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Hedi, crâne défoncé: la police a-t-elle pris le pouvoir en France?

Le président Emmanuel Macron et Hedi, à droite, frappé par des policiers à Marseille début juillet.
Des policiers français protestent. Le président Emmanuel Macron et Hedi, à droite, frappé par des policiers à Marseille début juillet.image: montage
Analyse

Hedi, 22 ans, crâne défoncé: les flics ont-ils pris le pouvoir en France?

Les policiers français en ont «ras-le-bol». Ils protestent contre l'incarcération d'un membre de la BAC après le passage à tabac du jeune Hedi, début juillet à Marseille, en marge des émeutes urbaines. Emmanuel Macron est-il encore le patron? Ces signes qui font douter.
27.07.2023, 19:0929.07.2023, 20:43
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Les policiers français n’ont pas le droit de faire grève, mais ils peuvent se mettre en arrêt maladie. A Marseille, plus de 650 d’entre eux se seraient fait porter pâles, selon des chiffres sortis de leurs propres rangs. Un nombre anormalement élevé. L’expression d’un «ras-le-bol» qui se répand ailleurs sur le territoire avec la même méthode pour le faire savoir. D’autres se mettent en «code 652», une sorte de service minimum: on répond aux urgences, mais on n’arpente plus le terrain.

Qu’est-ce qui se passe donc encore à l’ouest de la Suisse, dans cette France qui va de soubresaut en soubresaut? La fronde policière répond au placement en détention provisoire, le 21 juillet, une mesure rarissime, d’un membre de la BAC, la Brigade anticriminalité. Avec trois autres de ses collègues, il est poursuivi pour violences volontaires en réunion sur un jeune homme de 22 ans, Hedi, sans casier judiciaire. Les faits en cours d’instruction remontent à la nuit du 1er au 2 juillet. Ils se seraient produits en marge des émeutes qui ont secoué la cité phocéenne comme d’autres villes françaises suite à la mort de Nahel, 17 ans, tué le 27 juin par un policier à Nanterre pour avoir refusé d’obtempérer.

Atteint d’un tir de flash-ball au crâne, Hedi aurait été ensuite roué de coups au sol, avec une particulière violence par le fonctionnaire de police aujourd’hui incarcéré – la justice s’appuie sur la vidéosurveillance. Les séquelles sont impressionnantes: si le jeune homme parle et peut marcher, il lui manque une partie de la boîte crânienne, ôtée lors d’une intervention chirurgicale pour permettre l’évacuation d’une poche de sang qui s’était formée. Elle devrait lui être remise quand cela sera possible.

Dans un témoignage recueilli par Mediapart, la victime, accompagnée ce soir-là d’un ami, affirme s’être trouvée dans la rue, non pas pour participer aux émeutes, mais pour suivre des yeux et des pas un hélicoptère qui survolait Marseille à basse altitude. Hedi a également témoigné sur la chaîne Konbini:

«Violences policières» vs «violences de la rue»

Le soir où des policiers de la BAC ont frappé Hedi, ceux-ci avaient semble-t-il pour consigne de ne pas procéder à des interpellations avec placement en garde à vue, faute de places suffisantes, étant donné le nombre élevé d’émeutiers et l'engorgement des prisons. C’est ce que prétendent des comptes Twitter favorables aux fonctionnaires de police.

Deux France s’opposent dans ce récit et ses conséquences. D’une part, une France de gauche plutôt radicale, qui fustige les «violences policières» au service du «pouvoir»; de l’autre, une France silencieuse, remontée contre les «incivilités» et les «violences de la rue».

Trop c'est trop

La police, dans tout ça? Le mouvement insurrectionnel des gilets jaunes en 2018-2019, les manifestations contre la réforme des retraites au début de cette année, suivies des émeutes urbaines consécutives à la mort de Nahel, probablement les plus graves qu’aient connues la France ces dernières décennies, sans parler de la période des attentats ouverte en 2015 sans s’être jamais réellement refermée, ne lui offrent pour ainsi dire aucun répit.

Sommée de maintenir l’ordre face à des Français pouvant à l’occasion se montrer d'une extrême violence, il lui arrive de réprimer durement sans faire toujours preuve de discernement. Le flash-ball en usage dans ses rangs, qui peut éborgner, voire tuer en cas de tir rapproché, symbolise cette montée de la tension de part et d’autre.

