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Pourquoi l'Allemagne a perdu son gouvernement? «C'est honteux»

ARCHIV - 06.06.2024, Berlin: Christian Lindner (l-r, FDP), Bundesminister der Finanzen, Robert Habeck (Bündnis 90/Die Grünen), Bundesminister für Wirtschaft und Klimaschutz, und Bundeskanzler Olaf Sch ...
De gauche à droite: Christian Lindner (FDP), ministre des Finances, Robert Habeck (Les Verts), ministre de l’Economie et de la Protection du climat, et le chancelier Olaf Scholz (SPD).Image: DPA

Pourquoi l'Allemagne a perdu son gouvernement? «C'est honteux»

Mercredi soir, la coalition allemande SPD-Verts-FDP s'est effondrée. Le politologue Michael Koss analyse les responsabilités, les perspectives et les gagnants potentiels des prochaines élections.
08.11.2024, 18:4709.11.2024, 10:04
Aylin Erol
Aylin Erol
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Mercredi soir, la coalition allemande dite des «feux tricolores» entre le SPD (les sociaux-démocrates, gauche), les Verts et le FDP (les libéraux-démocrate, droite) a éclaté. Qui en porte la responsabilité, quelles seront les prochaines étapes pour l'Allemagne et qui tirera le plus profit de nouvelles élections ? Le politologue allemand Michael Koss livre son analyse.

Le jour où Donald Trump remporte les élections présidentielles américaines, le gouvernement allemand implose. La coalition entre le Parti social-démocrate d'Allemagne (SPD), les Verts et le Parti libéral-démocrate (FDP) – le gouvernement «feu tricolore» a disparu. Que se passe-t-il en Allemagne?
Michael Koss: C'est une excellente question. Que cet événement coïncide avec l'élection américaine semble résumer parfaitement le parcours de la coalition:

«Le destin s'acharne contre nous»

Pourquoi cette bombe a-t-elle éclaté maintenant?
Christian Lindner du FDP semblait avoir un plan de sortie bien établi, qu’il avait visiblement préparé dès mercredi après-midi. Il avait l’intention de se rendre au sommet de la coalition, pour repartir aussitôt après. Mais le chancelier Olaf Scholz l’a devancé en le renvoyant directement vers le président fédéral pour la remise officielle de sa lettre de démission. C’est ainsi que les choses se sont concrétisées. En résumé, on pourrait dire que le FDP avait décidé de quitter la coalition et a assumé que cette escalade coïnciderait avec le jour des élections américaines. Cela en dit long sur les priorités du parti.

Michael Koss, Professor für das Politische System der Bundesrepublik Deutschland und der EU an der Leuphana Universität Lüneburg.
Michael Koss, professeur de système politique de la République fédérale d'Allemagne et de l'UE à l'Université Leuphana de Lunebourg.Image: zvg
A propos de Michael Koss
Michael Koss est politologue et professeur à l'Institut de sciences politiques de l'Université Leuphana de Lunebourg en Allemagne. Ses recherches portent principalement sur le système politique de l'Allemagne et de l'UE. Il accorde une attention particulière aux thèmes du développement de la démocratie, du système de gouvernement de la République fédérale ainsi qu'à la comparaison internationale des systèmes politiques.

Qu'est-ce que cela signifie concrètement de votre point de vue?
Cela montre que, manifestement, au FDP, la plupart des chefs se moquent bien des conséquences. Provoquer une telle escalade un jour comme celui-ci, dans un pays comme l'Allemagne, attaché à la stabilité pour des raisons historiques, est tout simplement irresponsable.

Selon vous, qui est responsable de cette situation?
Pour moi, la principale responsabilité incombe clairement au FDP et à Christian Lindner. Pendant, le temps qu'a duré la coalition, les Verts et le SPD ont, au moins, montré un esprit constructif et étaient prêts à faire des compromis, ce qui leur a valu de nombreuses critiques, en particulier pour les Verts. Mais ils ont au moins essayé de faire avancer les choses. La FDP, en revanche, a constamment brisé les compromis laborieusement obtenus, le plus souvent en lien avec la question du frein à l’endettement.

