Réd: cet article a été publié pour la première fois en 2022. Nous le republions en cette fin d'année. Bonne lecture!
Si je vous demande de fermer les yeux et d'imaginer Jésus, qui voyez-vous? Un trentenaire saillant, musclé, aux yeux inspirés et à la barbe mélancolique? Ou, au contraire, un grand chauve un peu moche et bossu, aux traits défigurés par un mono-sourcil?
Si vous avez choisi la deuxième option, bravo: vous partagez un point commun avec les membres de l'Eglise primitive. Outre la foi, ces premiers chrétiens partagent une conviction: de son vivant, le Christ était... moche.
Pour nous brosser un portrait un peu plus précis du fils de Dieu, nous avons fait appel à l'historien de l'art médiéval Pierre-Alain Mariaux. Selon lui, deux options s'offrent à nous:
Le problème? Vous aurez beau retourner votre Nouveau Testament dans tous les sens, vous n'y trouverez pas la moindre petite description physique du Christ. Pas même l'ébauche d'une couleur d'yeux ou d'une fossette.
Pour en savoir plus, il faut nous plonger dans les profondeurs de l'Ancien Testament. Et y trouver deux visions... forcément, très contradictoires.
Parmi les partisans d'un Christ au physique divin, le Psaume 44, dont la description est sans équivoque: le Messie serait le plus «beau des enfants des Hommes». «Un peu comme quand Brad Pitt a été célébré de nos jours comme étant le plus bel homme du monde», souligne le professeur Pierre-Alain Mariaux.
Théorie reprise plus tard par les pères de l'Eglise (nous avons nommé Saint Jérôme et Saint Augustin), qui avancent que, d'un point de vue théologique, Jésus se doit d'avoir un visage et un corps d'une «beauté idéale».
Malheureusement, tout le monde n'est pas d'accord. Dans une prophétie moyennement flatteuse, le prophète Isaïe prophétise que:
Comprenez: le Messie sera doté de moult vertus, certes, mais pas d'un sex appeal hors du commun.
Son de cloche identique du côté du philosophe anti-chrétien Celse, qui écrit au 2e siècle dans son Discours véritable que Jésus était, je cite: «Laid et petit».
Autant de descriptions que de portraits-robots de Jésus possibles. Pour résoudre cette contradiction entre deux textes issus du seul et unique Ancien Testament, les théologiens et les pères de l’Eglise se sont mis d’accord: la beauté du Christ sera avant tout spirituelle.
Ajoutons à cela quelques connaissances historiques, comme son lieu de naissance (quelque part en Judée), son métier (charpentier) et sa pilosité faciale (à l'époque, la barbe est obligatoire pour les hommes), et nous pouvons tirer quelques vagues certitudes: Jésus était bronzé, ni noir ni blanc, de bonne constitution physique (osons dire musclé), et barbu.
Dès les premiers siècles de notre ère, les représentations de Jésus se sont démultipliées et ses traits sont loin d'être fixés: avec ou sans barbe, jeune ou plus mûr, charismatique ou innocent...
On remarque toutefois qu'au Moyen Age, en vertu de l’ascétisme à la mode, son visage est de plus en plus creusé. «Ce qui colle bien à l’idée de l'ascète retiré de la société.»
Quant à ses postures, elles sont tout aussi variables. La plus fréquente restant la Crucifixion - même si on ne peut pas dire que ce soit celle où Jésus apparaît sous son jour le plus engageant. Avec le temps, les crucifixions vont même devenir de plus en plus morbides: sous le pinceau sanguinolent des artistes médiévaux, le corps est torturé, lacéré, malmené.
C’est seulement à partir du 12e siècle que le visage du Christ commence véritablement à se fixer - sous la forme d'un Zeus ou d'un Jupiter - et que l'idée Jésus plutôt beau gosse s'inscrit dans une tradition constante et répétée.
La plastique de Jésus a donc 2000 ans, autant d'interprétations, de réinterprétations et de surinterprétations dans les dents. Mais surtout, «une excellente crème anti-âge», conclut Pierre-Alain Mariaux.