Pour qui a vécu la pandémie et ses impacts sanitaires, sociaux, économiques, en étant parfois intimement confronté à la maladie et à la mort et en subissant des restrictions somme toute liberticides, rien ne serait plus doux que d'être réveillé par une voix disant: «Hey, debout, la pandémie est terminée.» Mais que signifie «la pandémie est terminée»? Y a t-il des indicateurs spécifiques pour nous permettre de dire qu'elle est bel et bien derrière nous? Comme vous allez le voir, il n'existe pas une réponse claire ou, du moins, celle-ci se situe au sein d'un mille-feuille de réponses plus ou moins floues, empruntant aussi bien à l'épidémiologie et à la virologie qu'au culturel, au politique, au social et au sémantique.
Commençons. Diriez-vous aujourd'hui que la pandémie de Covid-19 est terminée? Malheureusement non, pour la plupart d'entre-vous, nous semble-t-il. Si nous venons de vivre, en France, une décrue remarquable, les indicateurs, temporairement floutés par la fin de la gratuité des tests, pourraient témoigner d'une légère remontée dont on ne peut savoir si elle se transformera en rebond, en cinquième vague ou si elle se tassera d'elle-même.
En parallèle, la situation reste dramatique dans de nombreux pays notamment de l'Est de l'Europe, qui enregistrent quotidiennement des records tant de nouvelles contaminations que de décès par Covid. En outre, la situation ne s'est jamais assainie cet été au Royaume-Uni, après que le Premier ministre a levé toutes les restrictions, le 19 juillet dernier, pensant pouvoir compter sur la seule couverture vaccinale élevée pour sortir de la crise. Pire, la tendance semble s'aggraver actuellement, avec de nouveaux records de contaminations quotidiennes et une mortalité élevée qui ne s'arrête pas de grimper, ce qui, au vu de l'expérience acquise au fil des derniers mois, ne présage rien de bon -mais ne présageons pas nous-mêmes.
Malgré notre «fatigue pandémique», notre envie de voir le bout du tunnel, las que nous sommes de lire chaque jour des décomptes macabres et las de nous soumettre aux contraintes sanitaires, force est de reconnaître que la pandémie de Covid-19 n'est pas terminée.
Mais à quoi cela tient-il? Back to basics: qu'est-ce qu'une pandémie? Le terme vient du grec ancien πᾶν / pãn («tous») et δῆμος / dễmos («peuple») et désigne une épidémie présente sur plusieurs continents. Dans le sens courant, elle touche une partie particulièrement importante de la population mondiale. Mais «partie particulièrement importante de la population mondiale» est une notion bien subjective et il apparaît qu'il n'existe pas de définition consensuelle de la pandémie, ni de chiffre seuil permettant de dire «Nous sommes en pandémie» ou «Nous ne sommes pas en pandémie». Ainsi, le Règlement sanitaire international ne mentionne même pas le terme de «pandémie», quant à l'OMS, elle ne l'évoquait qu'à propos de la grippe dans ses plans de préparation. Elle avait d'ailleurs déclaré que l'émergence de la grippe H1N1 était une pandémie en 2009, puis s'est autorisée à nommer pandémie l'émergence de Covid-19, puis a proposé des «recommandations temporaires» entrant dans le cadre de ses prérogatives strictement encadrées par le Règlement sanitaire international.
Dire qu'une épidémie démarre ou s'éteint n'est paradoxalement pas source de beaucoup de débats. L'épidémiologie théorique est la discipline scientifique qui vient pour trancher la question. C'est le taux de reproduction R qui arbitre le match. Quand il est supérieur à 1, le virus a le dessus, l'épidémie s'installe. Quand il atteint la valeur de 1, le pic de l'épidémie est atteint, puis s'il redescend au-dessous de 1, l'épidémie s'éteint. Mais alors, pourquoi ne pas adopter cette définition simple pour caractériser l'extinction d'une pandémie? Parce qu'alors, on aurait déclaré la pandémie terminée à l'issue de la première vague. Certains l'ont fait d'ailleurs et l'on est tous bien d'accord pour dire qu'ils se sont trompés. Donc la pandémie n'était pas terminée après la première, ni après la deuxième et nous en sommes à la fin de la quatrième, sans oser espérer qu'elle soit enfin terminée.
Cependant pour la pandémie de grippe H1N1 de 2009 évoquée plus haut, nous avons subi des vagues saisonnières pendant les dix années consécutives suivantes, balayant toutes les régions du globe, sans que personne ne s'aventure à dire qu'il s'agissait de la énième vague de la pandémie de grippe H1N1. Pourquoi? qu'est-ce qui différencie tant les vagues saisonnières de grippe H1N1 successives post-pandémiques de la pandémie de grippe H1N1 originelle de 2009-2010 (car durant l'hiver 2010, on continuait à parler de pandémie)? La virologie? Les variants qui émergent chaque année et qui caractérisent les épidémies saisonnières? Mais à l'instar du Covid-19 et ses variants aux lettres grecques, les variants H1N1 sont apparus très précocement dans la pandémie sans qu'on ne dise qu'elle était terminée pour autant, il faut donc chercher l'explication ailleurs.
On perçoit peut-être que l'on a affaire à une notion que l'on pouvait penser être d'ordre sanitaire ou scientifique, mais qui finalement semble intimement liée à ses conséquences sociales et économiques et aux mesures prises pour l'endiguer. Aurions-nous accepté les restrictions sanitaires que nous avons connues sans que le mot «pandémie», avec sa connotation catastrophiste, ne soit prononcé? Et, réciproquement, l'annonce de la pandémie a probablement été un catalyseur mobilisant les dirigeants des nations à se préparer à devoir agir et la population à s'attendre à devoir encaisser un choc sans vraiment savoir ni sa nature, ni son ampleur, ni sa durée. Tenez, c'est peut-être un début de définition d'une pandémie!
