Ces deux dernières semaines ont été riches en «news Britney». Britney déballe tout, Britney lance des piques à son ex, Britney a été larguée par SMS, Britney a avorté, Britney a rasé ses cheveux pour ceci, Britney a souffert de cela, Britney espère que son livre n'a offensé personne, Britney se justifie face aux critiques dans un énième post Instagram. Si bien qu'on se demandait si cette campagne marketing guerrière n'avaient finalement pas eu raison de The Woman In Me.
N'avait-on pas déjà tout compris de son livre, grâce aux morceaux choisis dans People ou le New York Times? En quoi sa version sur son amour de jeunesse avec Justin Timberlake ou son passage par une école pour stars, étalées sur 300 pages, pouvaient-elles radicalement changer notre regard sur cette quadra' paumée, aux publications Instagram embarrassantes?
Ce 24 octobre, c'est pourtant non sans plaisir qu'on délaisse la grisaille lausannoise pour nous plonger dans les mémoires l'une des plus grandes stars de la musique pop des années 2000. Direction Kentwood, bled rural de 2000 habitants au coeur de la Louisiane, où la future grande Britney Spears a grandi.
Nous voilà dans l’Amérique, la vraie, où les bicoques se ressemblent toutes, façades en lambris proprettes et pelouses taillées au millimètre. Là où la vie s'articule entre barbecues et services du dimanche. En trois lignes, l'ambiance est donnée. Sauf que les Spears n'ont rien de la bonne famille américaine traditionnelle. Le père, Jamie, soudeur de métier et ancien athlète d’élite, gère son stress en s'abrutissant au whisky-coca et en rudoyant ses enfants. La mère, Lynne, qui «crie tout le temps», est aussi stricte qu'elle peut être absente. Leurs disputes du couple sont exacerbées par les problèmes de fric.
Si la future chouchou de l'Amérique ne grandit pas dans un cocon de soie, elle ne donne pas l'impression d'avoir été malheureuse pour deux sous. La pétillante blondinette se souvient d'abord du parfum du chocolat chaud et des feuilles mortes, l'automne, dans l'allée. Il y a les franches parties de rigolades. Cette vie mouvementée dans la maison «la plus cool du quartier». Un «cirque». Quand elle ne se planque pas dans les placards, la jeune Britney excelle surtout pour la scène. A quatre ans, la future graine de star se produit dans le cadre d'un premier solo devant toute l'école. Elle s'imagine avocate? Professeurs, amis et voisins lui suggèrent plutôt Broadway.
L’année de ses cinq ans, Britney Spears participe à une compétition locale organisée par des chasseurs de talents. Et elle gagne.
Jamie et Lynn Spears ont fleuré le bon fil: le talent précoce de cette gamine vaut peut-être de l'or. C'est le début des kilomètres engloutis à travers le pays pour enchaîner leçons de chant et de danse, concours, auditions, émissions. Au fil de la lecture et des trajets en bagnole, on savoure avec Britney le plaisir des premières victoires et l'amertume des défaites adoucies par un sundae au caramel au sortir d'une audition.
Il y a les années de travail acharné, les heures passées à chanter, le passage musclé par le Mickey Mouse Club, ce «camp d’entraînement militaire pour qui se destine à une carrière dans le show-biz». Il y a aussi ces bribes d'adolescence «délicieusement banale». Première clope, première cuite, première partie de jambes en l'air. Un White Russian siroté à l'âge de 13 ans sur la banquette arrière, de retour de la plage, avec ce qu’il faut de glace pillée, de crème et de sucre, pour couvrir le goût amer de l’alcool. Les bals de promos, le ciné, le lycée.
Mais ça ne suffit pas. Britney en veut plus.
1998. A la maquette succède la signature avec un label, puis les heures d'enregistrement dans un local souterrain. Britney enchaîne les anecdotes, souvent drôles, voire absurdes. La table d'un restaurant de New York qui prend feu en plein rendez-vous avec un producteur, à cause d'un serveur maladroit. Une chute à plat ventre devant ses amis, au cours d'un barbecue.
Tout va vite. Très vite. Sans doute trop. On se laisse entraîner avec l'adolescente dans le tourbillon de la gloriole. En l'espace de quelques semaines, la gamine de Kentwood se retrouve propulsée au rang de «princesse de la pop». La révélation que l'industrie musicale s'arrache. Le bonbon qui fait saliver les mâles. La dévergondée qui fait hurler les mères puritaines.
Britney décrit aussi comment la célébrité peut tourner lentement au poison. Les incursions de plus en plus perverses des paparazzis, les questions connes des journalistes sur ses seins, les fragilités qui se creusent, la fatigue qui s'installe, la motivation qui s'en va, les blessures au genou, les concerts qu'on n'a plus envie de faire. La célébrité, «contrairement à Jennifer Lopez», Britney ne gère pas du tout. Elle, elle aime manger, s’enfermer chez elle, se réfugier dans sa bulle, dans l'amour de ses proches. C'est un humain comme nous.
«J’avais envie de tout plaquer. Je me suis mise à rêver d’ouvrir une petite boutique à Venice Beach et de tourner le dos au show-biz», confie-t-elle au terme de sa tournée Drain Within a Dream, qui comptera des centaines de salles à travers le monde.
Et puis, en 2007, en un clin d’oeil, «tout a dégénéré». La naissance de ses deux garçons, la tournée de trop, les tensions avec sa famille auront raison de la légèreté des premières années de succès. Britney défaille et s'effondre. C'est le début du cauchemar. Pour aboutir finalement à la mise sous tutelle de son père. Un cauchemar de treize ans aux allures d'esclavage, dont Britney ne nous épargne aucun détail.
Si la chanteuse aime à se qualifier de «naïve» ou d'«écervelée» toutes les trois lignes, son autocritique laisse entrevoir un esprit beaucoup plus complexe. On la savait bosseuse acharnée, généreuse, ultra-sensible, on la découvre aussi drôle, terre-à-terre, volontiers caustique. Mais surtout, jamais méchante. Britney a beau n'avoir d'yeux que pour une Madonna impitoyable, sa «mentor», qui dicte ses quatre volontés et impose son agenda, elle a du mal à en faire de même. Son drame, au fond, c'est d'être une «gentille fille» qui veut faire plaisir et dire merci.
Annoncé par les médias comme une déclaration de guerre, The Woman in Me relève plutôt de la déclaration d'amour. Pour ses enfants, ses fans, les femmes et les hommes qui l'ont aidée et qu'elle admire. Même ceux qui ont partagé sa vie. Justin Timberlake, ses quatre maris et les autres peuvent se rassurer: au-delà d'une anecdote ici ou là sur un adultère ou un échec amoureux, on retiendra surtout l'amour et la reconnaissance que leur voue irrémédiablement Britney.
La princesse de la pop a tenu sa promesse: livrer sa vérité, poignante, désarmante, parfois brutale. Nous donnant, pour la première fois, l'occasion de percer un peu le mystère Britney Spears. Ses errances, ses contradictions, ses publications Instagram déroutantes, sa libération à tâtons, ses aspirations. On en retiendra une. Celle d'être une femme. Libre.