C'est un sujet presque tabou. Pourtant, jamais autant de personnes n'en ont parlé que ces derniers jours. Mardi 6 décembre, suite à son passage sur le plateau de Quotidien, Kyan Khojandi s’est retrouvé au cœur de toutes les discussions: après une décennie passée sans cheveux, l'homme révélé par la série Bref est soudainement apparu coiffé.
Face aux milliers de réactions d'internautes, ce dernier a finalement fait savoir qu'il s'était fait poser un postiche. Si l'humoriste français avait prémédité ce buzz afin de promouvoir une nouvelle tournée de spectacles, cette fulgurante attention lui aura surtout permis de mettre en lumière un fait sociétal trop souvent tu: la souffrance vécue par les hommes qui perdent leurs cheveux à moins de 30 ans.
Peu d'entre eux l'avouent publiquement. Pour autant, beaucoup pâtissent de ce qu'on nomme l'alopécie androgénétique, plus communément appelée la calvitie. Car devenir chauve à la fleur de l'âge contredit l'imagerie populaire selon laquelle un homme, d'autant plus jeune, a forcément tous ses cheveux. Des diktats qui incitent ceux ne se conformant plus à cet idéal masculin à trouver des solutions remédiables. Parmi elles, Kyan Khojandi a fait le choix de la prothèse, mais d'autres se tournent vers un marché en pleine croissance: les implants capillaires.
A en croire les chiffres de la Société internationale de chirurgie de restauration capillaire (ISHRS) publiés en avril dernier, les interventions chirurgicales d'implantation capillaire ont augmenté de 240 % entre 2010 et 2021 en Europe. Et la Suisse romande semble être au premier plan de ce constat.
Comme le confirme à watson la Clinic Lémanic, qui œuvre dans le domaine depuis une dizaine d'années à Lausanne, la tendance au sein de l'établissement a pris l'ascenseur: «Au cours des cinq dernières années, notre clinique a observé une augmentation substantielle de demandes pour soigner l'alopécie androgénétique», affirme la doctoresse Véronique Emmenegger, directrice médicale de la clinique.
La spécialiste suisse fait également état d'un abaissement de la moyenne d'âge des patients. De plus en plus d'hommes faisant appel aux services de la Clinic Lémanic pour des problèmes d'alopécie sont à peine âgés d'une vingtaine d'années:
Berac et Olivier* en sont de parfaits exemples. Les deux Genevois, respectivement âgés de 24 et 28 ans, ne se connaissent pas, mais partagent un point commun: ils ont tous deux subi une opération chirurgicale d'implants capillaires à moins de 30 ans. Berac avait 21 ans lorsque son front a commencé à se dégarnir. Pour Olivier*, c'était à 18 ans: «Quand j'ai commencé à perdre mes cheveux, j'ai su que ça n'allait plus jamais s'arrêter», se souvient ce dernier.
Au-delà de leur nouvelle apparence, tous deux confient avoir également dû faire face aux remarques extérieures. Paradoxalement, souvent de la part de leurs amis: «C'est parce qu'on se vanne beaucoup entre gars. Surtout à propos de la perte de cheveux qui fait, à mon sens, partie des plus grandes peurs de l’homme», souligne Berac. Puis, progressivement, ces commentaires ajoutés à l'avancement de l'alopécie ont eu raison de la confiance qu'ils avaient en eux.
Port de casquette, cheveux sur le côté, demandes de coiffures spécifiques chez le coiffeur... le Genevois de 24 ans liste plusieurs tactiques qui l'ont aidé à dissimuler son complexe naissant. Des techniques qu'Olivier* a également adoptées pendant de longues années, jusqu'à un épisode survenu en été:
Alors, quatre ans après les premières chutes de cheveux, Olivier* a tout rasé. Une étape que Berac reconnaît, de son côté, ne pas avoir réussi à franchir. «En rasant tout, j’avais l’impression d’abandonner. Comme s’il n’y avait pas d’autres solutions que de devenir chauve», explique le vingtenaire, avouant que la situation aurait «peut-être été différente» si elle lui était arrivée à 40 ans.
Les stratégies d'évitement n'ont toutefois pu se maintenir indéfiniment. Berac l'a appris à ses dépens lorsqu'il est arrivé à court d'idées pour cacher son alopécie de plus en plus importante. Tout comme Olivier*, qui s'est rapidement lassé de son crâne, sur lequel les démarcations de la calvitie demeuraient malgré tout visibles.