Bon, cela ne nous aide pas à définir le terme de cette pandémie. L'histoire tend à montrer que le caractère pandémique des grandes épidémies de grippe du XXe siècle n'a finalement pas été reconnu ni désigné immédiatement, peut-être parce que, simplement, les gens avaient autre chose à penser et à vivre, ou que la culture scientifique de l'époque était moindre. Lors de la grippe espagnole, en 1918-1920, non seulement le virus n'avait pas été identifié (la virologie n'existait pas à cette époque), mais en outre les populations sortaient d'une guerre dévastatrice. Un certain relativisme régnait alors, même si on rapporte qu'en certains endroits, les gens tombaient littéralement comme des mouches des suites de l'attaque du virus -la plupart du temps, c'était en fait en raison de sur-infections, c'est-à-dire de complications bactériennes de l'infection virale que les personnes étaient emportées, et non par le virus lui-même. On peut dire qu'à l'époque, on a considéré que la pandémie était terminée dès lors que la grippe et ses conséquences ne tuaient plus en masse. Reste que le virus n'avait bien sûr pas été éradiqué.
Idem avec la grippe asiatique de 1957 (H2N2), puis celle de Hong Kong (1968-70) dont beaucoup d'entre nous n'avait simplement pas entendu parler avant très récemment -peut-être parce que les dirigeants d'alors des pays occidentaux ont détourné le regard, occupés qu'ils étaient à devoir gérer les crises de leur société et de leur jeunesse. Si ces pandémies grippales sont considérées comme terminées, ce n'est pas pour autant que leurs virus ne circuleraient plus, ni même ne seraient plus responsables de vagues épidémiques de grippe saisonnière, parfois tout aussi mortifères que la pandémie elle-même.
Il en va de même avec l'épidémie de H1N1 (2009). Qui prétendrait qu'elle n'est pas terminée aujourd'hui alors même que le virus H1N1 a continué à circuler jusqu'à aujourd'hui?
On devine ici qu'on ne saurait dire qu'une pandémie est terminée dès lors que le virus ne circule plus -ce qui serait d'ailleurs illusoire, car seule la variole a été éradiquée et ce grâce à une intervention humaine qu'est le vaccin. Bon, il y a une autre exception qui peut nous intéresser aujourd'hui: le SARS-CoV, le coronavirus du SRAS qui avait émergé en 2003 de Chine continentale, s'est éteint rapidement pour ne jamais réapparaître chez l'être humain. Mais on n'avait jamais parlé de pandémie du SRAS? On n'avance guère!
Songeons à une autre pandémie: le VIH/sida. Diriez-vous qu'elle est terminée? Vraisemblablement pas. Pourquoi? Sans doute parce que d'une part, nous gardons le souvenir pas si lointain d'une violente hécatombe qui a participé à nous construire et à largement encadré notre sexualité depuis quarante ans. D'autre part, parce que le sida et les maladies opportunistes qu'il suscite restent extrêmement graves lorsque l'infection n'est pas prise en charge par des traitements et que le virus n'est pas sous contrôle. Et puis, il faut aussi reconnaître et saluer l'action continue des militants qui ont continué au fil des ans à ne jamais normaliser le VIH et à le ramener toujours dans l'agenda social et politique. On voit la part de représentations sociales dans la notion de pandémie et combien elle échappe aux épidémiologistes et aux virologues, pour finalement se situer du côté du grand public et de la mémoire collective.
Alors quand en aurons-nous fini avec la pandémie de Covid? La réponse est loin d'être simple.
Nous pourrions peut-être nous dire que la pandémie sera terminée quand le R effectif (RE) sera inférieur à la valeur 1 pendant un temps suffisamment long à déterminer, sur tous les continents, dessinant alors une situation qui nous permette de lever toutes les mesures sanitaires. C'est-à-dire que nous serions sortis de la pandémie dès lors que nous pourrions revivre comme avant, ou presque, sans que les chiffres ne s'envolent à nouveau. Ça collerait avec l'idée que la pandémie de sida n'est pas vraiment terminée, puisque l'on continue à recommander le préservatif pour se prémunir de l'infection par le VIH. Autant dire que le terme de la pandémie de Covid-19 est simplement imprévisible.
Une autre façon de définir la fin de la pandémie serait de la centrer sur notre vie quotidienne: elle adviendrait lorsque l'on tournera vraiment et durablement la page, lorsque nous vous parlerons d'autre chose dans les colonnes de Slate.fr, lorsque des journées entières passeront sans aucune référence aux conseils de défense, aux rapports du Conseil scientifique, aux prises de parole des experts sur les plateaux télé. Lorsque les onglets Covid-19 n'apparaîtront plus sur Facebook, Twitter ou Google news (tiens ils ont disparu de ce dernier!).
Ce serait donc une espèce de seuil concret, mais qui se moquerait bien de savoir si le virus circule ou ne circule plus, qui ignorerait sans vergogne les facéties du taux de reproduction. Parce que finalement, le Covid et les discussions qu'il suscite ne circuleront plus dans notre quotidien et passeront au stade des vieux souvenirs et des bonnes blagues des humoristes.
Alors à la question «Quand pourra-t-on dire que la pandémie est terminée?», nous répondrons que nous ne le savons pas, mais que très probablement c'est vous, chers lecteurs, qui nous l'apprendrez!
Cet article a été publié initialement sur Slate. Watson a changé le titre et les sous-titres. Cliquez ici pour lire l'article original