International
Vaccins

Les doses de rappel contre le Covid ont des effets mystérieux

Les vaccins à ARNm ont permis d'éviter de nombreux cas graves de Covid.
Les vaccins à ARNm ont permis d'éviter de nombreux cas graves de Covid.Image: Getty

Vaccins Covid: un anticorps à «double visage» interroge

Les doses multiples d'ARN messager font fortement augmenter un type d’anticorps particulier et peu connu. Et cela pourrait avoir des conséquences dans la lutte contre les virus, ou même le cancer.
17.10.2025, 18:5117.10.2025, 18:51
Sabine Kuster / ch media

La vaccination contre le Covid-19 avec un vaccin à ARN messager présente une particularité. Celle-ci n’a été découverte qu’un an après le début de la campagne vaccinale. Après la deuxième dose, et plus encore après la dose de rappel, apparaît un type d’anticorps rarement observé avec d’autres vaccins, les IgG4.

Il s’agit de la dernière des 4 classes d’anticorps IgG. Lors des campagnes de vaccination, on se concentre généralement sur les anticorps de type IgG1, car ce sont à la fois les plus nombreux et les plus efficaces pour combattre une infection.

Une observation qui questionne

Ces anticorps reconnaissent et marquent les virus, les bactéries ou les toxines afin que l’organisme puisse les détruire. Ils déclenchent en même temps une réaction inflammatoire qui empêche la propagation de l’agent pathogène.

Les anticorps IgG4, eux, ont été très peu étudiés dans le contexte des vaccins. Ils reconnaissent aussi les agents infectieux et les neutralisent, mais ils ont un rôle anti-inflammatoire, et freinent une réaction immunitaire massive. Contrairement aux autres anticorps, ils ne possèdent souvent qu’un seul site de liaison au virus, et non deux ou davantage.

Le fait que ces anticorps IgG4 apparaissent après les vaccins à ARN messager de Moderna et de Pfizer, mais non après les autres vaccins contre le Covid-19, a été démontré pour la première fois fin 2022 par une étude menée par le chercheur Pascal Irrgang.

De bien étranges anticorps

Cette découverte a suscité un certain émoi, car on ignore encore précisément quel rôle les IgG4 jouent dans la défense antivirale. Leur effet anti-inflammatoire pourrait-il être bénéfique, comme cela est le cas chez les apiculteurs, qui développent des IgG4 après de nombreuses piqûres d’abeilles et deviennent alors moins allergiques?

Une chose est sûre, les IgG4 apparaissent lorsque le corps est confronté de manière répétée à un même agent pathogène. Mais les virus ne sont pas des toxines. Déjà, pour certains parasites capables, comme les virus, de se reproduire dans l’organisme, les résultats des études divergent.

Dans le cas du parasite responsable du paludisme, les résultats sont contradictoires lorsqu'il s'agit de savoir si les IgG4 augmentent ou diminuent le risque d’infection. Jusqu’à présent, ces anticorps étaient considérés comme peu utiles.

Ces anticorps pourraient avantager les infections

Les anticorps IgG4 pourraient-ils, dans le pire des cas, ralentir l’élimination des virus? Pendant longtemps, ces questions sont restées sans réponse. Mais cette année, plusieurs études passionnantes apportant de nouvelles connaissances sur le sujet ont été publiées.

La plupart sont des études en laboratoire, mais l’une d’entre elles a été menée auprès du personnel soignant en Espagne, composé pour la plupart de jeunes femmes.

Les 447 participants ont fourni plusieurs échantillons de sang à partir de septembre 2020, ce qui a également permis de détecter des contaminations au Covid asymptomatiques. Les chercheurs ont constaté que les participants contractaient plus souvent le coronavirus lorsqu’ils présentaient une forte concentration d’anticorps IgG4 contre le virus dans leur sang.