Que va-t-il se passer en Allemagne?
Cela dépendra du président de la CDU (réd: parti conservateur), Friedrich Merz. S’il refuse de retarder la dissolution du Bundestag (réd Parlement allemand) jusqu’en janvier, nous nous dirigeons vers des élections anticipées, car la popularité du SPD et des Verts – si l'on peut encore parler de popularité – risque de s’effondrer davantage. Sans le soutien de la CDU au Parlement, le SPD et les Verts seraient paralysés jusqu’en janvier, incapables de gouverner efficacement.

German opposition leader and Christian Union parties floor leader Friedrich Merz arrives for a meeting with German Chancellor Olaf Scholz at the chancellery in Berlin, Thursday, Nov.7, 2024. (AP Photo ...
Il a sans doute tout en main: le chef de la CDU Friedrich Merz, qui lorgne sur la chancellerie fédérale.Image: keystone

Dans l'est de l'Allemagne, l'AfD (extrême droite) et l'alliance de Sahra Wagenknecht (gauche populiste) ont récemment réalisé de bons scores aux élections régionales. Cette crise ne risque-t-elle pas de jouer en leur faveur lors de nouvelles élections?
Absolument. Quand on laisse le gouvernement éclater au lendemain des élections américaines, comment peut-on ensuite, en campagne électorale, reprocher à des partis comme l'AfD et le BSW leur irresponsabilité? Ce qui se passe actuellement revient à une immense campagne de soutien à ces deux entités. Ils n’ont même plus besoin de faire d’efforts pour les prochaines élections. Il leur suffit d’adopter une posture un peu «respectueuse des institutions», et cela suffira pour obtenir un bon résultat électoral. C’est vraiment honteux.

Devons-nous à présent nous inquiéter de l'entrée de l'AfD au gouvernement allemand?
A l'heure actuelle, j'estime que la CDU gagnera les élections anticipées avec environ 34% des voix. Ce pourcentage est faible, surtout compte tenu du soutien indirect que lui offrent les partis de la coalition au pouvoir. La CDU devrait, en réalité, pouvoir tirer un bien plus grand avantage de cette crise. Cependant, de nombreux électeurs et électrices vont se tourner vers Sahra Wagenknecht et Björn Höcke, soit le camp populiste de droite.

«C'est un vrai problème. Et on peut vraiment s'en inquiéter dans les pays voisins de l'Allemagne, et donc en Suisse»

Autrement dit, de l'instabilité. On sait que l'Allemagne est l'un des pays les plus influents au sein de l'UE. Quelles conséquences cette rupture de coalition aura-t-elle pour l'Europe?
Qu’on n’y voie aucun nationalisme, mais je dirais ceci: la politique intérieure allemande est plus déterminante pour l'UE que celle de la plupart des autres Etats membres, à l'exception, peut-être, de la France. C’est un fait. La fin de la coalition «feu tricolore» envoie un signal d'instabilité et de division à l’UE. Et cela arrive à un moment où la position des Etats-Unis face à l'invasion russe en Ukraine reste floue. Lundi encore, Annalena Baerbock était à Kiev, affirmant son soutien à l'Ukraine. Deux jours plus tard, elle ne peut plus rien affirmer, faute de majorité pour soutenir une quelconque position. Comment peut-on agir de manière si irresponsable? Cela me dépasse totalement.

24.11.2021, Berlin: Norbert Walter-Borjans, Bundesvorsitzender der SPD (l-r), Annalena Baerbock, Bundesvorsitzende von B
Ils souriaient encore (de gauche à droite): Annalena Baerbock (Verts), Robert Habeck (Verts), le chancelier Olaf Scholz (SPD) et Christian Lindner (FDP), après avoir signé leur contrat de coalition commun des partis de l'Ampel en 2021.Image: DPA

Cette instabilité arrive à un mauvais moment, et pas seulement d'un point de vue politique. L'économie allemande stagne. Certains parlent même d'une crise.
Oui, on peut le dire ainsi. A partir de cette situation, on peut tirer plusieurs conclusions différentes. Et je pense que c'est précisément le calcul résiduel du FDP. Ils affirment maintenant que l'Allemagne doit enfin remettre de l'ordre dans ses finances, ce qui signifie concrètement qu'une politique d'austérité devrait être mise en place. D'autres disent qu'il faut investir massivement dans nos infrastructures et dans notre défense nationale.

