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Le verdict de l'affaire Théo ne changera rien à sa souffrance

Le verdict de l'affaire Théo ne changera rien à sa souffrance

«Je suis mort»: le verdict de l'affaire Théo ne changera rien à sa souffrance

Trois policiers étaient jugés devant les assises de la Seine-Saint-Denis pour avoir gravement blessé un jeune homme de 22 ans en 2017. Handicapé à vie, Théo est devenu un symbole des violences policières. Le verdict du procès est tombé. Il n'est pas celui qu'on pouvait attendre. Récit de cette affaire.
19.01.2024, 17:1819.01.2024, 20:04
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Aulnay-sous-Bois, 2 février 2017. Théo. Pour ce jeune homme alors âgé de 22 ans, un long calvaire commence. Vers 17 heures cet après-midi-là, quatre fonctionnaires de la BST, la Brigade spécialisée de terrain, l’une des innombrables déclinaisons du maintien de l’ordre en France, procèdent à un contrôle d’identité sur la dalle de la Rose-des-Vents, un endroit connu pour son trafic de drogue. Les policiers s’approchent d’un groupe de jeunes. La situation dégénère.

Une caméra de vidéosurveillance saisit la scène suivante. L’un des jeunes résiste aux policiers qui tentent de l’interpeller. L’un d’eux fait alors usage de sa matraque télescopique pour essayer de le faire tomber. Visant le gras de la fesse, il donne un coup violent de bas en haut. Mais le coup dérape. Le bout de la matraque pénètre l’anus du jeune homme. Début de l’affaire Théo.

La vidéo de l'intervention

Sept ans plus tard: trois des quatre policiers impliqués dans cet incident comparaissaient devant les assises de la Seine-Saint-Denis. Face à eux, leur victime, Théodore Luhaka, 1,94 mètre pour 94 kilos, handicapé à vie. Ils sont accusés de violences volontaires aggravées. L’auteur du coup de matraque, Marc-Antoine C., 34 ans, le principal accusé, a exprimé des «regrets». Le procureur a requis contre lui trois ans de prison avec sursis.

Séquelles à vie

Théo a gardé des séquelles physiques et psychologiques de cette intervention policière qui a mal tourné. Il souffre d’incontinence anale. Il a subi plusieurs opérations. Dans un premier temps, les médecins lui ont installé une poche externe pour recueillir les matières fécales. Il ne l’a plus aujourd’hui, mais il ne se sent pas libre d’aller et venir à sa guise. Il peut avoir des pertes de gaz à tout moment. Durant le procès, il était assis sur un coussin. Il ne veut plus qu’on l’opère.

«Si ça ne garantit en rien ma guérison [à 100 %], pourquoi prendrais-je le risque de me soigner? On vous met tout nu, on vous met un truc dans les fesses, vous revivez la scène qui vous a mis ce traumatisme, c’est encore pire»
Théodore Luhaka, cité par Le Monde

Le 2 février 2017, le coup de matraque policier déchire le sphincter anal de Théo. C’est l’époque où l’expression «violences policières» commence à supplanter celle de «bavures», plus neutre, moins politique. La blessure infligée à Théo entre très vite dans la nouvelle catégorie.

Emeutes

Les images chocs de la vidéosurveillance atterrissent sur les réseaux. Leur diffusion entraîne une semaine de manifestations et d'émeutes urbaines. Dans les quartiers, mais aussi dans Paris intramuros. Pour la première fois peut-être dans l’histoire des banlieues, de jeunes blancs font cause commune avec leurs contemporains arabes et noirs. Les émeutes restent cependant limitées. Rien à voir avec l’ampleur et la gravité de celles de juin dernier, qui ont suivi la mort du jeune Nahel à Nanterre, tué par un policier.

En cet hiver 2017, la droite soutient la police, les milieux de gauche prennent fait et cause pour Théo sur fond de combat antiraciste. Quatre ans plus tôt aux Etats-Unis est né le mouvement Black Lives Matter (la vie des Noirs compte), suite à l’acquittement de l’auteur d’un homicide d’un adolescent noir. Parmi ceux qui demandent «Justice pour Théo» sur leurs t-shirts et banderoles, certains se réclament du mouvement afro-américain. Le temps est à la mobilisation. Un an plus tôt en France, un autre jeune homme noir, Adama Traoré, des condamnations à son actif, décédait lors de son interpellation par des gendarmes – le 10 août 2023, au terme d’un interminable marathon judiciaire, la justice rendait une ordonnance de non-lieu.

François Hollande à son chevet

Pour calmer la colère de la rue, François Hollande, alors président de la République, avait rendu visite à Théo dans sa chambre d’hôpital. Sous le regard des caméras, le chef de l’Etat saluait un «jeune qui a toujours été connu pour un comportement exemplaire», issu d'une «famille qui veut vivre en paix, en rapport de confiance avec la police» – en 2022, Théo et ses frères étaient condamnés dans un dossier d’escroquerie aux emplois aidés, une affaire qui n’effaçait pas de la mémoire la violence de l’intervention policière du 2 février 2017.

Couché sur son lit, assommé par les antidouleurs, Théo, comme en contrepartie à la visite présidentielle, appelait au calme:

«Ma ville, vous savez que je vous aime beaucoup. J'aimerais bien la retrouver comme je l'ai laissée, s'il vous plaît les gars. Donc les gars, stop à la guerre. Soyons unis»
Théodore Luhaka, 8 février 2017

Aux assises qui se sont ouvertes le 9 janvier, Théodore Luhaka a dit ne pas vouloir «faire le procès de la police». «C’est un métier noble, mais les trois derrière moi, ce ne sont pas des policiers. Pour être policier, il faut en être digne», a déclaré la victime, ajoutant espérer que les accusés, 31, 34 et 43 ans, toujours présents sur le terrain, seront «punis pour ce qu’ils ont commis».

Un «accident»

La défense a de son côté fait valoir que l’intervention des policiers avait respecté les «process» en usage dans les forces de l’ordre. Elle a plaidé l’accident. Pour le ministère public, il s’agit au contraire d’un «geste volontaire».

Théo est apparu dépressif. Autrefois sollicité, il se sent seul à présent, vivant reclus dans sa chambre, lui, le footballeur qui devait signer dans un club belge au moment où ses rêves de professionnel ont volé en éclats.

«La réalité, c’est que je suis mort»
Théodore Luhaka, aux assises

Le verdict est tombé ce vendredi aux environs de 19 heures. Les peines prononcées sont en deçà des réquisitions du procureur. Marc-Antoine C., le principal mis en cause, est condamné à 12 mois de prison avec sursis, plus 5 ans d'interdiction d'exercer sur la voie publique et 5 ans d'interdiction de port d'armes. Les deux autres accusés écopent de 3 mois de prison avec sursis. Théo demandait que les accusés soient reconnus coupables. C'est chose faite. Les condamnations ne sont peut-être pas à la hauteur de ce qu'il espérait.

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Video: youtube
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