Bien que les symptômes aient été bénins chez toutes les personnes vaccinées, la différence dans la fréquence des infections était frappante. Les chercheurs écrivent:

«Bien que nos résultats suggèrent que des niveaux plus élevés d’IgG4 et d’IgG2 soient associés à un risque accru d’infection par le SARS-CoV-2, ces sous-classes qui activent moins le système immunitaire pourraient également contribuer à prévenir les formes graves de Covid-19 en atténuant les pathologies liées à l’inflammation.»

Les auteurs en arrivent à une conclusion qui semble, à première vue, contradictoire:

«Même si notre étude suggère que les niveaux d’IgG4 augmentent avec les vaccinations répétées à l'ARNm, et que des niveaux élevés d’IgG4 sont associés à un risque accru d’infection, nous ne concluons pas que des doses supplémentaires augmentent ce risque.»

Faut-il y voir une tentative de défendre la vaccination à ARNm malgré des résultats ambigus? Non, et l’explication est à la fois complexe et passionnante.

En effet, de nombreuses études (voir ici, ici et ici) ont confirmé jusqu’à présent que les vaccins à ARNm contre le Covid-19 continuaient de réduire nettement le risque de formes graves de la maladie, même après plusieurs doses. Des résultats qui restent indiscutables.

Des effets anti-inflammatoire utiles?

On ignore encore si les anticorps IgG4, grâce à leur effet anti-inflammatoire, peuvent prévenir d’autres maladies, comme le supposent plusieurs chercheurs ainsi que les auteurs de l’étude espagnole. Une chose est toutefois certaine, lorsque le taux d’IgG4 augmente, celui d’IgG1 augmente également.

Et ce détail est crucial, car les anticorps IgG4 sont toujours beaucoup moins concentrés. Une étude australienne récente dirigée par L. Carisa Aurelia le confirme. Même lorsque le plasma sanguin est artificiellement enrichi en IgG4, au point que cette sous-classe devienne prédominante, la réponse immunitaire s’en trouve à peine affaiblie.

Les chercheurs concluent que les anticorps IgG4 dirigés contre la protéine de type Spike peuvent entrer en concurrence avec d’autres anticorps, et ainsi ralentir légèrement l’élimination du virus.

Mais cet effet ne se manifeste que lorsque les niveaux globaux d’anticorps sont très élevés. Si l’organisme a encore peu réagi au virus et ne produit que de faibles quantités d’anticorps spécifiques à la Spike, l’IgG4 peut agir en synergie avec les autres sous-classes et renforcer les fonctions effectrices, autrement dit la capacité de défense.

En d’autres termes, le mystérieux IgG4 ne se met à freiner la réponse immunitaire que lorsqu’une abondance d’anticorps pro-inflammatoires est déjà présente, ou lorsqu’ils sont produits en excès.

L'augmentation des anticorps plafonne

Une étude britannique dirigée par Jerry C. H. Tam conclut également que l’impact sur l’activité globale des anticorps serait «probablement minime». Reste à savoir si les niveaux d’anticorps IgG4 continuent d’augmenter après chaque vaccination, jusqu’à atteindre un point où ils bloqueraient potentiellement tous les IgG1.

Les mesures effectuées chez le personnel soignant espagnol montrent que, tout comme les trois autres types d’anticorps, la quantité d’IgG4 se stabilise après la troisième dose. Toutefois, comme seules quelques personnes ont reçu une quatrième ou une cinquième injection, les résultats restent peu concluants.

Toutes les sous-classes d’anticorps stagnent après la troisième vaccination:

Niveau d’anticorps.
T = moments de mesure

Le sang a été analysé avant la première vaccination, de septembre 2020 à mai 2024, au total à 13 reprises. Seul 27 des 83 personnes se sont fait vacciner une quatrième fois.
Source: Journal of Infection / Graphique : le†

Une étude néerlandaise dirigée par Anne T. Gelderloos indique que les niveaux d’IgG4 continuent de croître après la quatrième ou la cinquième vaccination, mais de manière marginale.

