Cela fait déjà plus d'une semaine que le monde apprend à vivre sans Matthew Perry. Sans ce coloc de notre petit écran qui a pris, ces dix dernières années, une si grande place dans nos coeurs. Vendredi 3 novembre, les médias ont largement relayé le dernier adieu fait à l'acteur de 54 ans par ses proches et amis, à Los Angeles. On a pu apercevoir les autres acteurs de Friends, presque au complet. Leur ami pour un temps, mais leur colocataire pour toujours, a désormais rejoint sa dernière demeure, à quelques mètres des studios Warner Bros où reposent également Michael Jackson, Lucille Ball ou encore Elizabeth Taylor.
Matthew Perry's private funeral was held on Friday at the Forest Lawn Church of the Hills in LA
— Lilian Chan (@bestgug) November 4, 2023
Perry's stepfather Keith Morrison served as a pallbearer
Jennifer Aniston (at the back), Courteney Cox and David Schwimmer (center) and Lisa Kudrow (front) are seen on Friday pic.twitter.com/2zGys6GP2q
Beaucoup trop vite et de façon inattendue, on est passé du rire aux larmes. Et, comme souvent, lorsqu'une célébrité qui nous a vu grandir s'efface du papier glacé, comme de nos souvenirs, on en vient à réaliser plusieurs choses essentielles. Déjà, on se rend compte que c'est tout un pan de notre adolescence qui s'en va manger avec lui les pissenlits - et autres soucis - par la racine.
Non pas que les stars du petit écran comptent pour nous comme un membre de notre propre famille – encore que, certains ont sans doute été assez accros à Friends pour convier les personnages de la série à leur table imaginaire en les appelant tonton Chandler ou tata Rachel. Mais quand une personnalité avec laquelle on passait tout notre temps libre, et qui nous a appris – bien malgré elle – quelque chose sur nous, vieillit ou ploie sous la maladie, l'on observe, impuissants, l'une de nos anciennes béquilles émotionnelles se briser sous le poids des années.
De Igor Bogdanoff à David Crosby, en passant par Michael Gambon ou encore Elisabeth II, il y en a toujours un auquel on s'attache et dont la disparition nous brise le coeur, malgré la distance. A chaque décès, c'est une petite partie de nous dont nous sommes sommés de faire le deuil. En les enterrant, on fait une courbette à ces leçons de savoir-vivre et de savoir-être que l'on nous a transmises par écran plasma interposé.
C'est con, mais c'est ainsi.
En ce qui me concerne, cette bande des six restera rent-free dans un coin de ma tête, comme un baume qui a su soulager les petits bobos de l'adolescence. Et il y a plusieurs raisons à cela.
Pour commencer, Friends, ce n'était pas qu'un nom de série qui nous promettait un rendez-vous que l'on ne voyait jamais arriver (petit side-eye convenu à la série How I Met your mother). Friends, c'est un concept que l'on aurait bien eu du mal à encaisser dans la vraie vie, mais que l'on ne peut s'empêcher d'envisager comme un idéal d'amitié. Tel qu'on le concevait dans notre petite enfance.
Imaginez: six amis, des colocataires, des voisins, qui entrent les uns chez les autres sans crier gare, pour y empiler autant de malentendus, de quiproquos burlesques et d'inénarrables tragédies amoureuses qui, malgré tout, tiennent dans ces quelques mètres carrés new-yorkais.
Qui n'a jamais fantasmé de pouvoir partager sa vie, ses bonheurs et ses emmerdes avec un groupe de potes qui comptent plus que nos frères et soeurs? Qui n'a jamais rêvé de pouvoir se retrouver chaque soir sur le canapé moche et défoncé d'un café, pour s'invectiver amicalement dans un afterwork éternel?
Rien que pour toutes ces parfaites chimères qui faisaient battre nos petits coeurs d'ados esseulés (ouais, on dramatise, mais vous comprenez le tableau), on restait la mirette scotchée sur AB1, alors que fusaient les punchlines et ricochaient les fous rires sur les murs de notre salon.
Une autre chose que la série Friends aura apprise à nombre d'entre nous, c'est que l'humour, à défaut de pouvoir résoudre les situations délicates, peut les rendre supportables. A ce titre, il est évident que le registre dans lequel puisait Chandler Bing a contribué au succès du personnage. Ce registre, c'est celui du sarcasme, élevé par le caractère de Chandler au rang d'arme rhétorique aussi tranchante qu'un katana, qu'il maniait sans jamais faire tomber de têtes.
Cet art parfaitement taillé pour les sitcoms à succès des années 90, s'est perdu dans les rouages des effets spéciaux propres aux productions Netflix. Pourtant, c'est bien ce qui a fait de Chandler le chouchou des téléspectateurs: un personnage un brin désabusé et déprimé, mais qui a pour super-pouvoir une brutale lucidité. Remettre ses amis à leur place, sans jamais se départir de sa gentillesse. Voilà un pote qui nous aura remis à la nôtre, ados maladroits que nous étions parfois.
En consultant le Larousse, on se rend compte que le train de la raillerie n'est pas facile à manier. Quand l'ironie consiste «à se moquer en faisant entendre le contraire de ce que l'on dit», le sarcasme consiste à «railler avec méchanceté». Ce talent de slalomer entre vérités et douceurs n'est pas donné à tout le monde.
Ado, on s'est pris piquet sur piquet à tenter d'incorporer un peu de l'essence de nos héros préférés. Pour contrer le monde, on s'essayait tant bien que mal à faire une «Chandler Bing», en sachant que nos galettes rhétoriques tomberaient à plat et non à pic. Et sans les rires gras et pré-enregistrés pour nous saucer.
Matthew n'était jamais très loin de son personnage. Du marasme au sarcasme, il n'y avait que quelques brasses, qu'il n'hésitait pas à assumer. Qui d'autre pour commencer son propre bouquin sous de telles auspices:
Si, comme le dit l'aphorisme, «l'humour est la politesse du désespoir», alors Matthew fut le gentleman de la déprime. Et c'est en l'assumant qu'il nous rendait, à nous, le sourire.
Adieu, Mr. Bing, tu vas nous manquer. Merci pour tes belles leçons, dont nous saurons, espérons-le, faire bon usage.