A chaque édition, sa petite polémique. C'est de bonne guerre, quand près de 200 millions de téléspectateurs annulent tous leurs rendez-vous pour se visser devant leur téléviseur. Un peu comme s'il fallait à tout prix rendre le très sage Concours de l'Eurovision plus granuleux, moins chiant, plus punk. En tout cas en façade. Souvenez-vous, il y a deux ans, les membres du groupe italien Måneskin s'étaient retrouvés au cœur d'un cocaïne gate du plus bel effet.
La question agitera les réseaux sociaux pendant plusieurs semaines: le chanteur Damiano David s'est-il enfilé un ride de poudre en douce et en direct?
On pourrait s'en ficher, mais c'est trop tentant de dénicher des frasques à la télévision de grand-maman. On a donc eu droit à une enquête visuelle et comportementale menée par des millions d'internautes extatiques, une déclaration officielle de l'organisateur, un démenti du principal intéressé, un test de dépistage (négatif) puis... plus rien. Si ce n'est le succès réel et tonitruant d'un groupe de rock que personne n'attendait.
Rebelote en 2023 avec la question suivante: La Zarra, la candidate canadienne représentant la France, a-t-elle adressé un doigt d'honneur aux couche-tard au moment de perdre plumes et points en direct?
Car, oui, cette année, c'est la France qui a eu droit à sa caravane de petits scandales en mousse. Depuis plusieurs mois, l'artiste de 35 ans a soigneusement collectionné les attitudes idéales pour faire naître des montées de sueur dans l'assistance. Volontairement ou non.
Et c'est effectivement à la distribution de (mauvais) points, samedi soir, que Fatima-Zahra Hafdi a donné le meilleur (ou le pire) d'elle-même. A mesure que la Suède tutoyait un peu plus les cieux à chaque nouvelle salve de twelve points, la France s'enfonçait lentement dans les égouts du classement. Au moment des voix du public, catastrophe: 50 misérables points qui seront suivis d'un majeur qui se dresse devant l'objectif et d'une moue ronchonne. Enfin, c'est ce que la plupart des téléspectateurs ont vu. Ou cru voir.
La réaction (très limite) de La Zarra en découvrant les points du public… #Eurovision #Eurovision2023 pic.twitter.com/JcBHSy5yEm
— Emilie Lopez ⭐️⭐️ (@emilielopez) May 13, 2023
Il n'en faudra pas plus pour que la France s'étouffe pendant tout un week-end. Pourtant, un petit rab de soufre s'est rajouté au scandale, peu avant cette séquence. Alors que les résultats n'arrêtent pas de pleuvoir, on aperçoit la chanteuse se lever d'un bon, passer derrière le vaillant trublion finlandais et s'engouffrer en loges. Alors, La Zarra, mauvaise perdante? On déchante, on se lève, on se casse? On brandit un petit «allez vous faire foutre» digital, comme tout bon punk qui se respecte quand on perd un concours? Rien de tout ça. Enfin, selon l'interprète de la chanson Evidemment.
Doigt d'honneur ou bruit de pet, on serait tenté de dire que le majeur de La Zarra raconte la même chose: une grande déception qu'on peine à contrôler. Il faut dire que durant les mois précédant la finale à Liverpool, les médias français ont foncé sur la même autoroute de l'assurance que la Canadienne qui, très tôt, en était certaine: «Je vais faire gagner la France à l'Eurovision». La chute est donc à l'image des attentes.
Mais pour une grande partie des gens qui aiment partager leurs opinions, ces explications ne passent pas. Jusqu'à la dernière gagnante française de l'Eurovision, qui a cru bon de se déconfiner publiquement pour hurler sa désapprobation gorgée d'emphase:
«La France ne mérite pas cela!» Les grands mots pour un petit geste, mais ce n'est pas anodin. Canadienne d'origine marocaine, Fatima-Zahra Hafdi représentait la France. Comme Céline Dion a, par exemple, fait gagner la Suisse en 1988. A l'Eurovision, on se prête les cordes vocales comme des stars du ballon rond sur un terrain de foot. On a le droit, c'est comme ça.
Reste que son nom et son passeport ont sans doute décuplé la résonance de ses actes, mais aussi la rage nauséabonde par plusieurs messages sur les réseaux sociaux. La Zarra aurait-elle bénéficié d'un peu plus de compréhension si elle avait été Corinne Bidochon, originaire du village de Pretin dans le Jura français? Fabien Randanne, journaliste français et grand spécialiste de l'Eurovision, l'a d'ailleurs très bien exprimé sur Twitter.
#Eurovision On peut s’indigner d’un geste, d’une attitude, croire ou ne pas croire une justification, mais cela ne peut en aucun cas être un prétexte à la xénophobie et à la misogynie
— Fabien Randanne (@fabrandanne) May 14, 2023
Représenter un pays dans un concours de chanson un peu kitsch, ce n'est pas moins sensible que de viser la victoire avec une équipe nationale durant la Coupe du monde. Et si l'on en croit les plus offusqués, on évite le doigt d'honneur après une mauvaise note du public, comme on se retient de dessiner l'aigle bicéphale avec les mains après un but de la Nati. Le drapeau flotte, tenez-vous bien droit. En 2022, c'est Bilal Hassani qui avait dû digérer sa dose d'injures avant la finale du concours: «Je mentirais si je disais que les insultes homophobes ou racistes ne m'atteignent pas».
La Zarra, décrite parfois comme le croisement parfait «entre Booba et Marilyn Monroe», histoire de situer rapidement le caractère de la jeune femme, a fait sa Lady Gaga, sa star. Alors que la soirée n'a pas grand-chose à voir avec les Grammy's ou le Festival de Cannes. Faire un «fuck» devant tata qui regarde sa télé, ne froisse que ceux qui veulent bien se croire choqués. Mais s'il y a bien un peu de manque de fair-play dans ses gestes et ses déclarations, «elle est comme ça», Fatima-Zahra Hafdi. Capricieuse, risque-tout et grande gueule.
En avril dernier, elle avait déjà fait parler d'elle en disparaissant quelques jours, laissant en rade ses copains candidats pour quelques concerts en Europe et la presse française pour une poignée d'interviews. «On lui a annoncé une mauvaise nouvelle concernant la santé d'un de ses proches», dira un ami, anonyme au Parisien, pour tenter d'excuser les tourbillons de La Zarra. Dans les dédales de France Télévisions, dont certains condamnent férocement le processus de sélection, certaines voix se disent fatiguées d'avoir eu à composer avec les sautes d'humeur de la chanteuse. «Ce n’était pas l’ambiance Foire du trône quand ils sont partis», soufflait même un officiel de l'Eurovision en regardant le bus de la délégation française quitter Liverpool.
La Zarra, c'est avec ce caractère en acier trempé qu'elle a déjà accumulé quelques casseroles dans son pays, au Canada. Son enfance? Un mystère bien négocié. Mais c'est aussi avec ce culot qu'elle a pu, il y a quelques années, séduire les tympans du célèbre producteur Benny Adam et s'offrir un disque de platine avec le tube Tu t'en iras, en 2021. Samedi, dans la nuit, La Zarra s'en est allée, dans un fracas qui marquera la France encore quelques jours. Jusqu'au candidat suivant, jusqu'à la polémique suivante. C'est comme ça, l'Eurovision.
On peut toujours compter sur la Finlande pour nous rappeler en une seule l’image, c’est QUOI l’ #Eurovision
— Valentine Letesse (@valentineletess) May 13, 2023
pic.twitter.com/FitGJ1pDXE