Ces observations confirment les travaux antérieurs selon lesquels, chez la plupart des individus, le système immunitaire atteint un certain seuil après la troisième ou la quatrième dose, ou après une combinaison de vaccination et d’infection, au-delà duquel le nombre d’anticorps n’augmente plus de manière significative.

Le fait que les taux d’IgG4 ne montent pas sans cesse et ne dépassent jamais ceux des IgG1 suggère, selon le chercheur suisse en biologie moléculaire Emanuel Wyler, l’existence d’un mécanisme régulateur dans l’organisme:

«La compétition entre IgG4 et IgG1 n’a peut-être, en réalité, qu’une importance limitée»
Emanuel Wyler, biologiste moléculaire.
Emanuel Wyler, biologiste moléculaire.Image: dr

Il existe bien sûr des exceptions, et il serait intéressant d’examiner la proportion d’anticorps au cas par cas. Mais les chercheurs espagnols n’ont pas accepté de partager leurs données détaillées.

D’autres études ont montré que les personnes infectées par le Sars-Cov-2 avant la vaccination développent moins d’IgG4. Ce ne serait donc pas le niveau élevé d’IgG4 qui affaiblirait la protection immunitaire, mais plutôt le fait que les individus les plus souvent infectés n’avaient jamais contracté le virus avant leur vaccination.

Le fait que le personnel soignant qui a pris part à l’étude ait présenté des symptômes bénins ne surprend pas Emanuel Wyler. Il explique:

«La seconde composante de la défense immunitaire, les cellules T, joue aussi un rôle essentiel dans la lutte contre les virus»

Les IgG4 et le risque de cancer

Si un lien entre un taux élevé d’IgG4 et une fréquence accrue d’infections devait se confirmer, ce serait un véritable inconvénient de la vaccination.

Emanuel Wyler estime qu’il faudrait désormais étudier si les anticorps IgG4 apparaissent également après d’autres vaccins, notamment avec le nouveau vaccin à ARNm contre le virus respiratoire syncytial (RSV), récemment mis sur le marché. Il observe:

«Les fabricants et les médecins s’intéressent surtout à une chose: est-ce que le produit fonctionne?»

«Et sur ce point, les données concernant les vaccins à ARNm contre le Covid-19 sont claires», ajoute-t-il. Cela ne signifie toutefois pas qu’un phénomène comme un taux élevé d’IgG4 ne puisse avoir, à long terme, d’autres conséquences indésirables.

Ce soupçon est alimenté par une étude japonaise, qui a établi une corrélation entre des taux élevés d’IgG4 et une survie plus courte chez des patients atteints d’un cancer du pancréas. L’immunologiste allemand Andreas Radbruch juge ce lien plausible, car, contre les cellules cancéreuses, les anticorps les plus efficaces sont de type IgG1, et non IgG4.

Des chercheurs viennois écrivaient déjà en 2020, dans une étude consacrée au rôle des anticorps IgG4, que ces derniers présentaient un «double visage», qu'ils étaient bénéfiques pour les allergies, mais défavorables dans le cas du cancer.

Emanuel Wyler nuance cependant ces conclusions. Selon lui, l’étude japonaise comparait la mortalité de patients diagnostiqués avec un cancer du pancréas entre 2018 et 2023. Entre 2018 et 2021, la moitié des malades étaient décédés au bout d’environ 13 mois, tandis qu’entre 2021 et 2023, cette moyenne tombait à 11 mois. Il détaille:

«Seuls ces derniers avaient été vaccinés contre le Sars-CoV-2, d’où la corrélation apparente entre la vaccination et la hausse de la mortalité. Mais on pourrait tout aussi bien attribuer cette différence aux vagues massives d’infections par le variant Omicron à partir de janvier 2022, qui ont pu aggraver la situation.»

Emanuel Wyler souligne en outre que l’étude est trop restreinte pour tirer des conclusions solides. Les chercheurs n’ont observé une différence significative du taux de survie que lorsqu’ils prenaient en compte le total des anticorps IgG4.

