Pendant plus de deux heures, Elodie raconte l'histoire qu'elle a vécue avec Titi, un boxeur rencontré à l'adolescence qui s'avèrera être un homme violent et mythomane. Le podcast, sorti en 2023 et réalisé par le journaliste et auteur français Mathieu Palain, s'appelle Serial Mytho. Quatre épisodes qui laissent les auditeurs scotchés au récit de cette femme.
Ce n'est pas la première fois que Mathieu Palain s'empare de la thématique de la violence à l'égard des femmes. La même année sort Nos pères, nos frères, nos amis - Dans la tête des hommes violents, une enquête lors de laquelle il est allé à la rencontre des auteurs et des victimes de violences conjugales.
De passage au livre sur les quais à Morges ce week-end pour la sortie de son roman Les hommes manquent de courage, il nous partage son regard sur une thématique qui reste encore peu traitée par des hommes.
Pourquoi vous être interrogé sur les violences faites aux femmes?
Mathieu Palain: Ça remonte à l'arrivée du mouvement #MeToo en France, en 2017-2018. Pour mon podcast sur les auteurs de violences conjugales, j'ai commencé un travail documentaire qui m'a amené à m'interroger sur mon éducation en tant que mec hétérosexuel et sur les violences peu visibles mais quotidiennes qui touchent les femmes, dont ma mère, ma copine, mes amies et les femmes de mon entourage. J'ai réalisé l'ampleur d'un phénomène dont je n'avais pas vraiment conscience. Et je me suis posé une question que je ne m'étais pas posée avant.
Laquelle?
Est-ce que j'étais vraiment du bon côté de la barrière?
Justement, dans votre livre Nos pères, nos frères, nos amis - Dans la tête des hommes violents, vous évoquez un épisode lors duquel vous avez exercé de la violence à l'encontre de votre ancienne petite-amie, à l'âge de 18 ans.
C'est une femme que j'ai embrassée de force, qui partait parce qu'elle ne m'aimait plus. C'était de la violence, c'était une agression sexuelle. J'ai écrit à cette fille et on en a discuté. Elle-même n'en avait pas conscience à l'époque, elle n'en garde pas un tel souvenir. Elle n'aurait d'ailleurs pas dit qu'elle a été victime de violence sexuelle. Mais la société évolue.
Comment vous êtes-vous senti lorsque vous vous êtes rendu compte que vous aussi, vous aviez été violent?
Beaucoup de mecs, lorsqu'on évoque les hommes violents, vous diront: «Ces gars-là, c'est des porcs.» Et puis, quand tu parles avec eux, tu te rends compte qu'ils ne sont pas bien loin de faire la même chose. Lorsque j'ai rencontré des auteurs de violences conjugales, je ne les ai pas jugés. Je me demandais toujours: «Comment est-ce que tu te comportes?»
Ce dialogue est sain. Il t'oblige à te mettre face à tes responsabilités. Lorsque tu passes au scanner tes années précédentes, les femmes avec qui tu es sorti, mais aussi tes relations avec ta mère, tes sœurs, est-ce que tu les as toujours considérées comme tes égales? Souvent, on se rend compte que non. Cette réflexion permet de sortir de la vision caricaturale de l'homme violent, qui ne te ressemble pas. Il n'y a pas que des violeurs, des pédophiles, des tueurs.
Il y a d'autres formes de violences.
Il y en a une ribambelle, à des échelles différentes, qui s'exercent au quotidien et qui font mal.
Vous avez d'ailleurs interrogé votre mère, qui vous a raconté qu'elle avait échappé à une tentative de viol lorsqu'elle était adolescente.
Je n'aurais jamais mis un centime sur cette histoire si elle ne m'en avait pas parlé.
Interroger les femmes autour de soi, ça aide à prendre conscience de l'ampleur de la problématique?
Le dialogue est essentiel. Parfois, des mecs disent: «Les femmes veulent tout. Elles veulent prendre le pouvoir, l'égalité ne leur suffit pas.» Mais quand tu discutes avec eux, tu te rends compte que lorsqu'ils parlent ils n'incluent pas leurs sœurs, leurs mères et les femmes qu'ils aiment et qu'ils connaissent.
Il y a des hommes, aujourd'hui encore, qui n'écoutent pas, n'entendent pas, ne percutent pas. Pourquoi?
Mais en même temps, on a toutes et tous baigné dans une société qui autorisait ces violences. Celles et ceux qui sont nés dans les années 1990-2000 ont été exposés à beaucoup de sexisme. Pour vendre des voitures ou des baskets, on mettait en scène des femmes dénudées. A la télévision, Thierry Ardisson draguait ouvertement des filles de 20 ans alors qu'il en avait 60.
Un homme qui aborde cette thématique et qui s'adresse notamment aux hommes, qu'est-ce que ça change?
Je pense que ça ne change pas grand-chose.
Vraiment?
Certains pourraient effectivement se sentir un peu plus concernés s'ils savent que c'est un homme derrière le livre ou le podcast.
Pourtant, pendant longtemps, vous ne vous êtes pas intéressé à la problématique.
Je pensais que parce qu'elle touchait les femmes, elle devait être traitée par des journalistes femmes. Je pense qu'il y a aussi une sorte de déni: on n'a pas envie de se sentir concerné par un sujet qui est frappé du sceau de quelque chose de scandaleux, d'être qualifié de mec toxique, problématique. On préfère faire l'autruche et attendre que ça passe. Comme si ça pouvait passer.
C'est plus simple de ne pas faire ce travail et de continuer à penser qu'on est quelqu'un de bien.
Tous les hommes ne sont pas des sales types. Certains n'ont jamais exercé une forme de violence envers une femme.
Il ne faut évidemment pas faire de généralités. Je peux juste constater qu'on ne naît pas avec le gène de la violence. On l'acquiert en étant au contact de cette violence, en grandissant par exemple dans une famille où le père est violent.
Les hommes manquent-ils vraiment de courage?
C'est un cliché. Mais ce qui est fort dans les clichés, c'est qu'il y a un fond de vérité.
C'est plus courageux d'affronter la vérité et de dire: «Je me suis mal comporté.»
Le livre sur les quais a lieu du 30 août au 1er septembre 2024 à Morges.