C'est par ces mots que Sabri Derder, frère du journaliste et ex-politicien, Fathi Derder, a partagé une lettre posthume sur les réseaux. Le journaliste de 54 ans y évoque sa famille, ses amis, mais aussi son environnement de travail qu'il qualifie de «toxique».
Avoir accès à une lettre posthume est troublant, en lire les termes précis peut mettre mal à l'aise. Que doit faire un journaliste face à ce type d'information? Doit-on relayer la lettre ou simplement l'évoquer? Existe-t-il un risque d'imitation suite à la diffusion de la lettre. Réponse d'Alyzée Haahtio, responsable média à Stop suicide.
Vous avez probablement consulté cette lettre, quelle a été votre première réaction à sa lecture?
Nous l'avons lue, bien entendu. Nous en avons discuté avec le groupe romand de prévention au suicide et nous souhaitions rappeler aux journalistes les enjeux de la médiatisation de cet acte et l'impact que celui-ci pourrait avoir sur d'autres personnes. La recherche scientifique a mis en évidence deux effets de la médiatisation du suicide: un effet incitatif et un effet préventif.
Parler du suicide n'est pas un tabou, mais cela reste un exercice plus que délicat pour notre profession, rendre visible ce type de lettre peut-il avoir un effet incitatif?
Nous considérons que cette lettre fait partie de la vie privée de la personne et de sa famille.
En effet, il existe une déontologie journalistique qui demande aux professionnels du métier de faire preuve de toute retenue concernant la thématique du suicide. Stop Suicide recommande d'éviter de décrire la méthode et le lieu du suicide, d'utiliser un langage factuel en évitant le sensationnalisme et de parler des causes multifactorielles qui peuvent mener au suicide et bien entendu de mentionner les ressources d'aide en cas de crise.
Justement, cette lettre est publique et elle décrit entre autres un environnement professionnel toxique, cela reste une information que l'auteur souhaitait partager.
Je dirais qu'il y a aussi des passages de cette lettre qui permettent de dire que les causes sont multifactorielles. Dans un article de presse, il est recommandé de mettre en avant les différentes causes qui ont mené au suicide au lieu d’angler le papier sur l’une des causes du suicide.
Nous ne devons donc pas cibler l'environnement professionnel comme cause de l'acte suicidaire?
La crise suicidaire est une accumulation, celle-ci arrive à un stade où la personne considère que sa souffrance n'est plus supportable. Le souci professionnel peut être décrit comme un élément déclencheur par la personne en crise, mais il n'y a pas lieu de faire un lien de causalité entre l'acte et la souffrance au travail. L’impact médiatique et politique de Fathi Derder le rend reconnaissable, ainsi des personnes en crise suicidaires qui vivent une situation similaire ou proche peuvent s’identifier plus facilement à lui.
Pas de lien de causalité donc?
Lorsqu’une personne soulève par son suicide une question de société ou un problème plus général (se suicider afin de dénoncer le changement climatique) il s’agit d’un suicide dit démonstratif. Dans ce cas, le suicide est relié à un seul facteur et ne met pas en exergue la multitude de causes qui ont poussé la personne au suicide.
Dans cette lettre, l'auteur parle de planification de son acte et se dit serein face à son acte, peut-on en rendre compte sans romantiser cette action?
Oui et nous souhaitions que les médias apportent toute la nuance et la délicatesse à ce sujet. L'individu va exprimer sa souffrance à sa façon. Il va par exemple parler de ses émotions, de ses craintes et peut-être exprimer une forme de soulagement en parlant de son acte. Ce qu’il faut retenir, c’est que l’individu passe de pensées passives à actives, lorsque celui-ci commence à planifier son suicide en déterminant un moyen de le faire. La personne se raccroche à cette méthode et il a été reconnu que peu de reports sont effectués si une personne est coupée dans son plan. En effet, une personne qui n’a plus accès à la méthode sélectionnée a de grandes chances de ne pas se tourner vers une autre méthode.
Nous savons que la crise suicidaire est temporaire, il y a donc possibilité d'intervenir.
En tant que journalistes, nous pouvons toutefois informer nos lecteurs et parler des raisons du décès de la personne?
Oui, mais cela dépendra de la pertinence et de la visibilité de l'article. Nous pouvons parler du suicide, mais il y a une manière de médiatiser le suicide. En effet, il est recommandé de parler du suicide en termes de sujet de société, notamment en lien avec les maladies mentales de manière plus générale, qu’en termes de fait divers sur un cas spécifique. Il s'agit de trouver l'équilibre entre la façon de traiter le sujet, le ton sur lequel il est abordé et les éléments ressources qui sont mentionnés. Dans le cas que vous citez, c'est une personne connue du public et nous souhaiterions éviter tout effet d'imitation de son acte, par exemple.
Le suicide est un non-choix, ce n'est pas la mort qui est recherchée. La volonté, c'est de mettre fin à une souffrance. Les personnes aux pensées suicidaires estiment qu'elles n'ont pas d'autres choix, raison pour laquelle il est important de mentionner les ressources d'aide comme la Main Tendue qui est joignable 24/7 au 143. ou Pro Juventute au 147 et les urgences médicales au 144 (24/7). L'association STOP SUICIDE est aussi disponible pour toutes questions.