En revanche, pour le sous-groupe présentant un taux élevé d’IgG4 spécifiques à la protéine Spike, l’échantillon n’était composé que de 16 personnes, un chiffre trop faible pour être statistiquement significatif.

Le chercheur critique également deux figures de l’étude (Fig. 2 et Fig. S5), où les auteurs représenteraient différemment l’évolution de la maladie entre les patients non vaccinés et ceux ayant de faibles taux d’IgG4, ce qui rend les résultats, selon lui, peu crédibles.

Très peu d'études par les fabricants de vaccins

Les fabricants analysent-ils désormais les niveaux d’IgG4 dans leurs vaccins? Interrogée à ce sujet, Moderna répond que, pour le vaccin contre le RSV, les analyses des différentes sous-classes d’anticorps font partie des travaux en cours. L'entreprise indique:

«Nos données montrent que des réponses IgG4 apparaissent, mais que toutes les sous-classes d’IgG restent présentes et contribuent ensemble à la protection des personnes.»

Pfizer, de son côté, n’a pas répondu si ces anticorps spécifiques faisaient l’objet d’études dans ses vaccins. La société a simplement fait savoir qu’elle ne pouvait pas, pour l’instant, fournir de commentaire détaillé.

L’immunologiste allemand Andreas Radbruch estime que, lors du développement et l’autorisation de vaccins à ARNm, il faudrait désormais porter une attention particulière aux IgG4. Il explique:

«Il faut examiner comment éviter leur production»
L'immunologue Andreas Radbruch.
L'immunologue Andreas RadbruchImage: dr

Contrairement à d’autres chercheurs, qui pensent que les IgG4 pourraient atténuer certaines maladies inflammatoires, Andreas Radbruch affirme:

«Aucun être humain n’a besoin d’IgG4 pour se défendre contre les infections virales»

Selon lui, il ne faudrait pas seulement mesurer les anticorps présents dans le sang, mais aussi ceux situés à la surface des voies respiratoires, notamment dans le nez. Il s’attend à y trouver davantage d’IgG4 chez les personnes plus vulnérables à une nouvelle infection au coronavirus. «Mais je me laisserais volontiers surprendre par le contraire», ajoute-t-il.

Emanuel Wyler formule les choses autrement:

«Du point de vue de l'évolution, le fait que les IgG4 existent prouve qu’ils doivent bien avoir une utilité. Mais il peut exister des situations où les IgG4 ne sont pas bénéfiques.»

Le chercheur soupçonne que la vaccination renforce tellement la protection immunitaire, que l’effet des IgG4 deviendrait négligeable. Il conclut:

«On pourrait donc en conclure que, si la vaccination produisait moins d’IgG4, elle serait encore meilleure»

Traduit de l'allemand par Joel Espi

Des photos étranges prises dans des supermarchés américains
1 / 13
Des photos étranges prises dans des supermarchés américains
source: imgur
partager sur Facebookpartager sur X
L'explication d'un expert sur l'explosion du mouvement antivaccin
Video: watson
Ceci pourrait également vous intéresser:
As-tu quelque chose à nous dire ?
As-tu une remarque pertinente ou as-tu découvert une erreur ? Tu peux volontiers nous transmettre ton message via le formulaire.
0 Commentaires
Votre commentaire
YouTube Link
0 / 600
Trump recale Zelensky: «J'aime résoudre des guerres»
Donald Trump temporise face à Zelensky:le président américain, désormais proche de Vladimir Poutine, refuse de livrer des missiles Tomahawk à Kiev, affirmant espérer «mettre fin à la guerre sans y recourir», malgré les appels pressants du dirigeant ukrainien.
Donald Trump, qui affiche une proximité retrouvée avec Vladimir Poutine, a temporisé vendredi face à Volodymyr Zelensky. Ce dernier était venu à la Maison-Blanche lui demander des missiles Tomahawk pour renforcer l'armée ukrainienne face aux forces russes.
L’article