C'est dans une bijouterie pignon sur rue, aux abords du lac à Vevey, que nous avons rendez-vous. A travers la vitre, la frénésie qui règne dans la boutique amène certains passants à s'arrêter pour jeter un coup d'œil.
A l'intérieur, Joanie Ecuyer, Emily Lam Clément et Stélina Lorieux, trois créatrices romandes, préparent les 12 silhouettes qui défileront à la Fashion Week de Milan le 24 février prochain. Une collection qui a été fabriquée entièrement en Suisse.
Lors des essayages ce lundi 22 janvier, aucun détail n'est laissé au hasard, jusqu'à la traine du turban «qui ne va pas avec le reste de la tenue» selon Joanie. «Tu n'arrives pas à la nouer de côté?», demande-t-elle à Stélina. En quelques minutes, le tour est joué: le couvre-chef sera bel et bien «noué de côté» comme demandé.
Il est maintenant temps de choisir les bijoux qui iront avec la tenue. Les pièces couleur or et argent, agrémentées pour certaines de diamants, trônent sur une table. A leurs côtés, il y a des feuilles sur lesquelles sont dessinés les différents looks imaginés.
Dans la bijouterie veveysanne, les créatrices passeront la journée à s'assurer que tout est parfait pour Milan.
L'instigatrice de la collaboration entre les trois marques romandes, c'est Joanie Ecuyer. Comédienne et danseuse, elle s'est lancée dans la création de vêtements à côté de son travail. En 2020, le Covid et le semi-confinement arrivent. Elle se dédie donc complètement à son projet CoCo Création, qui prendra de plus en plus d'ampleur jusqu'à être invité à la Fashion Week de Vancouver en 2022 et de Paris en 2023.
En février 2023, coup de téléphone et nouvelle invitation au prestigieux événement, à Milan cette fois-ci. Pour cette troisième participation, elle explique avoir voulu apporter «un petit truc en plus» à ses tenues.
Ce «petit truc en plus», c'est Emily Lam Clément et Stélina Lorieux qui viendront l'ajouter. La première est la créatrice d'Unique Eden, une bijouterie qui fabrique à Fribourg des pièces écologiques et éthiques. Les diamants sont produits en laboratoire à Genève, l'or est recyclé et les pierres précieuses sont suisses. La seconde fabrique des chapeaux et autres couvre-chefs avec des matières premières recyclées et des teintures naturelles.
Quant à Joanie Ecuyer, la particularité de ses vêtements réside dans le fait qu'elle utilise uniquement des matériaux qu'elle récupère ou qu'on lui donne: tapis, rideaux, plastique ou chutes de tissus. Ses habits, elle les fabrique dans un chalet au Sépey, vieux de plus de 200 ans et inaccessible en voiture. «Je sais, c'est complètement en décalage avec l'univers de la Fashion Week», s'amuse-t-elle.
Toutes les pièces ont été imaginées spécialement pour l'événement et seront présentées en avant-première à Milan.
D'ailleurs, comment se déroule la préparation pour un rendez-vous de cette ampleur? «C'est intense», confirme Joanie, qui reconnaît que la collaboration avec ses collègues lui a permis de mieux canaliser son énergie créative. «Je pourrais ne jamais terminer», rigole-t-elle. Elle raconte qu'elle écrit des textes avant de penser aux vêtements et que la réflexion globale autour d'une collection dure des mois.
Depuis cet été, Emily imagine chaque bijou – une soixantaine de pièces en tout – et confirme qu'il y a effectivement des heures de travail derrière le projet. Stélina, quant à elle, a créé ses couvre-chefs pour apporter la touche finale aux tenues de Joanie.
Le jour J, une répétition aura lieu quelques heures avant le défilé. Joanie précise que les mannequins seront sélectionnés sur le moment et que les retouches se feront directement sur les modèles. «Nous n'avons que peu de détails sur leurs mensurations, juste une fourchette de taille», poursuit-elle. Il faut également proposer une musique originale pour le défilé. Alors, pour rester made in Switzerland jusqu'au bout, c'est un musicien suisse qui a composé la bande-son sur laquelle les mannequins défileront.
Emily et Stélina se réjouissent de cette première Fashion Week. «C'est un bonheur et un honneur de montrer mes créations», déclare la première. «C'est un accomplissement», exprime la seconde. Toutes les trois se rendront d'ailleurs à Milan quelques jours avant «pour s'imprégner de l'ambiance».
Le thème de la collection présentée le 24 février a pour objectif de mettre en avant la force des femmes. Les créatrices veulent qu'elles brillent, qu'elles soient vues. Les mannequins porteront à cette fin des pièces brillantes, colorées et imposantes.
Les créations seront également «le manifeste d'une transformation nécessaire de l'industrie du luxe», décrivent Joanie, Emily et Stélina, dont le travail a pour volonté d'être éthique et écologique des matières premières à la production finale.