Nous sommes au printemps, un début d'après-midi ensoleillé. Une patrouille de police est dépêchée aux abords d'un pont lausannois. Là, une personne semble avoir des desseins funestes, elle est en crise suicidaire. L'histoire se finit «bien», car l'individu n'est pas passé à l'acte. On aurait pu ne pas l'évoquer, pas de fait divers à l'horizon, pas d'actualité.
watson a décidé de s'intéresser à cet événement passé sous les radars. Les tentatives de suicide. Comment en parler pour plus de prévention? Nous nous sommes entretenus avec l'association stop suicide et la police de Lausanne. Exceptionnellement, la police a accepté de nous faire rencontrer l'agente qui est intervenue sur les lieux.
C'est un exercice délicat: parler d'une intervention ayant trait à une tentative de suicide, sans évoquer la méthode, ni les détails des échanges entre les agents présents sur les lieux et la personne concernée. Sans oublier l'anonymisation des données. «L'enjeu pour nous, c'est que la personne ne puisse pas se reconnaître», explique Alexia Hagenlocher, porte-parole de la police lausannoise. Quant à la policière qui est intervenue, elle souhaite également rester anonyme pour ne pas attirer l'attention sur sa personne et ne pas «glorifier» en quelque sorte son acte.
Pourquoi tant de prudence? D'abord parce que l'évocation des suicides par les médias provoque deux effets antagonistes, un effet incitatif et un effet préventif. En effet, selon l'association Stop Suicide, informer sur les méthodes présente le risque d'influencer le passage à l'acte.
Revenons à la policière, dont l'intervention a été salvatrice. Elle était alors au poste lorsque la centrale a appelé sa patrouille. «Ce sont les passants qui nous ont averti», explique-t-elle, «on nous dit que la personne était en sécurité auprès des passants. Lorsqu'on est arrivé, on a vu que ce n'était pas le cas, que le danger était réel et la situation pouvait basculer à tout moment». L'agente nous explique qu'elle et son partenaire ont décidé rapidement qui parlerait à la personne en crise suicidaire. Se sentant «à l'aise», elle s'est alors proposée.
Pour l'association Stop Suicide, les premiers échanges sont primordiaux. «On croit qu'on ne peut rien faire dans ce type de situation, mais les petites choses peuvent tout changer», explique Léonore Dupanloup. Imaginons que vous tombiez sur une personne au comportement «particulier», elle semble ruminer, fait des allers-retours. Selon Stop Suicide, vous pouvez lui adresser la parole, lui dire bonjour, lui demander l'heure, car ces interactions peuvent couper le fil de ses pensées et créer un lien.
Lors d'une intervention d'urgence, la responsable de la communication ajoute que l'on peut aussi poser des questions se rapportant au quotidien pour essayer de faire sortir la personne de sa rumination suicidaire.
Dans le cas lausannois, la policière formée à la communication d'urgence ne détaille pas sa conversation, mais confirme qu'elle a abordé des sujets pouvant «ramener la personne à la réalité».
Dans le cas lausannois du mois de mars, après environ une heure de discussion, la personne en détresse psychologique a accepté de revenir sur le trottoir, au grand soulagement des policiers. L'agente se souvient:
La police ne souhaite pas détailler les moyens engagés durant l'événement, comme le nombre de patrouilles ou les policiers en civil, mais elle explique que pour «ne pas stresser la personne», les véhicules de secours ne mettent pas en fonction leurs sirènes et que les éventuelles patrouilles supplémentaires restent «discrètes».
Quant à la prise en charge suite à l'incident, les forces de l'ordre indiquent que c'est au cas par cas. Les personnes ne sont pas systématiquement transférées au Chuv, par exemple. Dans le cas lausannois, après une discussion autour d'un café en compagnie de la policière, elle a été acheminée en milieu hospitalier.
L'agente aurait pu demander, par la suite, un entretien auprès de la cellule débriefing, mais elle nous précise qu'elle n'en a pas eu besoin. Si ce n'est pas la première fois qu'elle est confrontée à ce type d'événement, les conditions, ici, étaient inédites. «J'ai créé un lien fort avec cette personne, mais cela reste professionnel. Elle connaît mon prénom, mais cela s'arrête là. Elle nous a remercié de notre présence», conclut la policière se disant soulagée par l'issue de l'intervention.