«Tous les jours, je me disais: jusqu'ici, tout va bien» Mina Kali, désormais travailleuse du sexe en virtuel, a claqué la porte de l'industrie pornographique mainstream en 2020, après huit mois de peur.
Non-respect du consentement, absence de contrat clair et pressions pour faire certaines prestations? Tout au long de son expérience, bon nombre d'acteurs et d'actrices l'ont alertée sur les abus de certains producteurs.
Les violences «systémiques» et les «conditions déplorables» du milieu de la pornographie ont été mises en lumière dans le rapport «Porno: l'enfer du décor», publié le 28 septembre 2022 par quatre sénatrices. Le Syndicat du travail sexuel (Strass) tempère toutefois:
Outre les conditions de travail difficiles et des journées passées «à se tordre dans tous les sens pendant des heures», comme le confie Mina, l'industrie du porno est parasitée par «des pourris».
Car si dans le droit, le consentement doit être respecté, sur le plateau, il ne l'est pas toujours. Malicia, TDS en virtuel qui a effectué cinq tournages dans l'industrie porno traditionnelle avant de retourner sur ses réseaux personnels, explique:
Sous la contrainte ou par surprise, ces jeunes femmes ont été forcées à réaliser des prestations qu'elles ne souhaitaient pas faire.
Pire, le consentement est souvent extorqué. «Quelques réalisateurs veulent aller vite pour qu'on dise oui sans réfléchir. Très souvent, ils nous mettent la pression», précise Mina. Et pour dire non, il faut du cran. «On peut dire non, mais qui oserait dire non? s'indigne Mina. Et que se passe-t-il pour une jeune fille qui a peur? Elle raconte:
D'autant que dans un milieu où beaucoup se connaissent, les rumeurs circulent vite. La peur d'être tenue à l'écart de certaines opportunités et d'avoir une mauvaise image à cause d'un ou plusieurs refus contraignent des jeunes femmes à accepter l'inacceptable.
Pour les victimes, l'écoute n'existe pas toujours. Comment réussir à dénoncer des agressions sexuelles dans le milieu du porno où les violences semblent banalisées?
Sauf que, même dans le porno, le consentement n'est pas une option. Cybèle Lespérance, militante pour les droits des travailleurs et travailleuses du sexe, déplore:
Face à cette violence, un certain nombre ont fait le choix de l'autoproduction pour se tourner vers les plateformes comme OnlyFans, MYM ou Vends-ta-culotte.
Poster des photos nue, faire des shows privés ou envoyer des messages érotiques... Sur les plateformes spécialisées ou sur ses réseaux sociaux personnels, la jeune femme gère seule son contenu.
Pour ce faire, à chaque réseau son utilisation précise. «Je poste mes nudes sur MYM et OnlyFans, et sur Swame et Vends-ta-culotte j'ai axé mes photos sur du BDSM. On m'achète aussi des photos directement sur mes réseaux sociaux comme Twitter», détaille Malicia. La jeune femme est alors sa propre patronne, libre de réaliser les prestations qu'elle souhaite, quand elle le souhaite.
«Sur mes réseaux, c'est moi, seule avec moi-même. Je fais ce que j'ai envie de faire. Et je peux même faire du fantasy porn (dans un univers fantastique)», se réjouit-elle. Une manière de se protéger des autres et de parer à toute dérive potentielle.
Performer sur ses réseaux permet également de diffuser son contenu à un cercle plus restreint. «J'ai attendu plus de deux mois avant d'accepter de faire un tournage pour Jacquie et Michel, confie Malicia. Ils ont une audience importante et la France entière peut me voir. Sur Twitter, je n'avais que 2000 abonnés qui voyaient mes photos.»
Malgré l'audience moins large, les revenus suivent et les jeunes femmes s'y retrouvent. Malicia étant étudiante pour devenir professeure des écoles, cela lui permet de financer ses études et de se faire plaisir.
Mina, quant à elle, ne vit que de son contenu érotique. «C'est mon métier!», scande-t-elle fièrement avant de détailler:
Alors, Mina multiplie les plateformes et les prestations. «Le plus gros de mon salaire, c'est la cam. Ce sont des shows privés face à des abonnés. Je fais ça sur Vends-ta-culotte et ça représente environ 70% de mes revenus», explique-t-elle.
Comme elle, beaucoup de TDS en virtuel multiplient les comptes sur les plateformes pour ne pas mettre tous leurs oeufs dans le même panier. Car les revenus sont très aléatoires. Sur les réseaux érotiques, «on n'est pas sûrs que nos clients se réabonnent tous les mois», souligne Mina.
Surtout qu'une grande partie de l'activité pornographique des deux jeunes femmes passe par les réseaux sociaux plus traditionnels comme Twitter, Instagram ou Snapchat, sur lesquels proposer du contenu sexuel est une tâche périlleuse.
Leurs comptes sont souvent signalés, suspendus ou shadow banned (une technique de modération consistant à exclure un compte de l'algorithme). «J'en suis déjà à mon sixième compte Snapchat, avoue Malicia, ce qui joue beaucoup sur mes revenus, car j'y ai pas mal de nouveaux clients.»
L'alternative de l'autoproduction est «une stratégie mise en place par beaucoup de TDS, mais pas une sinécure, car il faut vraiment s'investir et de nouveaux dangers émergent», analyse de son côté Cybèle Lespérance. Être en contact, certes virtuel, mais désormais direct, avec ses clients, c'est accepter que des inconnus s'immiscent dans sa vie privée. Mina se rappelle d'ailleurs:
Si elle a le courage de poser des limites et de les tenir, d'autres peuvent être influencées par les demandes des clients. Certains comportements peuvent frôler la limite du cyberharcèlement parce que «tout peut être mal interprété».
Une chose est sûre: avant de se lancer, «il faut réfléchir», martèle Mina, puisque les photos peuvent être volées puis partagées à son insu, et le contenu n'est pas éphémère. Car s'il semble facile de se lancer sur les plateformes érotiques, sur internet, l'oubli n'existe pas.
Cet article a été publié initialement sur Slate. Watson a changé le titre et les sous-titres. Cliquez ici pour lire l'article original