Et quelle serait la bonne stratégie?
Je ne suis pas économiste, je ne veux pas avoir la prétention d'avoir la bonne réponse. Mais ce que je peux dire du point de vue de la science politique, c'est qu'en période de crise, comme celle que nous vivons aujourd'hui dans le monde, en Europe et en Allemagne, ce serait une folie de ne pas mettre la main au porte-monnaie. Le passé l'a montré.

Le passé de qui? Celui de l'Allemagne?
Le meilleur exemple vient des Etats-Unis. Pourquoi les Etats-Unis ont-ils mieux traversé la crise économique mondiale des années 1930? Grâce au «New Deal» du président américain de l'époque, Franklin D. Roosevelt. Celui-ci consistait en de nombreuses réformes économiques et sociales. Et qu'est-ce qui aurait permis aux Etats-Unis de devenir une véritable démocratie multiethnique? Le programme élaboré avec d'autres réformes sociopolitiques appelé «Great Society» de Lyndon B. Johnson, qui fut président des Etats-Unis de 1963 à 1969. Mais le plan de la «Great Society» n'a pas pu être mis en œuvre. Cependant, ce projet n’a pas pu être pleinement réalisé. Selon moi, c’est l’une des raisons pour lesquelles le Parti républicain américain est ce qu'il est aujourd'hui: un parti marqué par des partisans du suprémacisme blanc, avec un homme comme Donald Trump à sa tête. C’est pourquoi je dis: en période de grande crise, il faut investir massivement.

«En Allemagne, il s'agit maintenant de préserver la démocratie»

D'où proviendra cet argent?
Je partage l'avis du chancelier allemand Olaf Scholz. Dans son discours, il a dit que l'Allemagne est beaucoup moins endettée que la plupart des autres pays européens. Je traduirais cela par: nous pouvons encore nous endetter et nous devrions le faire. Nous devons supprimer le frein à l'endettement. De mon point de vue, il serait également dans l'intérêt du prochain chancelier potentiel, Friedrich Merz de la CDU, de le supprimer. Sinon, il commencera, dès son entrée en fonction, à faire la même chose que la coalition en place, à savoir des dérogations, des fonds spéciaux, des situations d'urgence, afin de pouvoir réaliser des investissements et des dépenses.

Pouvez-vous encore tirer quelque chose de positif de cette crise?
Eh bien, on peut au moins dire qu'il y a quelques économistes qui se réjouissent de la fin du gouvernement actuel. Et pour certains, c'est aussi un soulagement, car la coalition leur a toujours été une épine dans le pied. Mais en même temps, tout le monde a toujours été dérangé par la GroKo, c'est-à-dire la coalition gouvernementale de la CSU et du SPD (réd: le gouvernement précédent). Pourtant, la GroKo est un scénario d'avenir pour l'Allemagne vers lequel nous nous dirigeons.

Comment envisagez-vous l'avenir de l'Allemagne à long terme? Verrons-nous plus souvent la dissolution des coalitions?
Je pense que notre politique devient plus instable, comme elle l’est devenue partout ailleurs. La question clé est de savoir si l’alliance BSW sera un jour prête à faire des compromis responsables. Personnellement, je n’y crois pas. Si cela s’avère exact, nous pourrions faire face à un problème permanent.

Pour quelle raison?
En fait, nous ne devrions pas nous préoccuper des luttes politiques pour le pouvoir, mais plutôt réfléchir à ce dont la base a besoin. Les vieux conflits politiques sont en effet plus visibles que jamais: l'inégalité entre l'Allemagne de l'Est et de l'Ouest, le danger croissant que représente la Russie, le fait que nous ne pouvons plus compter sur la puissance protectrice des Etats-Unis. Malheureusement, j’ai l’impression que très peu de politiciens et politiciennes en Allemagne ont pris la mesure de ces dangers. Dans leur discours, peut-être, mais pas dans leurs actions.

Traduit et adapté par Noëline Flippe

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