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Pourquoi les Chinois revendent leurs châteaux français en masse

Pendant des années, des investisseurs chinois ont acheté tous les vignobles qu'ils pouvaient dans la célèbre région viticole française. Aujourd'hui, ils repartent.
Le château Latour Laguens (g) et le vignoble de Château Monlot (d). Image: afp/watson

Pourquoi les Chinois revendent leurs châteaux français en masse

Pendant des années, des investisseurs chinois ont acheté tous les vignobles qu'ils pouvaient dans la célèbre région française du Bordelais. Aujourd'hui, ils repartent. Et pour de bonnes raisons.
17.03.2025, 06:4417.03.2025, 06:44
Stefan Brändle, Paris / ch media
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Plus aucun vigneron à Château Latour-Laguens, seulement des chauves-souris. Au cœur du vignoble bordelais de l'Entre-Deux-Mers, la petite bâtisse, avec sa tour et ses créneaux, est vide; la façade pourrit, le tout tombe en ruines.

Entouré de 30 hectares de vignes, le domaine est à vendre pour 150 000 euros. Une aubaine pour un authentique château viticole. La propriétaire, Daisy Haiyan Cheng avait acheté l'ensemble en 2008 à prix d'or – jusqu'à un million d'euros, à en croire les rumeurs. L'entrepreneuse chinoise débordait alors d'idées, son approche commerciale semblait convaincante: elle prévoyait de produire un Bordeaux rouge de qualité moyenne pour environ 5 euros la bouteille. Elle l'aurait ensuite expédié directement en Chine pour le vendre, avec l'aura d'un «château» français, pour 20 à 50 euros. Dix fois plus cher, donc.

La demande était bien là: à cette période, ces millésimes illustres avaient la cote dans les restaurants de Pékin, Shanghai et Hong-Kong. En quelques années, les ventes de vins français ont triplé dans l'Empire du Milieu.

«Antilope tibétaine»

Daisy Haiyan Cheng n'était que la première dans son genre. D'autres l'ont rapidement imitée, et en nombre. Des dizaines d'investisseurs chinois se sont frénétiquement jetés sur chaque parcelle disponible. 300 domaines viticoles auraient ainsi changé de main en une décennie, témoignait Li Lijuan, un agent immobilier chinois, en 2019. Il suffisait de s'arrêter devant les vitrines des agences pour voir les prix s'envoler.

Euphorique lui aussi, l'investisseur hongkongais Chi Keung Tong a acquis plusieurs biens avant de les rebaptiser à la va-vite: «Château Lièvre d'or», «Château impérial» ou «Antilope tibétaine». Les Français se sont inquiétés du bradage de leur tradition; il y a eu des pétitions et des appels aux accents parfois anti-chinois.

This photograph shows the Chateau Latour Laguens, which was one of the first wine estates in France's leading AOC vineyard, the Bordeaux winegrowing region, to be bought by a Chinese company in 2 ...
Le château Latour Laguens a été acheté par une société chinoise en 2008. Il sera vendu aux enchères le 5 septembre 2024.Image: AFP

Aujourd'hui, c'est le retour de manivelle. Chi Keung Tong a revendu ses terres à des investisseurs locaux. Ce faisant, il aurait perdu beaucoup d'argent. Fini, la bannière chinoise, les châteaux portent à nouveau leur nom d'origine, bien français, celui-là.

Ce sort est celui d'une multitude d'autres lieux. D'après les estimations de Li Lijuan, négociante, 50 domaines bordelais «chinois» – dont la plupart ne sont pas des Grands Crus – cherchent désormais un repreneur. Les prix s'effondrent. En raison de la surproduction générale de vin de Bordeaux, ils avaient de toute façon baissé ces dernières années. Les opportunités d'achat ne manquent donc pas, constate la spécialiste, qui travaille pour la société immobilière Vineyards.

Il y a plusieurs raisons à cet exode. Certains investisseurs ont jeté l'éponge parce qu'ils ne se sont rendu compte qu'après coup de la complexité du métier de viticulteur et de propriétaire de château. La Safer, l'agence française du foncier agricole, a conclu dans un rapport que les Chinois qui s'improvisaient vignerons manquaient généralement de connaissances. Dans le magazine d'investissement Fonds-Online, on peut par ailleurs lire le témoignage d'un propriétaire de vignoble asiatique. Il avait exigé de vendanger dès le mois de juin pour des raisons commerciales.

Paris et Pékin enquêtent

Les Chinois doivent aujourd'hui redoubler d'efforts pour continuer à s'implanter dans le Bordelais. En 2016, le régime de Pékin a renforcé les procédures anticorruption et les contrôles de capitaux afin d'empêcher leur fuite hors des frontières. Cela a touché de nombreux investisseurs dans la région. La justice parisienne y enquête également sur du blanchiment d'argent.

Et puis, les nouveaux occupants du Sud-Ouest français ont dû faire face au Covid, qui a contribué à freiner l'engouement pour le bordeaux en Chine. Selon l'Organisation internationale du vin (IWO), la consommation de vins français recule depuis dix ans; rien qu'en 2023, elle a chuté de 25% par rapport à l'année précédente.

Chinese singer and actress Zhao Wei poses on September 18, 2018 in Saint-Hippolyte, southwestern France, in her vineyard of Chateau Monlot which is being harvested. Zhao Wei bought the Chateau Monlot, ...
La chanteuse et actrice chinoise Zhao Wei le 18 septembre 2018 à Saint-Hippolyte, dans le sud-ouest de la France, dans son vignoble de Château Monlot acheté en 2011.Image: AFP

Malgré cela, certains investisseurs chinois restent dans le Bordelais. Car on trouve tout de même des passionnés, qui ne pensent pas seulement à une rentabilité à cinq ans, mais qui raisonnent en termes de générations, à l'image des familles de viticulteurs françaises. Parmi eux, la viticultrice Zhang Rong. Elle produit un rouge primé dans son Château des Chapelains.

Ou encore Jack Ma, le fondateur du distributeur en ligne Alibaba. Dans son domaine du Château de Sours, le milliardaire prend tout son temps pour mettre au point un cru haut de gamme. Et enfin Peter Kwok, un homme d'affaires de Hong Kong. Il possède plusieurs châteaux autour de Bordeaux, dont un Saint-Emilion Grand Cru. Et il continue d'acheter des vignes, lorsque l'occasion se présente.

(Adaptation française: Valentine Zenker)

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