «Lorsque des munitions atterrissent sur la terre, dans les forêts ou dans les rivières, elles endommagent les écosystèmes», explique Nickolai Denisov.
Les composés chimiques disséminés par les explosions, dont par exemple les oxydes de soufre et d’azote, peuvent provoquer des pluies acides, nocives pour les humains, les animaux et la végétation, alerte Greenpeace.
Sans compter que, parfois, l'environnement est utilisé comme une arme. «Nous avons observé plusieurs cas d'inondation intentionnelle pour empêcher le mouvement des troupes», explique le chercheur.
Pour ne rien arranger, environ 40% des zones protégées d'Ukraine sont ou étaient situées à moins de 20 kilomètres de la ligne de front, poursuit Nickolai Denisov. Plus d’un million d’hectares de réserve naturelle ont été touchés, selon les autorités ukrainiennes.
Et puis il y a les effets collatéraux. Le directeur adjoint de Zoï évoque les feux de forêt, dont le nombre a grimpé dans les zones qui ont connu la guerre.
Les incendies et les frappes sur des structures industrielles ou militaires peuvent libérer de dangereuses substances chimiques dans l'environnement, d'autant plus que l'Ukraine est un pays fortement industrialisé. Gaz toxiques, particules fines et métaux lourds se répandent ainsi dans la nature et les zones habitées. Environ 60% des incidents recensés au niveau des installations industrielles sont des impacts directs, déclare Nickolai Denisov.
«Mais même lorsque l'impact n'est pas direct, les conséquences peuvent être désastreuses pour l'environnement», avance-t-il, en évoquant en guise d'exemple l'inondation des mines de charbon du Donbass, en 2014:
Les premières victimes de la disruption des écosystèmes sont les animaux. «Ils souffrent énormément», déplore Nickolai Denisov.
La pollution sonore provoquée par les activités militaires de la marine russe aurait par exemple tué des milliers de dauphins en mer Noire. Plusieurs scientifiques ont constaté une augmentation «extraordinaire» des échouages de ces mammifères en Turquie.
Autre conséquence de la guerre: les voies de migration sont bousculées. «Les côtes de la mer d'Azov et de la mer Noire sont des zones importantes pour la migration mondiale des oiseaux, qui sont désorientés par les combats», explique Nickolai Denisov.
Les problèmes à résoudre sont innombrables, d'autant plus que la guerre ne donne aucun signal d'accalmie. Mais les dégâts environnementaux ne vont pas disparaître avec la fin des combats. Plus de 300 millions de mètres carrés de terres ukrainiennes ont déjà été pollués, avançait récemment le Fonds international pour la protection des animaux (IFAW). Ce qui est «délétère pour les animaux et les personnes, et le restera longtemps après la fin de la guerre».
Avant la guerre, l'Ukraine fournissait environ 10% du blé mondial. Le pays possède également une ressource très rare et précieuse, la terre noire, particulièrement fertile. «Cette guerre est en train de la détruire», prévient Nickolai Denisov.
«L'environnement concerne les gens», résumait fin février Inger Andersen, directrice exécutive du Programme des Nations unies pour l'environnement (PNUE). «Il s'agit des moyens de subsistance, de la santé publique, de la pureté de l'air et de l'eau, et des systèmes alimentaires de base. Il s'agit d'un avenir sûr pour les Ukrainiens et leurs voisins».