Theranos devait briser les frontières de la santé, redéfinir les soins. A sa tête, Elizabeth Holmes, une jeune femme qui décide de plaquer son cursus universitaire à Stanford pour démarrer sa start-up. En 2003, 19 ans au compteur, la jeune femme perpétue la fibre entrepreneuriale chère aux Américains en fondant Theranos, qui devait révolutionner les analyses de sang. En somme, la boîte promettait des diagnostics plus rapides et moins chers que ceux des laboratoires traditionnels. Pour faire simple: une petite piqûre au doigt et la technologie Edison (une petite boîte noire) pourrait déceler si vous avez le cancer.
Theranos était devenu une référence et a rapidement été valorisé à 9 milliards de dollars. A présent, Holmes est synonyme d'arnaque, de décadence financière de la Silicon Valley. Une (im)popularité immense qui lui a valu une série intitulée The Dropout, où Amanda Seyfried prêtait ses traits à la boss de Theranos. Le regard franc et le col roulé noir, la désormais paria de l'entrepreneuriat a troqué son costume de girl boss pour celui de mère dévouée, comme elle s'évertue à le prouver dans une interview-fleuve pour le New York Times. Un entretien vivement critiqué par les lecteurs, accusant le légendaire média d'embellir l'image d'une fraudeuse qui a vendu du mensonge à ses investisseurs.
Condamnée pour fraude, Holmes a pris 11 ans de prison dans les dents. Depuis plusieurs mois, elle tente de gagner du temps. Le 27 avril dernier, elle devait se présenter pour débuter sa vie de prisonnière, mais un recours tombé à la dernière minute lui offre un délai supplémentaire, le temps que le juge examine son cas.
D'où cette campagne médiatique travaillée, où elle demande à oublier aujourd'hui son personnage leader de la health tech? «Liz Holmes veut que vous oubliez Elizabeth», titre le Times. Une posture compréhensible, puisque l'ancienne prêtresse de la biotech ne semble pas perdre le nord, c'est une mère dévouée qui roule en Tesla, qui a appelé l'un de ses deux enfants Invicta (invisible en latin). Un tableau propre, lisse qui lui permet d'assurer une nouvelle identité auprès du grand public.
Holmes tente donc de redorer son blason. Rappelons que la presque quadragénaire a arnaqué de nombreux investisseurs prestigieux, tels que Rupert Murdoch (125 millions de dollars d'investissement) ou encore la famille Walton (Walmart). Mais la vérité a fini par éclater: sa start-up n'était qu'une coquille vide.
Il y avait Elizabeth, célébrée dans les médias comme une pionnière rockstar de la biotech, que rien ne pouvait arrêter. Maintenant, il y a Liz, la mère dévouée. Le quotidien new-yorkais décrit le nouveau personnage créé par l'ex star de la Silicon Valley comme «une mère de deux enfants qui, depuis un an, fait du bénévolat pour une ligne d'assistance téléphonique en cas de viol».
Une cause qui lui tient à coeur, comme elle le décrit dans le papier, rappelant une agression sexuelle subie à Stanford. Même si elle n'a jamais porté plainte, ce passage horrible a motivé sa décision d'abandonner plusieurs mois plus tard la célèbre université pour se lancer dans la vie active.
Elle revient également sur les épisodes houleux expliqués lors de son procès avec le numéro deux de Theranos: Ramesh Balwani, surnommé Sunny. Holmes explique que c'est lui-même qui l'avait forcée à adopter le personnage à col roulé noir et rouge à lèvres. Même rengaine pour une voix travaillée, plus grave, pour façonner une image destinée à favoriser son intégration dans le monde des affaires dominé par les hommes.
Un personnage créé de toute pièce par son ex-compagnon? Il semblerait. Une ancienne camarade de Stanford, Debbie Sterling, jurait qu'il y avait «Elizabeth à col roulé noir» et il y avait «la vraie Elizabeth».
Le New York Times démontre que l'arnaqueuse était empêtrée «dans un isolement complet avec Sunny». Elle ne prenait jamais de vacances (comme Jobs), se tuait à la tâche.
Même après la liquidation de Theranos, Holmes s'acharne à garder les deux pieds dans le secteur de la santé. Comme elle l'explique au Times, elle travaille toujours sur des inventions liées aux soins, et surtout qu'«elle continuerait de le faire derrière les barreaux.»
A la question du mensonge qui entourait son entreprise, Elizabeth Holmes avoue de nombreuses erreurs. Elle juge ainsi ses écarts de conduite:
Mais animée par cette envie de changer le monde, comme la majorité des magnats de la tech, elle continue d'avancer des idées, notamment dans le domaine des tests contre le Covid-19.
Ses déboires récents n'ont pas freiné ses velléités. Mais il lui faudra payer sa dette avant. Un détail que l'ex icône de la Silicon Valley tente de balayer sous le tapis, à coup d'appel pour s'éviter l'ombre.