C'est une blague vieille comme le monde parmi les physiciens: il nous faudra encore 30 ans pour atteindre l'énergie de fusion, et ce sera toujours le cas. En effet, le développement des premiers réacteurs à fusion remonte aux années 1950. Mais malgré d'immenses progrès, on n'a jamais réussi jusqu'à présent à produire de l'énergie par la fusion nucléaire.
Mais la ministre américaine de l'énergie Jennifer Granholm a confirmé lors d'une conférence de presse une «grande percée scientifique». Les chercheurs du National Ignition Facility (NIF) au sein du Lawrence Livermore National Laboratory, près de San Francisco, sont parvenus à récolter plus d'énergie de fusion qu'ils n'en avaient mis dans l'allumage. Granholm a parlé de «l'une des réalisations scientifiques les plus impressionnantes du 21e siècle». Pour la science de la fusion nucléaire, l'expérience est effectivement une très bonne nouvelle, déclare Yves Martin, directeur adjoint du Swiss Plasma Center à l'EPFL:
Comme de nombreux autres experts, il souligne toutefois que le chemin est encore long avant de parvenir à un réacteur de fusion commercial. Car le rendement énergétique est encore loin d'être suffisant pour que cette technologie soit rentable.
Le soleil sert de modèle aux réacteurs à fusion: dans son noyau, il peut faire jusqu'à 15 millions de degrés et la pression y est 200 milliards de fois supérieure à la pression atmosphérique terrestre. Dans ces conditions extrêmes, 600 millions de tonnes d'hydrogène fusionnent chaque seconde en hélium à l'intérieur de l'étoile, ce qui libère une énergie immense. Si l'on parvenait à reproduire ce principe sur Terre, il serait possible de produire autant de chaleur de combustion à partir d'un gramme d'hydrogène que de onze tonnes de charbon, sans émissions nocives pour le climat.
Les chercheurs ont mis au point différents concepts pour faire entrer le soleil dans les centrales électriques terrestres. Au NIF, les physiciens utilisent des rayons laser qu'ils dirigent vers une petite capsule remplie d'atomes. Les lasers frappent la capsule de tous les côtés et la compriment si fortement que les isotopes lourds de l'hydrogène, le deutérium et le tritium, fusionnent entre eux pour former de l'hélium. Le problème, explique Martin, physicien à l'EPFL, c'est que le laser consomme encore beaucoup trop d'énergie pour pouvoir faire fonctionner une centrale électrique. C'est là le hic de l'annonce du succès américain.
Le réacteur à fusion baptisé «Iter», actuellement en construction dans le sud de la France en tant que «proof of concept», suit une autre méthode. Dans celui-ci, du combustible ultra-chaud est confiné à l'aide de champs magnétiques, de sorte que les noyaux atomiques entrent en collision et fusionnent. Martin et l'équipe du Swiss Plasma Center sont également impliqués dans Iter, même si ce n'est plus qu'indirectement en raison de l'échec de l'accord-cadre avec l'Union européenne (UE). Les chercheurs lausannois étudient la meilleure manière de chauffer et de confiner le combustible dans le réacteur de fusion.
Alors que la fusion nucléaire unit deux atomes, dans les centrales nucléaires actuelles, les atomes sont divisés. Les produits qui en résultent sont radioactifs et continuent à se désintégrer, créant ainsi une réaction en chaîne. Alors que celle-ci se déroule de manière explosive dans une bombe atomique, la désintégration se produit de manière contrôlée dans les centrales nucléaires – si ce n'est pas le cas, des accidents nucléaires sont à craindre. Or de telles catastrophes ne peuvent pas se produire dans les centrales à fusion. De plus, la fusion nucléaire produit beaucoup moins de déchets radioactifs à longue durée de vie. Un stockage permanent n'est en principe pas nécessaire.
L'argument décisif en faveur des centrales à fusion est qu'elles pourraient couvrir la charge de base, à l'instar des centrales nucléaires actuelles. La question de savoir si l'on pourra construire suffisamment de centrales à fusion commerciales d'ici le milieu du siècle pour atteindre les objectifs climatiques est toutefois controversée. Yves Martin rappelle que l'Europe a élaboré une feuille de route selon laquelle le premier réacteur à fusion devrait fournir de l'énergie en 2050. (aargauerzeitung.ch)