C'est à ce moment que leur recherche d'alternatives pour retrouver une densité capillaire complète a débuté. En 2020, les deux hommes ont fait appel à des spécialistes étrangers. Berac est allé en Turquie, quant à Olivier*, il s'est rendu au Kosovo. Pourquoi ces destinations? «Le prix», s'accordent-ils. Les deux Romands révèlent avoir payé entre 1500 et 1800 euros chacun pour se faire retirer et réimplanter entre 3000 et 5000 follicules. Ce serait, selon eux, dix fois moins cher qu'en Suisse. De son côté, la doctoresse Véronique Emmenegger estime le prix helvétique à 5000 francs minimum.
Mais d'autres aspects, «plus essentiels», sont aussi entrés en compte: la majorité des sites suisses manquaient de photos des résultats postopératoires. Très peu de médecins semblaient par ailleurs être spécialisés dans ce type d'intervention. Et pour chapeauter le tout, les retours des patients satisfaits manquaient furieusement à l'appel.
Les deux jeunes Romands déplorent une communication digitale des cliniques suisses qui, à l'époque, ne les a aucunement rassurés. Comme si leur propre pays ne considérait pas assez leur souffrance. Un point qu'ils n'ont pas ressenti sur les sites internet des cliniques étrangères. Lesquelles leur ont par ailleurs déroulé le tapis rouge à leur arrivée sur place, entre les taxis personnels faisant le transfert de l'aéroport à la clinique et la convalescence au sein de luxueux hôtels, nous détaille Berac d'après sa propre expérience.
Face à ces critiques, en comparaison à d'autres pays, la doctoresse Emmenegger reconnaît en effet un retard de la Suisse en termes de marketing médical. «Alors qu’en Suisse l’information médicale est prise très au sérieux avec une communication basée sur le texte, la Turquie a mieux compris que la communication avec les jeunes férus des réseaux sociaux passait d’abord par l’image. Et puis côté prix, on ne peut pas concurrencer avec des cliniques travaillant à la chaine comme dans ce pays», affirme l’experte vaudoise. Et de préciser que s'adapter à l'air du temps – pour spécifiquement informer au mieux les plus jeunes – n'est pas chose aisée en Suisse. Plus particulièrement lorsque les cliniques cherchent à partager sur le Web des photos postopératoires de leurs patients:
Or, la directrice médicale de la Clinic Lémanic souligne la nécessité de moderniser la communication autour de la chirurgie esthétique. Seule manière de compenser les débordements médicaux auxquels peut être confrontée la jeunesse de plus en plus intéressée par le domaine. Parmi ces excès, les communications de cliniques jugées «agressives» car privilégiant l'image alléchante à la réelle explication médicale. Pour la doctoresse Emmenegger, ces situations peuvent désillusionner les jeunes patients, surtout ceux partis en tourisme médical.
Une grande partie des articles et sites étrangers mènent à penser que la chirurgie esthétique d'implants capillaires est une solution (voire la seule) qui règlera les soucis des patients. Or, comme le rappelle la doctoresse Emmenegger, «les implants capillaires ne garantissent pas forcément la fin de l'alopécie à vie». Berac, qui considérait cette méthode comme «miraculeuse», admet en effet avoir rapidement déchanté:
Bien que satisfait, Olivier* indique également avoir été prévenu par les médecins du Kosovo qu'il aurait certainement besoin d'implantations capillaires supplémentaires dans les années à venir. Pour la doctoresse Emmenegger, dans ces deux situations, ce n'est pas l'opération en elle-même qui est à pointer du doigt. Ce qui a, selon elle, mené à ces résultats en demi-teinte, est le fait de proposer des implants capillaires à un âge bien trop jeune.
L'experte suisse rappelle que des méthodes moins invasives que les implants capillaires existent, comme la luminothérapie et les thérapies cellulaires pour aider les personnes de moins de 30 ans souffrant d'alopécie à retrouver une densité capillaire globale.
Pour pallier à son manque de densité, Berac a d'ailleurs fait appel à des spécialistes suisses afin de réaliser une micro-pigmentation capillaire, technique permettant d'appliquer des points de pigment sur la peau du crâne, afin de combler les zones visibles toujours dégarnies.
Aujourd'hui, les deux Suisses romands ont retrouvé confiance en eux. Et si c'était à refaire, ils le referaient, arguent-ils. Car le monde dans lequel ils estiment vivre les soumet à des pressions esthétiques quotidiennes.
Aux yeux d'Olivier*, ces diktats restent pourtant moins importants que chez les femmes: «Entre les seins, le nez, les fesses, ces dernières doivent vivre avec toujours plus d’injonctions sociétales». La doctoresse Emmenegger précise que les femmes peuvent également être touchées par l'alopécie androgénétique. Lesquelles le vivent d'autant plus mal que les hommes puisque: «On associe davantage une femme chauve à quelqu'un de malade».
*Prénom d'emprunt