
Image: AP KNOPF
Commentaire
L'écrivain américain, décédé ce mardi, laisse derrière lui une sombre armée de personnages marginaux, criminels et ivrognes taiseux, dont il a tracé les parcours improbables avec une plume somptueuse. Hommage.
14.06.2023, 16:5417.06.2023, 18:40
Cormac McCarthy s'en est allé, ce mardi 13 juin. L'écrivain américain est décédé chez lui, dans l'Etat du Nouveau-Mexique. Il avait 89 ans. La nouvelle, annoncée dans la soirée, a vite fait le tour du monde, experts et observateurs déplorant le départ de «l'une des grandes voix de l’Amérique», d'un romancier «formidable et discret» qui fut «l'un des plus renommés et influents de la planète».
La mort de McCarthy mérite plus que ces formules convenues, certes véridiques et appropriées, mais au fond assez vides. C'est la même chose chaque fois qu'un écrivain, un musicien ou un acteur lambda tire se révérence: une dépêche traitée en vitesse qui énumère ses oeuvres les plus connues (en l'occurrence La route, No country for old men, ou encore Méridien de sang), nous rappelle qu'il a remporté de prestigieux prix et que certains de ses romans ont été adaptés par Hollywood.
C'est très bien de le rappeler, c'est nécessaire. Mais ce traitement fugace et pragmatique ne parviendra pas à atteindre l'objectif le plus important: intriguer celles et ceux qui n'ont jamais lu une ligne écrite par Cormac McCarthy, et les pousser peut-être à tenter l'expérience.
Car la mort d'un écrivain ne transmet pas exactement un sentiment de curiosité et fraîcheur, elle fait plutôt penser à des photos en noir et blanc et à de vieux livres poussiéreux. Et pourtant, ceux de McCarthy méritent d'être découverts par les personnes qui ne les ont jamais parcourus.
Pourquoi?
On pourrait parler des personnages et de ces anti-héros que le romancier mettait souvent en avant: les marginaux. Repris de justice, laissés pour compte, ivrognes, chômeurs, clochards et criminels disparates qui vivent à la lisière des villes, traînent dans les ruelles sombres des cités décrépites du sud des Etats-Unis ou sillonnent le désert mexicain. Une sombre armée de taiseux, d'individus à la fois monolithiques et complexes, décrits sans aucune complaisance. Ni héros ni victimes, juste une population de la marge abordée avec réalisme, dureté et tendresse.
Démonstration:
«Il vagabondait sur les terrains vagues comme un chacal dans l’obscurité, à l’abri des murs d’anciens entrepôts et dans le calme des bâtiments éventrés. Il était amoureux de la nuit et de ces régions tranquilles juste à la lisière de la ville, trop désolées pour être habitables.»
Cormac McCarthy, Suttree, 1979

Le film No country for old men, sorti en 2007, est basé sur le roman de McCarthy du même nom, publié deux ans plus tôt.Image: AP Miramax
On pourrait également évoquer l'absence d'intrigue qu'on retrouve dans la plupart de ses romans, qui ne livrent pas un récit cohérent, ne présentent pas de plot twist et ne transmettent, finalement, aucune morale. Il s'agit plutôt de tranches de vie, de vagues histoires commençant et s'arrêtant arbitrairement, se contentant tout au plus d'accompagner les errements insensés de leurs protagonistes.
On pourrait surtout rappeler son incroyable style d'écriture. Somptueuse, détaillée, à la fois ultra-réaliste et surréaliste, la plume de McCarthy dessine des images extrêmement éclatantes, fascinantes, parfois cauchemardesques.
Comme quand la compagnie de marginaux errant dans le désert est attaquée par les Indiens, dans Méridien de sang:
«Plusieurs hommes de la compagnie avaient commencé à reculer sur leurs montures et d'autres à volter dans la confusion quand surgit un peu plus loin sur le flanc droit des poneys, une horde fabuleuse de lanciers et d'archers à cheval dont les boucliers couverts d'éclats de miroirs brisés projetaient des milliers de soleils éclatés dans les yeux de leurs ennemis. Une légion d'horreurs au nombre de plusieurs centaines, à demi nues ou habillées de tenues attiques ou bibliques (...), l'un en haut-de-forme et un autre avec un parapluie et un autre avec des bas blancs et un voile de mariée tachée de sang et quelques-uns coiffés de couvre-chefs de plumes de grue ou des casques de peau brute rehaussés de cornes de taureau ou de bison (...) et les oreilles et la queue de leurs chevaux galonnées de bouts de toile de vive couleur et un autre sur un cheval dont la tête tout entière était peinte au vermillon et tous les visages des cavaliers criards et grotesques grimés comme une compagnie de clown à cheval.»

Méridien de sang (1985) est considéré l'un des chefs-d'oeuvre de McCarthy.image:babelio
Mais le style de l'écrivain percute également dans les moments moins spectaculaires, au détour d'une phrase apparemment banale. Comme quand Suttree, le protagoniste du livre du même nom, trouve un petit disque de pierre sculpté dans le sable de la rive du fleuve:
«Il ôta sa ceinture et avec son canif il découpa une longue et fine bande de cuir et la passa dans le trou du gorgeret et noua la lanière et la mit autour de son cou. Il reposait frais et lisse contre sa poitrine, cet objet de l'aube, paysage couleur de fer sur lequel s'étirait le crépuscule.»
Les livres de McCarthy regorgent de ces phrases incroyables, qui rendent la lecture toujours plastique, jamais banale, souvent surabondante. On peut sortir de ce même bouquin un dernier passage, son mystérieux début, en guise d'hommage:
«Cher ami, maintenant qu'aux heures poudreuses et sans horloge de la ville les rues s'étirent sombres et fumantes dans le sillage des arroseuses, et maintenant que les ivrognes et les sans-logis ont échoué à l'abri des murs dans des ruelles et des terrains vagues (...), nul être ne marchera hormis toi.»
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