«Un policier n'a pas sa place en prison»

Les policiers se voient en «rempart de la République». Ils ont le sentiment que, sans eux, les institutions, diversement attaquées depuis quelque temps, seraient à terre. Que sans eux, Emmanuel Macron aurait pu très mal finir lors des épisodes les plus critiques de la crise des gilets jaunes. Ils pensent que la France leur doit beaucoup. Au point de se croire au-dessus des lois? Au point de contester les décisions de justice? Ce sont là les principaux reproches qui leur sont adressés dans le cadre de l’«affaire Hedi».

Les propos du directeur général de la police nationale, Frédéric Veaux, le 23 juillet, en soutien au policier de la BAC incarcéré préventivement, ont soulevé la réprobation à gauche. Dans une interview au Parisien, le haut fonctionnaire affirme «qu'avant un éventuel procès, un policier n'a pas sa place en prison».

«L'ordre, l’ordre, l’ordre»

Le lendemain, dans une interview accordée au JT de 13 heures de TF1, Emmanuel Macron, qui se trouve en déplacement à Nouméa, en Nouvelle-Calédonie, prône «l’ordre, l’ordre, l’ordre», et un «retour de l’autorité», en tirant un bilan des récentes émeutes urbaines. Réagissant aux déclarations du directeur général de la police nationale, le chef de l'Etat se livre à un exercice d’équilibre dont il est familier: s’il dit comprendre «l’émotion des policiers», il rappelle que «nul n’est au-dessus de la loi», les policiers pas plus que les autres. Service minimum du président de la République?

Le même jour, le coordinateur national de La France insoumise, le député Manuel Bompard, affirme:

«Il n'appartient pas à la plus haute hiérarchie policière d'intimider ou de mettre la pression sur l'autorité judiciaire qui est indépendante»
Manuel Bompard, LFI

La comparaison avec Mitterrand, il y a 40 ans

Alors, qui gouverne en France? Le chef de l’Etat ou la police? Certains ont ressorti des archives une intervention pleine d’autorité du président François Mitterrand datant du 8 juin 1983, il y a 40 ans. Le locataire de l’Elysée de l'époque était interrogé sur une manifestation de 2500 policiers. Mobilisés par un syndicat d’extrême droite, ils protestaient contre le «laxisme» judiciaire au cri de «Badinter assassin» (le nom du ministre de la Justice) après le meurtre de deux de leurs collègues par des cambrioleurs, membres du groupe terroriste d’extrême gauche Action Directe.

Le sommet de l’Etat se devait de répliquer. Interrogé par Antenne 2, François Mitterrand déclarait:

«Si certains policiers, une minorité agissante, ont manqué à leur devoir, le devoir des responsables de la République, c’est de frapper et de faire respecter l’autorité de l’Etat. Dès l’annonce de l’événement séditieux (…), j’ai demandé au premier ministre de prendre les sanctions nécessaires. Il a agi comme il fallait et je suis sûr que les Français approuveront, ce qui ne veut pas dire que les problèmes posés par l’ensemble de la police doivent échapper à notre examen.»
François Mitterrand, 8 juin 1983

Emmanuel Macron est-il tétanisé face à la police, au point de ne pas oser rappeler à l’ordre celui qui donne l'impression de s’assoir sur la séparation des pouvoirs? Peut-être le malaise est-il bien plus profond aujourd’hui dans les rangs policiers qu'en 1983. Les suicides y sont en augmentation ces dernières années, près d’un par jour en 2022. Il y a 40 ans, la grogne semblait se limiter à un groupe, elle paraît à présent bien plus étendue.

Il est loin le temps où Macron limogeait un général

Emmanuel Macron ne fait plus preuve de l’assurance qui était la sienne sitôt après sa première élection, en 2017. Il avait alors poussé à la démission le chef d’état-major des armées, Pierre de Villiers, qui avait critiqué des coupes dans le budget de la Défense. Depuis, les épreuves se sont empilées et le président de la République s’est comme placé sous la protection permanente de la police. Aussi lui apparaît-il redevable, quand son autorité devrait aller de soi.

Mais est-on si sûr de la force de la police? Parfois, elle a l'air au bout du rouleau. D'où son «ras-le-bol». D'où les risques accrus de bavures. D'où les craintes qu'elle inspire. D'où la nécessité de lui témoigner, aussi, de la reconnaissance.

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